« Le sentiment d'impuissance est un facteur de stress important »
25 févr. 2021
4min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Rédactrice
Depuis plus d’un an, nous assistons à un véritable chamboulement des rythmes de travail. Dans le cadre de notre Observatoire annuel des Rythmes de Travail, nous avons rencontré Lavinia Ionita, médecin et CEO d’Akesio. Depuis trois ans, Lavinia Ionita alterne entre ses patients et sa start-up, Akesio, une application destinée à la gestion du stress. Zoom sur les facteurs de stress et l’importance de ne pas les sous-estimer. Surcharge de travail, stress chronique, risques physiques et psychiques… L’experte en la matière nous aide à une meilleure compréhension des enjeux.
Découvrez le replay de notre Table Ronde sur la flexibilisation des rythmes de travail :
Dans quelle mesure le rythme de travail influe-t-il sur notre niveau de stress ?
Lavinia Ionita : Les influences sont réciproques : le rythme de travail peut peser sur le niveau de stress et, inversement, le niveau de stress peut impacter notre manière de travailler. Pour éviter de tomber dans un cercle vicieux (mauvais rythme, stress, etc), il est important d’identifier le rythme de travail qui nous convient le plus. Même s’il y a des différences entre individus (certains sont plus efficaces le matin, d’autres le soir), le rythme de travail doit dans l’idéal suivre le rythme veille/sommeil imposé par l’alternance jour/nuit. De nombreuses études sur la chronobiologie montrent que le travail de nuit entraîne une augmentation du taux de cortisol dans le sang, l’hormone du stress, et des risques accrus de maladie (diabète, dépression, cancers…). Notre organisme a besoin de rythmicité ; un bon rythme de travail implique donc des moments de repos, indispensables pour se revitaliser après une journée stressante. Par ailleurs, il est important de comprendre ce qui perturbe nos rythmes au quotidien (ex : un rythme de travail trop intense risque de nous stresser davantage, de perturber notre sommeil etc.).
Quelles sont les principales causes de stress au travail ?
L.I. : La surcharge de travail est la première cause de stress dans la sphère professionnelle mais elle n’est pas la seule. À l’inverse, un travail ennuyeux et peu stimulant peut aussi être stressant : le/la salarié·e n’a pas l’impression de progresser ou de s’accomplir. Par ailleurs, le sentiment d’impuissance est un facteur de stress important que les managers ne doivent pas sous-estimer, surtout dans le contexte actuel où beaucoup de choses nous échappent (sur le plan social, politique, sanitaire…). Si ce sentiment d’impuissance ou de perte de contrôle persiste, il peut conduire à des émotions négatives et à une augmentation du stress. Ceci va se traduire par une dérégulation des sécrétions de cortisol ; c’est-à-dire par un taux de cortisol trop important au début puis, dans un deuxième temps, par une déficience en cortisol qui peut mener au burnout. Le stress chronique et le dysfonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (qui contrôle les réponses au stress) vont avoir des conséquences aussi bien physiques (ex : fatigue extrême, perte de sommeil etc.) que psychologiques. Ainsi, une personne en burnout ou proche du burnout peut être plus craintive, plus méfiante envers les autres, plus déprimée. Aussi, quand la biologie du stress est déréglée un stress chronique, nos capacités de réflexions et de prise de décisions sont amoindries.
Quels sont les principaux symptômes de stress et comment les détecter à distance ?
L.I. : Un bon manager doit bien connaître son équipe et pour cela, s’appuyer sur son sens de l’observation. Même si c’est plus compliqué en visioconférence, le manager peut remarquer des changements dans le comportement, comme une attitude plus négative que d’habitude. On peut aussi déceler des modifications dans l’apparence physique, comme une prise ou une perte de poids importante et soudaine. Par ailleurs, la manière dont la personne communique peut être révélatrice d’un stress (moins d’interactions avec les collègues, moins de réactivité…). Il faut aussi être attentif dans le cas où le/la collaborateur·trice évoque un mal de dos, un mal de ventre, une tension élevée, des palpitations ou des insomnies. Ces symptômes peuvent être évocateurs d’un stress chronique. Pour aider les managers à cerner le stress de leurs équipes dispersées, il est possible de mettre en place des sondages en ligne. En plus, il est indispensable de former les managers pour qu’ils comprennent les mécanismes du stress, les manifestations physiques, les bons réflexes… Il ne s’agit pas d’endosser le rôle de médecin ou de psychologue, mais plutôt d’avoir des notions de base. On recommande de faire appel à des intervenants externes pour les former et les aider à encadrer leurs équipes, qui souvent se confient plus librement à des personnes extérieures à l’entreprise.
Pourquoi est-il utile d’avoir recours aux analyses médicales pour prévenir le stress ?
L.I. : Nous percevons le stress de manière très différente en fonction de notre personnalité et de notre parcours de vie. Il arrive que des managers/dirigeant·e·s aient tellement l’habitude d’être sous pression en permanence qu’ils/elles ne ressentent plus le stress. Le problème c’est qu’il n’y pas de corrélation entre le stress ressenti et sa réponse biologique. Ainsi, même avec un mental d’acier, si le stress est prolongé ou intense, le corps va sécréter trop de cortisol et la personne atteindra vite un état de burn-out. Les analyses médicales permettent d’éviter d’en arriver là. En mesurant le taux de cortisol dans le sang, on peut voir si la personne se rapproche de la limite dangereuse du burn-out. Tout l’intérêt d’objectiver un stress chronique (ex : en mesurant les hormones du stress etc.), c’est que cela permet de détecter les signes avant-coureurs du burnout, qui peut poser des problèmes de santé divers et variés, parfois graves (i.e. le burnout augmente le risque de dépression et de suicide).
« Le sentiment d’impuissance est un facteur de stress important que les managers ne doivent pas sous-estimer »
Qu’est-ce que le bon stress ? En quoi est-il différent du mauvais ?
L.I. : Le bon stress vient quand on est engagé, stimulé et passionné par ce que l’on fait. Autrement dit, le stress positif nous booste. Plus on aura l’impression de développer ses compétences, d’apprendre des choses nouvelles et d’être utile dans son métier, plus on ressentira du bon stress. Ses manifestations physiques sont les mêmes que celles du mauvais stress : on peut avoir les pupilles dilatées, les mains moites ou le cœur qui s’emballe comme lorsqu’on est amoureux. La différence avec le mauvais stress, c’est que cela procure un sentiment plaisant et que le corps récupère plus vite. Une fois le stress passé (deadline ou présentation) la physiologie retrouve son état normal et tout rentre dans l’ordre.
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Photo by Thomas Decamps pour WTTJ
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