Lanceurs d’alerte : que risque-t-on à dénoncer son entreprise ?
08 oct. 2018
6min
Vous connaissez leurs noms : Edward Snowden, Julian Assange, Bennet Omalu, Erin Brockovich, Nicole-Marie Meyer, Martin Baron… Tous sont des lanceurs d’alerte. Pour les uns, ce sont des héros. Pour les autres, des traîtres. Faits de corruption, vente ou usage de produits présentant un risque majeur pour la santé ou l’environnement, conflits d’intérêts, pratiques discriminantes ou harcelantes, sont autant d’informations sensibles qui peuvent être révélées par les lanceurs d’alerte au travail. Mais quels risques encourent le lanceur d’alerte et l’entreprise ?
Welcome to the Jungle vous explique la procédure du lancement d’alerte et vous conseille sur les mesures à adopter pour en limiter les risques.
Lanceurs d’alerte : d’où viennent-ils, qui sont-ils ?
« Le lanceur d’alerte ouvre un nouvel espace de débat public en signalant une question qui ne mobilise pas, qui ennuie, est déniée, oubliée, voire relativisée » Francis Chateauraynaud, sociologue.
D’où vient ce phénomène ?
La notion de lanceur d’alerte est apparue en France dans l’ouvrage intitulé Les sombres précurseurs publié par Francis Chateauraynaud et Didier Torny en 1999. Elle a ensuite été popularisée au cours des années 2000 par le chercheur André Cicolella, lui-même lanceur d’alerte. Contrairement aux idées reçues, cette expression n’est pas une traduction de whistleblower (littéralement “personne soufflant dans un sifflet”). Alors que le whistleblower anglo-saxon dénonce ou accuse une pratique afin de la faire cesser, le lanceur d’alerte ne fait que signaler, de bonne foi, un danger ou un risque, afin de l’éviter. Il ne s’inscrit pas dans une démarche de délation, mais de mise en garde.
Comment est-il défini par la loi ?
Selon Me Olivier, Avocat d’affaires chez Maison Rouge, spécialisé en droit de l’intelligence économique et des secrets d’affaires que nous avons interrogé, « le législateur avait entrepris de sacraliser le statut de lanceur d’alerte dès 2005, en matière de protection des données personnelles, puis en 2013 en matière de lutte contre la délinquance financière et dans les domaines de la santé publique et de l’environnement. C’est par la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 que la protection des lanceurs d’alerte a été étendue à toutes les entreprises, quelle que soit leur activité. » Son statut est désormais circonscrit. Un lanceur d’alerte au travail révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, une atteinte grave à l’intérêt général commise par son entreprise.
Avant de lancer une alerte, il faut bien s’informer
Le fait de révéler une information sensible ou de tirer le signal d’alarme n’est pas anodin. Il expose à la fois l’organisme concerné par l’information révélée et celui qui s’en fait l’écho. Une personne avertie en vaut deux…
Que peut-on signaler ?
Au préalable, il faut s’assurer de la nature de l’information que l’on souhaite révéler. Tous les faits ne méritent pas d’être signalés. L’information doit concerner « un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international, de la loi ou d’un règlement ou encore une menace pour l’intérêt général. » Ce sont toutes les pratiques de l’entreprise susceptibles de faire courir un risque majeur à la population ou à l’environnement. L’alerte vise concrètement à anticiper tous types de scandales sanitaires, alimentaires, écologiques ou éthiques, aujourd’hui tristement célèbres. Il est également possible de signaler des agissements plus discrets mais tout aussi inappropriés : harcèlements au travail, discriminations, conditions de travail.
Se faire accompagner
Si vous souhaitez signaler une information sensible, il vous est vivement recommandé de vous faire assister d’un professionnel, un avocat ou un organisme gratuit et astreint au secret (Défenseur des droits, Maison de la justice et du droit, Droits d’Urgence). Ceux-ci pourront vous orienter pour lancer l’alerte dans des conditions garantissant votre protection et celle de vos proches (confidentialité, légalité).
Constituer un dossier précis
L’alerte est établie à partir d’éléments factuels. Il faut donc réunir toutes les preuves (écrits, témoignages) afin de construire un dossier solide. Celui-ci doit comporter toutes les copies des documents nécessaires et utiles au traitement de l’alerte. Il faut absolument éviter toute généralisation, insulte ou accusation gratuite, non étayée par une preuve solide, qui pourrait vous desservir.
La procédure de lancement d’alerte au travail
Pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte, il faut impérativement suivre la procédure adéquate. Seules les personnes qui s’y seront conformées pourront être protégées par ce statut. Lorsque l’alerte est donnée dans le cadre du travail, la procédure à suivre est plus ou moins longue et contraignante, selon l’urgence de la situation.
La procédure dites « graduée »
Que vous soyez salarié, agent public ou collaborateur extérieur (stagiaire, intérimaire, expert, consultant), le statut de lanceur d’alerte est soumis à une procédure graduée en trois étapes obligatoires.
1. Il vous faut d’abord saisir la voie interne
- Si votre entreprise a moins de 50 salariés : adressez un courrier recommandé avec accusé de réception à votre employeur en suivant la procédure confidentielle de “double enveloppes”. Une enveloppe intérieure comportant l’inscription “Signalement d’une alerte (date d’envoi)”, dans laquelle vous glissez toutes les copies des documents qui fondent votre signalement, insérée dans une seconde enveloppe, dite extérieure, portant mention de l’adresse.
- Si votre entreprise a plus de 50 salariés : l’alerte doit être signalée via le dispositif spécifique mis en place par l’entreprise.
2. Sans changement, vous pouvez porter plainte. Si votre alerte ne reçoit aucun traitement en interne dans un “délai raisonnable”, vous pouvez adresser le signalement au juge judiciaire (si vous êtes salarié), administratif (si vous êtes agent public) ou à l’ordre compétent (pour un avocat, médecin, expert-comptable).
3. En dernier recours et uniquement si l’alerte n’a pas été traitée dans un délai de trois mois, elle peut être rendue publique auprès d’une ONG, une association ou divulguée à la presse.
Le lanceur d’alerte est donc rarement celui qui divulgue une information hautement confidentielle à la presse. La procédure à suivre est très claire : en principe l’alerte est donnée en interne, elle n’est publique que par exception.
La procédure d’urgence
Par exception, si vous êtes confronté à un “danger grave et imminent” ou “en présence d’un risque de dommages irréversibles”, vous pouvez saisir immédiatement le juge ou la société civile (presse, ONG…) Cette procédure est réservée aux seuls cas d’urgence caractérisée, tels un risque grave et imminent d’intoxication ou de pollution irréversible.
L’entreprise doit composer avec ce dispositif d’alerte
Si le droit d’alerte est une faculté, en revanche, la loi oblige les entreprises à mettre en place un dispositif d’alerte interne qui puisse garantir au lanceur d’alerte la confidentialité de son signalement.
Un dispositif obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés
Les entreprises « qui ont plus de 50 salariés doivent instituer une procédure de signalement interne. Les alertes susceptibles d’être lancées doivent porter sur : 1) les délits ou crimes, 2) des violations de conventions ou traités internationaux et 3) toute atteinte à l’intérêt général » indique Me Olivier de Maison Rouge, spécialiste du droit des secrets d’affaires. Le dispositif d’alerte interne doit être clair, accessible et sécurisé. Aussi, dès le dépôt d’une alerte, l’employeur est tenu d’en accuser réception sans délai et d’informer le lanceur d’alerte du délai estimé de son examen.
Quel dispositif pour garantir la confidentialité des informations ?
La confidentialité n’est pas l’anonymat. Si l’entreprise doit mettre en place un dispositif pour garantir la confidentialité des échanges, elle n’a toutefois aucune contrainte sur la forme que peut prendre ce dispositif. Pour Me Olivier de Maison Rouge, « la procédure est suffisamment circonscrite pour permettre de préserver le cas échéant l’entreprise, à qui on ne saurait trop conseiller de nommer un déontologue pour précisément sanctionner mais surtout contrôler et mettre fin aux écarts signalés. » L’entreprise doit donc nommer un référent qui sera chargé de recueillir ces alertes. Il peut être interne (responsable RSE, compliance officer, directeur juridique) ou externe (cabinet d’audit ou d’avocats). Certaines entreprises ont même recours aux services de plateformes de signalement en ligne telles que Whistle B.
« L’entreprise doit apprendre à composer avec une telle éventualité et considérer que le lanceur d’alerte est une vigie lui permettant d’avoir une conduite plus éthique des affaires. À défaut, elle est susceptible de voir sa réputation entachée. » Olivier Me de Maison Rouge.
Quelle protection pour le lanceur d’alerte ?
Divulguer des informations sensibles sur son entreprise peut vous placer dans une situation particulièrement risquée. La loi a donc prévu d’importantes sanctions pour l’entreprise qui tenterait de vous en dissuader et vous offre une protection judiciaire privilégiée.
L’entreprise sanctionnée en cas de représailles ou rétorsions
Toute tentative de représailles de l’entreprise contre un salarié lanceur d’alerte sera sévèrement sanctionnée. Ainsi, elle est passible de deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende si elle divulgue son identité. Elle encourt également un an de prison et 15 000 euros d’amende si elle tente de faire obstacle « de quelque façon que ce soit » à un signalement. Enfin, l’employeur qui poursuit de manière abusive le lanceur d’alerte en diffamation verra ses amendes doublées.
Irresponsabilité pénale, protection prud’homale
« Par son statut, le lanceur d’alerte est protégé en interne : pas de sanction hiérarchique ou administrative, pas de licenciement, pas de rétrogradation… » explique Me de Maison Rouge. Si après un signalement vous êtes poursuivi par votre entreprise, celle-ci devra prouver que le litige repose sur « des éléments objectifs étrangers » à l’alerte donnée. Vous pouvez également bénéficier d’une irresponsabilité pénale en cas de plainte pour diffamation. Votre protection sera donc totale si vous suivez rigoureusement la procédure de signalement, mais il ne saurait vous être trop conseillé de vous faire solidement accompagner dans cette démarche difficile.
« Il y a une protection juridique [la liberté d’expression]. Le problème, c’est qu’il faut souvent des années pour la faire valoir en justice. Ces délais sont très violents et brisent souvent la vie personnelle des lanceurs d’alerte. » Francis Chateauraynaud, Sociologue.
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