Piloter l'hypercroissance : comment accompagner ses managers ?
12 mars 2021
8min
Rédactrice indépendante.
Hypercroissance. Voilà un mot qui fait rêver de nombreux CEO de PME et start-up ! En effet, Google, Facebook, ou encore Airbnb sont passés par là avant de devenir les leaders mondiaux dans leur domaine. Pourtant, les coulisses de l’hypercroissance révèlent également une grande phase de déstabilisation dans la vie de l’entreprise. Elle génère de l’instabilité ce qui peut mener à des drames économiques et sociaux. Comment éviter les tensions internes issues de cette situation exceptionnelle ? Le rôle du management, parce qu’à la conjonction du business et des équipes, est critique pour maintenir l’organisation à flots et juguler les risques humains. Pour cela, en première ligne, les manager·euse·s doivent absolument être accompagné·e·s afin de gérer ces périodes d’incertitude. Quels outils d’accompagnement managérial lancer en interne ? Quelles pratiques faut-il mettre en place ? Décryptage et retour d’expérience.
Hypercroissance : face à la déstabilisation, quel rôle pour les managers ?
Les quatre risques majeurs d’une hypercroissance pour l’entreprise
« L’entreprise en hypercroissance se définit comme une structure comprenant, au moins, 10 salariés, enregistrant un taux de croissance annuel moyen égal ou supérieur à 20% pendant au moins 3 ans (Birch, 1987, Eurostat-OCDE, 2007, Chanut-Guieu et Guieu, 2014) ». Sur le papier (et pour les investisseurs), tout semble au vert. Pourtant, en interne, les coulisses apparaissent beaucoup moins reluisantes. Le journal Le Monde soulignait dans un article la double face de ce phénomène : « L’économie numérique raffole des entreprises qui connaissent un développement fulgurant. Mais il y a un revers de la médaille à cette frénésie. Des problèmes managériaux apparaissent et la pression des investisseurs peut se révéler lourde à gérer ». Comment expliquer ce paradoxe de l’histoire des entreprises en hypercroissance ? Que se passe-t-il en filigrane ?
Les travaux de recherche de Wendy K. Smith et Marianne W. Lewis expliquent que les entreprises en hypercroissance vivent quatre grands paradoxes souvent peu ou mal appréhendés provoquant des tensions :
L’apprentissage : l’hypercroissance pousse l’entreprise à explorer de nouvelles connaissances ou compétences tout en continuant d’exploiter ses propres connaissances. Les apprentissages très rapides liés à la constitution de nouvelles équipes et à la formation de nombreuses recrues peuvent entrer en contradiction avec les logiques de performance à court-terme. Une menace structurelle pour la construction de capacités futures.
La culture : le passage à l’hypercroissance marque la fin des premières heures si exaltantes ! Les effectifs explosent, l’organisation est chamboulée, de nouvelles personnes affluent. Le corollaire ? De nouveaux métiers apparaissent et les exigences à l’égard des collaborateur·rice·s sont toujours plus élevées. Ces transformations ultra rapides sont compliquées à digérer pour les équipes en place. Le risque ? Sans un temps d’acceptation voir d’incubation entre les anciennes et les nouvelles recrues, la perte du socle culturel demeure un risque majeur. D’ailleurs, les anthropologues se sont intéressés de près au nombre maximal d’individus avec lequel une personne peut entretenir des relations sociales. Le nombre de Dunbar, c’est « le nombre maximum d’individus avec lesquels une personne peut entretenir simultanément une relation humaine stable. Cette limite est inhérente à la taille de notre cerveau impliqué dans les fonctions cognitives dites supérieures, le néocortex. » (Wikipedia). Il se situe autour de 150.
L’organisation est déstabilisée avec le changement permanent, et tiraillée par les injonctions parfois contradictoires des équipes fondatrices entre l’autonomie qu’elles tentent d’octroyer et leur besoin de contrôle. « Le point commun des sociétés en hypercroissance, c’est qu’elles se fixent des objectifs très ambitieux et sont engagées dans une course contre la montre pour les atteindre. Pour s’en donner les moyens, elles doivent rapidement renforcer leurs équipes et les faire évoluer aussi vite que le développement de leur activité. Cela implique aussi que les fondateurs ou les dirigeants de ces structures doivent accepter qu’ils ne peuvent plus tout contrôler », explique Quentin Demeestère, cofondateur de Popwork, un logiciel qui aide les managers à mieux travailler avec leurs équipes et qui accompagne de nombreuses entreprises en hypercroissance.
La performance: l’hypercroissance s’accompagne souvent de nouvelles parties prenantes (par exemple, de nouveaux/elles associé·e·s ou collaborateur·rice·s) dont les intérêts peuvent être contradictoires, ce qui impacte la performance à court terme.
Lire aussi : Shaker : Comment préserver sa culture d’entreprise en hyper-croissance ?
Le rôle critique des manager·euse·s pour gérer les paradoxes de l’hypercroissance
Parmi tous ces points de friction, les tensions organisationnelles sont souvent les plus compliquées à gérer. Mais elles sont critiques d’où le rôle cardinal du management dans leur détection et résolution. Selon Quentin Demeestère, « les fondateurs doivent s’appuyer sur des manager·euse·s qui auront chacun la responsabilité de décliner la stratégie de l’entreprise à leur niveau. Leur rôle est essentiel car ce sont eux qui vont rendre possible et gérer cette hypercroissance au quotidien ». Leurs prérogatives peuvent se décliner ainsi :
- Le partage d’objectifs clairs avec chacun des membres de l’équipe : « comme les sujets fusent et que tout est urgent, il est important de garder un cap clair et des rituels réguliers ».
- Le coaching et du feedback continus à leurs équipes car elles seront régulièrement confrontées à des situations inédites et imprévues.
- La disponibilité pour écouter leurs collaborateur·rice·s : durant ces périodes, tout est exacerbé, il faut donc suivre de près le moral et la charge de travail qui peut vite grimper.
- La remontée d’alerte ou de sujets importants aux dirigeants ou fondateurs car, à mesure que l’entreprise grandit, ils peuvent perdre le contact avec la réalité de leurs collaborateur·rice·s.
Zendesk a connu cette phase d’accélération. Créé en 2007, Zendesk a franchi 1 milliard de dollars de revenus au troisième trimestre de son année fiscale 2020. Aujourd’hui, l’entreprise sert plus de 170 000 clients, dans plus de 30 langues dans 160 pays et territoires grâce à ses 4,000 employé·e·s dans le monde. April Catney, Senior manager·euse·s, HR insiste sur un autre volet qui incombe aux manager·euse·s : « le succès dépend de chacun au sein de l’entreprise. Toutefois, les manager·euse·s détiennent une clé particulière car leurs comportements créent l’environnement au sein de leur équipe. Ils doivent donc trouver l’équilibre entre l’atteinte des objectifs commerciaux ambitieux, et une manière empathique d’être avec leurs collaborateur·rice·s. Il est vital qu’ils/elles se concentrent sur l’aspect relationnel, en offrant un espace psychologique sûr en restant humble. Ainsi, les équipes intègrent ce comportement à leur tour ».
Soutien managérial : 4 actions à mettre en place pour mieux gérer votre hypercroissance
Préparer un accompagnement 360° des différents manager·euse·s
Le changement ne se décrète pas. Il faut donc former les manager·euse·s à incarner de nouvelles postures en phase avec le rythme et les contours nouveaux de l’entreprise. Or, Quentin Demeestère souligne que « dans les structures en hypercroissance, les manager·euse·s sont souvent assez jeunes (parfois même manager·euse·s pour la première fois). Ils/elles n’ont encore que peu ou pas d’expérience de management. Sans accompagnement spécifique, ils/elles peuvent vite se retrouver livré·e·s à eux·elles-mêmes et ne pas savoir comment bien gérer leur équipe au quotidien ». Ce point est fondamental car, par extension, cela peut affecter l’engagement et la performance interne. Chez Zendesk, pour accompagner le développement de l’entreprise, un package complet à destination des manager·euse·s a été créé afin de les soutenir en fonction de leur périmètre et ancienneté :
Un programme “Illuminate” pour aider et former les nouveaux manager·euse·s
Un programme d’accompagnement du mid-management au senior management
Un programme de coaching individualisé” 1:1 Better Up” pour tous les cadres
Lire aussi : Alexandre Collinet : évoluer avec sa culture d’entreprise en hypercroissance
« Développer régulièrement le potentiel des manager·euse·s permet de les armer pour attirer, développer et retenir les talents, autant d’éléments clés de l’hypercroissance qui contribuent à ajouter un avantage concurrentiel et, au final, à augmenter les chances des entreprises de rester performantes », affirme April Catney. En complément, Zendesk a lancé un Lab qui permet à tous de se former au management. Une manière de parler le même langage et de prendre conscience, collectivement, des bonnes postures managériales à adopter. Toutes ces formations doivent s’appuyer sur une méthodologie rigoureuse sur laquelle se fonder particulièrement lors de circonstances stressantes. « Il faut former les manager·euse·s et les aider à mettre en place les bonnes pratiques de management : points 1:1 hebdomadaires, réunions d’équipe, définition des objectifs, entretiens de performance, feedback régulier et constructif, etc. », insiste Quentin Demeestère.
Créer une communauté de manageur·euse·s active
Le manager·euse·s se retrouve souvent seul·e à gérer des situations qu’il/elle découvre. Comment savoir alors si les pratiques et les comportements managériaux sont les bons ? Comment recevoir du feedback ? À qui se confier en cas de doute ? Pour pallier la solitude du manager·euse·s en hypercroissance, créer une communauté managériale permet d’offrir un cercle de confiance et de soutien. Son but ? Soutenir, échanger, partager sur de bonnes pratiques dans la gestion des situations difficiles… Chez Zendesk, un canal de discussion dédiés aux manager·euse·s qui souhaitent partager leurs questions a été lancé. Une manière de se sentir entouré·e·s et guidé·e·s dans leurs prises de décision. Cette communauté a pour but également de partager des outils concrets. «Il est enfin important de donner aux manager·euse·s des outils adaptés pour animer leurs rituels de management dans le temps. Sans cela, les efforts de formation et de sensibilisation n’ont pas d’effet durable », souligne Quentin Demeestère. Pour nourrir la réflexion et donner quelques données inspirationnelles, une vieille sur les sociétés à forte croissance peut être menée ou encore des intervenants d’autres entreprises ayant vécu l’hypercroissance peuvent venir témoigner. De même, cette communauté doit se sentir soutenue : des coachs ou psychologues doivent aussi être accessibles pour temporiser en cas de situation à risque et les accompagner dans les démarches à suivre.
Consolider une culture managériale garante de l’identité de l’entreprise
Comment fait-on pour structurer une entreprise qui voit son nombre de salariés se multiplier en peu de temps ? Comment réussir à garder un contact et une cohésion ? L’arrivée de tous les nouveaux salariés demande une attention particulière pour ne pas perdre l’identité et les valeurs de l’entreprise. « Les fondateurs ou les dirigeants de ces structures doivent accepter qu’ils ne peuvent plus tout faire. C’est aux manager·euse·s de décliner la stratégie et d’incarner la culture », explique Quentin Demeestère. C’est leur relation avec les membres de leurs équipes qui détermine l’engagement des équipes puis, définit plus généralement la culture d’entreprise. Pour cela, les manager·euse·s doivent sentir qu’ils ont la confiance du board et leur soutien. La clé, c’est la communication ! Ainsi, les décideurs doivent communiquer régulièrement auprès des manager·euse·s et bien les sensibiliser sur leur rôle. Cette sensibilisation en amont est primordiale, elle leur permet de comprendre comment ils/elles prennent part au projet en les impliquant dans la nouvelle organisation. Il faut aussi que des processus de communication clairs se mettent en place : transparence entre le board et les manager·euse·s sur l’entreprise, remontée des informations terrain lors de comités dédiés, co-création d’un plan d’accompagnement des équipes, reconnaissance du rôle managérial… Aussi, il peut être intéressant de créer des routines de partage avec les salariés, de transmission de la vision, de la raison d’être de l’entreprise mais également des temps de débats autour des changements à venir.
- Lire aussi : Les mots vont-ils sauver la culture d’entreprise ?
Former aux soft skills : l’arme secrète pour traverser les zones de turbulences
L’hypercroissance provoque son lot de tensions notamment pour les équipes parfois mal ou peu informées : stress, RPS, conflits, isolement ou encore anxiété. Les manager·euse·s doivent apprendre à composer avec ces situations humaines en développant leurs compétences comportementales et sociales. Les former aux soft-skills leur permet de mieux savoir répondre aux situations à risque, effets collatéraux de la désorganisation transitoire. À quoi faut-il les sensibiliser ? Gestion du stress, écoute active, agilité, communication, détection des RPS… un set de compétences indispensables pour accompagner leurs équipes. D’ailleurs, April Catney souligne que « pendant la pandémie, la nécessité de ces comportements a été amplifiée et nous devons faire un effort supplémentaire dans nos méthodes de travail pour faire en sorte que ces valeurs se retrouvent dans un environnement virtuel ». Pour orienter les formations à mener auprès des manager·euse·s, il peut être intéressant de sonder l’ensemble des collaborateur·rice·s de manière régulière. L’interprétation des indicateurs et verbatim collectés permettent la mise en place d’actions ciblées : coaching, formation, team building…
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