Comment bien communiquer à l'écrit pour éviter les conflits et les quiproquos ?
06 mai 2020
7min
Journaliste indépendante
Depuis que nous travaillons tous plus ou moins à distance, nous sommes assaillis de messages : emails, messageries internes, « conf-calls » ou visio-conférences, tous les moyens sont bons pour pallier tant bien que mal l’absence de contacts physiques. Si la vidéo est certainement le support le plus adapté pour simuler l’habituelle réunion, l’utilisation de l’écrit reste néanmoins centrale pendant ce confinement (ne serait-ce que pour programmer un rendez-vous vidéo). Ainsi, dans ce contexte où les informations fusent, il est commun de mal interpréter un message ou d’avoir des difficultés à bien se faire comprendre. Il devient dès lors plus que nécessaire de maîtriser les modes de communication à l’écrit. Y a-t-il des clés pour éviter les quiproquos ? Comment s’assurer de délivrer un message clair ? Faut-il toujours préférer l’écrit à l’oral ? Pour nous éclairer sur ces questions, nous avons échangé avec Sandrine Graf, chercheuse en Sciences du langage, Laurent Assouly, ethnologue, et Elodie Mielczareck, sémiologue. Ils nous livrent leurs conseils pour parfaire notre communication à l’écrit en cette période de confinement.
De l’importance de l’écrit
S’il est vrai qu’avec le confinement, les applications de visio-conférences ont explosé (les seuls téléchargements de Zoom ont été multipliés par 22 en France par rapport au premier trimestre 2019), les chercheurs s’accordent sur le fait que l’écrit reste un moyen de communication majeur dans nos échanges professionnels. Indispensable à la construction d’une pensée structurée et à la transmission de consignes, l’écrit a toujours fait foi. Il conserve aujourd’hui ses dimensions institutionnelles et réglementaires, et s’est même adapté aux nouveaux usages liés au digital, avec l’utilisation d’abréviations et d’émojis.
Un moyen de structurer son propos
Pour dérouler un argumentaire de façon claire, l’écrit reste le meilleur moyen de communication, selon Sandrine Graf, linguiste doctorante. « L’écrit permet de développer un propos, de préciser des choses que l’on n’a pas forcément dites à l’oral, d’insérer des liens pour faire référence à des textes par exemple ».
Les propriétés du mode de communication écrit garantissent de mieux s’y retrouver, à la fois pour l’émetteur et pour le destinataire du message. En effet, pour la chercheuse, « la ponctuation permet de spatialiser les informations, en allant à la ligne, en mettant des tirets… cette spatialisation permet parfois plus de clarté, et peut s’avérer très utile quand on donne des consignes, ou qu’on assigne des tâches à quelqu’un ». C’est aussi parce qu’il a cette particularité de n’être soumis à aucune contrainte d’immédiateté (auquelle est soumise l’oralité notamment) : il permet ainsi à celui qui délivre le message de prendre le temps de travailler son texte (agencer ses arguments, effacer ou reformuler certains passages) avant de l’envoyer.
L’idéal pour garder des traces
« Les paroles s’envolent, les écrits restent », selon l’adage. Autrement dit, ce qui est écrit a valeur de preuve. C’est ce qu’explique la sémiologue Elodie Mielczareck : « L’écrit est un acte qui laisse une trace. C’est pour cela qu’en cas de litige, s’il faut une « preuve » des échanges, mieux vaut favoriser le canal de l’écrit. De même en ce qui concerne la « logistique » : les horaires, les dates, les explications précises nécessitent une trace écrite. » Vous avez un compte-rendu de réunion à faire ? Des instructions à donner à de nouveaux arrivants ? Vous êtes victime de harcèlement ?
Pensez à favoriser l’écrit. Outre sa valeur juridique (depuis mars 2000, l’écrit électronique a force de preuve, au même titre que l’écrit papier), celui-ci permettra de synthétiser efficacement ce qui a pu être dit à l’oral, et donnera aux destinataires la possibilité de s’y référer à tout moment.
L’alternative pour ne pas passer son temps en “calls”
Avec le confinement, nombre de salariés passent leur temps en « calls ». Or, parce que ces modes de communication appellent à des réactions immédiates, ils demandent une attention élevée, d’autant plus forte que certains paramètres peuvent rendre la compréhension plus difficile. Ce sont les fameux “bruits”, qui désignent tout ce qui peut interférer dans le processus de communication. Lors des calls, ces obstacles vont surtout être d’ordre technique (images brouillées, mauvaise connexion, décalage entre la vue et l’ouïe) ou sémiologiques (l’émetteur fait plusieurs choses en même temps, n’est pas concentré…) Le cerveau doit alors faire un effort supplémentaire pour décrypter les signaux non-verbaux, comme l’expliquent Marissa Shuffler, professeure spécialiste du bien-être au bureau à la Clemson University, et Gianpiero Petriglieri, professeur à l’INSEAD dans un article récent de la BBC.
Cette sur-sollicitation peut vite engendrer un épuisement mental, et l’écrit apparaît alors comme une façon de communiquer plus posée, qui laisse le temps au destinataire comme au destinateur de digérer l’information. Mais savoir quand se reposer sur l’écrit ne suffit pas, encore faut-il apprendre à bien délivrer son message.
Comment bien faire passer un message à l’écrit ?
Introduire du contexte
Pour être certain de bien faire passer son message, il existe quelques techniques. La principale difficulté de l’écrit réside dans le fait qu’il nous prive du « méta-langage », c’est-à-dire toutes les informations qui vont contextualiser une conversation : les gestes, le ton de la voix, la posture, le sourire… Pour remédier à cela, il ne faut pas hésiter à détailler son propos. Sandrine Graf rappelle à cet égard que, « pour éviter les confusions, il faut expliciter tout ce qui peut être confus, quitte à préciser son intention entre parenthèses si l’on en ressent le besoin, comme par exemple “par ailleurs quand je dis ça je veux dire que…” »
Une autre astuce pour contextualiser son propos dans le cadre d’échanges par messagerie instantanée est de créer des sous-channels par types d’informations délivrées, et non pas uniquement par thématique : consignes/organisation/compte-rendus/échanges informels… Cela permet, quand on reçoit un message, de le situer immédiatement dans un contexte.
Parce que la période que nous vivons nous oblige à communiquer à distance, nos modes de communication peuvent aussi se retrouver altérés et les quiproquos d’autant plus facilités. Pour les éviter au mieux, notre communication écrite a alors tout intérêt à se faire chaleureuse, et bienveillante. « Un conseil en ce temps de confinement où le « toucher social » n’est plus de mise : réchauffez votre écrit, préconise Elodie Mielczareck. Usez de la métaphore par exemple, qui, plus qu’une simple figure de rhétorique, permet d’ouvrir à un imaginaire et à un fonctionnement cognitif un peu différent. » Avec des interlocuteurs proches, vous pouvez aussi avoir recours aux émojis, qui peuvent également contribuer à donner des éléments contextuels. Veillez tout de même à ne pas en utiliser à tout va, en tout temps, et avec n’importe qui. Terminer un mail à votre boss sur qui vous flashez en secret par une bise avec un cœur n’a jamais été très efficace pour éviter les quiproquos…
S’adapter à son interlocuteur
« Il est crucial de toujours avoir en tête son destinataire lorsque l’on rédige un message, et d’adapter son style en fonction, précise Laurent Assouly, ethnologue. Il s’agit de développer une sorte d’intelligence émotionnelle en calibrant son discours par rapport à son public. Et si l’on met en copie des gens dans un email, ne pas oublier que l’on s’adresse aussi à eux ! » Cela peut sembler évident, mais vous ne serez ni le premier ni le dernier à avoir inséré des petites blagues plus ou moins fines dans un mail à votre collègue, avant de vous rappeler que votre boss était en copie…
Malgré toutes ces précautions, il arrive néanmoins qu’émergent des tensions dues à une mauvaise interprétation d’un message écrit. Comment faire alors pour y remédier ?
Apprendre à désamorcer les tensions
Savoir passer par l’oral
« Par essence, l’écrit est sujet aux interprétations, explique Laurent Assouly. Il peut donc parfois y avoir des quiproquos, notamment en langue française, qui est moins précise que le vocabulaire anglais ». Si l’on a l’impression que le message a été mal compris, ou que des tensions naissent, le plus simple reste alors de passer par l’oralité. « Si la situation est déjà critique, il faut de suite appeler la personne, conseille Elodie Mielzcareck. Il faut se forcer, même si l’on est une personnalité plutôt introvertie préférant l’écrit. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire, pourtant un échange oral de quelques minutes permet de réorienter le sens du discours. » Là où l’écrit peut avoir été mal interprété, une bonne remise à plat à l’oral a pour vertu de redonner les éléments de contexte qui ont fait défaut à la bonne transmission du message initial : ton de la voix, humour… « Si l’écrit est mieux pour organiser une pensée, l’oralité est à privilégier pour établir une empathie entre les gens », renchérit Laurent Assouly. Cela est d’autant plus valable dans ce contexte de crise, où les tensions sont grandement favorisées, avec des conditions de travail pas toujours adaptées à chacun, des incertitudes sur ce que l’avenir à plus ou moins long terme peut réserver (changement d’organisation dans l’entreprise, baisse potentielle de revenus…)
Ne pas prendre les choses trop personnellement
« Il ne faut pas négliger que beaucoup de gens sont à cran en ce moment, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le travail, analyse Sandrine Graf. Il est alors facile de projeter nos insécurités dans ce que les autres nous disent. Or il faut garder en tête que la réaction des autres ne nous concerne pas personnellement, elle leur appartient à eux, et pas au destinataire ». En ces temps compliqués où chacun peut se sentir sous tension, il devient alors crucial de prendre du recul vis-à-vis des messages que l’on reçoit. Plus que jamais, il convient de limiter la charge émotionnelle que nous investissons dans notre communication avec autrui et de rester indulgents face à des formulations maladroites. C’est en effet le meilleur moyen de prévenir les risques d’engendrer des conflits. D’autant plus que la maîtrise de l’écrit n’est pas donnée à tout le monde, et que nous ne sommes pas tous égaux face à l’écriture…
Savoir opter pour le mode de communication qui nous correspond le mieux
« Nous ne sommes pas tous « câblés » de la même manière pour communiquer, explique Elodie Mielczareck. Pour certains, il est moins énergivore de communiquer à l’écrit, pour d’autres il est « naturel » de passer du temps à parler au téléphone ou en visio. C’est important de respecter les ressources cognitives de chacun. » Parce que l’écrit reste un « marqueur social », comme le souligne Laurent Assouly, si l’on n’est pas à l’aise avec ce mode de communication, mieux vaut passer par d’autres biais. « Beaucoup de gens se sentent complexés par leurs compétences à l’écrit, remarque Sandrine Graf. Pour des gens qui ont plus de difficultés à trouver les mots, à structurer leurs propos, il ne faut pas hésiter à prendre le téléphone voire à s’enregistrer en vocaux si on a des gros problèmes d’orthographe par exemple. » De la même façon, si un message ne semble pas clair, il ne faut pas avoir peur de poser des questions, pour récupérer les fameuses données contextuelles qui nous font tant défaut.
Si l’écrit a donc encore de beaux jours devant lui, il faut néanmoins se méfier des mésinterprétations qu’il peut susciter. Avec tous ces conseils, vous pourrez l’utiliser à bon escient, quitte, dans certains cas, à redécouvrir le bouton « appel » de votre téléphone pour évacuer tout risque de tension inutile…
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Photo d’illustration by WTTJ
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