À toi qui envoie des mails alors que tu es en vacances, je dis : stop !
09 août 2023
4min
Journaliste @Welcome to the jungle
À toi, Benoît, qui m’a envoyé ce mail professionnel depuis ta serviette de plage, je dédie ces lignes. J’ai un message pour toi : arrête d’envoyer des mails pendant tes congés, c’est terriblement gênant.
Mets-toi à ma place. L’été bat son plein et par opposition, c’est le calme plat au bureau. À tel point qu’une sonnerie de téléphone dans l’open space me fait sursauter. J’ai la sensation d’être une vétérante du travail. De ceux qui restent au front pour assurer la survie de l’entreprise pendant que 97% du service se dore la pilule une saucisse à la main, sous la chaleur des barbecues. Dévouée à ma tâche, je ne me laisse pas aller et je tente de faire avancer les projets de mon équipe. Une équipe qui, au passage, m’a gentiment laissé une petite to-do list de missions, à peine déguisée sous l’appellation « document de passation ».
Bref, jusque-là, rien d’anormal. J’ai accepté le deal, c’est mon fardeau et je besogne sans sourciller jusqu’au moment où - horreur et damnation - je reçois ton mail Benoît. Toi qui est officiellement délocalisé avec femme et enfants à la Grande Motte depuis dix jours et qui pourtant sans crier gare, réagit au dernier message de ma boucle de mails : « Je pense que la version 11 de la présentation est plus pertinente… » Stupéfaite, je regarde derrière mon épaule : personne. Je file nerveusement sur Google Agenda pour me connecter au planning : non, tu es bien off jusqu’à fin août. Mais alors, pourquoi as-tu envoyé ce mail ? C’est si gênant…
« Tu me vois ? Tu me vois pas ! »
Passé l’effet de surprise qui malmène mon petit cœur fragile (« Tu es là ou pas ? Quel jour sommes-nous ? »), recevoir un mail de ta part alors que tu es censé être en vacances, me fait ressentir un profond malaise pour plusieurs raisons :
C’est hautement culpabilisant…
Dois-je te le rappeler ? Écrire ou mettre en copie de mail un collègue en congés a un seul objectif : le tenir informé du travail effectué en son absence, à son RETOUR.
Hormis les urgences absolues (et dans ce cas, un SMS fera l’affaire), cela n’attend pas de réponse immédiate de ta part. Étant à l’origine de la chaîne de mails qui t’a fait réagir, je regrette désormais amèrement mon initiative : c’est de ma faute si tu n’arrives pas à couper avec le travail pour profiter de ta famille. De là à ce que je me sente responsable de ton prochain divorce, il n’y a qu’un pas.
… et blessant
Qu’est-ce qui pourrait justifier que tu te sentes obligé de répondre à un message pro alors que tu es en train de te la couler douce, si ce n’est l’impression que je gère mal ton dossier ? Cela me donne l’impression d’être incompétente ou du moins pas à la hauteur de tes attentes. De quoi booster mon syndrôme de l’imposteur. Merci bien.
C’est le signe d’un manque de confiance en soi…
Sans vouloir faire la psychologue de comptoir, je perçois bien que, derrière cette pratique qui en substance consiste à montrer que « coucou, j’existe, je suis toujours là et motivé », se cache sûrement ta peur d’être oublié ou mis de côté. Et si je ne sais pas exactement ce qu’il en est, je suis sûre d’une chose : quoi que tu cherches à compenser, cela ne se résoudra pas par l’envoi d’un mail en vacances. Un constat embarrassant qui sera mon nouveau sacerdoce au travail : je me mets bille en tête de sauver le soldat Benoît.
… ou d’une organisation toxique
Bien sûr, dans bien des cas (la plupart ?), c’est l’entreprise ou le manager qui pousse un salarié à faire déborder son travail sur son temps de repos. Mais quand bien même ce serait ton cas et que je sais ô combien il est difficile de s’en affranchir, je t’invite à essayer de résister à cette injonction néfaste. Car cette mauvaise pratique ruisselle sur les autres collègues et donc sur moi. J’ai vite fait de me dire : « Si Benoît le fait, ça veut dire que moi aussi je dois répondre à mes mails pendant mes congés ? Vais-je être mal vu si je ne le fais pas ? » Voilà comment l’excès de zèle d’une personne, alimente la machine infernale de l’hyperconnexion pour tous.
Je ne sais pas comment réagir !
Une fois le mail reçu, que dois-je faire ? Y répondre et remettre une pièce dans la boucle de messages, ce qui te fera réagir de nouveau ? Te sortir de la chaîne de mails, ce qui va te vexer, renforcer ton manque de confiance, ou me mettre en porte à faux par rapport au projet ? Bref, un sac de nœuds dont je me serais bien passé. Dois-je te rappeler que je bosse seule en plein été avec personne à qui confier mes doutes ? Vive la double peine…
Cela brouille les pistes
En répondant à ce mail pendant tes congés, tu perturbes la chaîne de prise de décision. Je me lance dans un débat interne : « S’il donne son avis, qui est décisionnaire au final ? Dois-je attendre son aval pour la suite ? Qui garde la main sur le process, lui ou moi ? En cas de désaccord, qui l’emporte ? » De quoi mettre la pagaille dans la relation avec le prestataire qui avait bien reçu ton mail d’absence Benoît et qui ne sait désormais plus à quel saint se vouer.
Cela peut nuire à ta carrière…
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : le code du travail l’interdit. Pour rappel, le droit à la déconnexion impose à l’entreprise de réguler l’utilisation des outils numériques des salariés afin de respecter les temps de repos et de congés. Comme « nul n’est censé ignorer la loi », cet impératif s’applique dans les deux sens. Nous aussi, les salariés, sommes censés respecter les règles de la déconnexion. Benoît, tu es prévenu.
… et à celle de ton manager
Si le même code du travail impose à ton manager de ne pas te contacter en dehors des heures de travail, il lui confère aussi l’obligation de s’assurer que les membres de son équipe respectent ce droit à la déconnexion. En gros, si ton manager tombe sur ton mail aoûtien alors que tu es en congés et qu’il ne réagit pas (par un blâme ou un avertissement par exemple), il peut être mis en cause pour ce manquement… Pas ouf pour négocier ta prime de fin d’année !
Benoît, je ne te juge pas. Je pense sincèrement que ton geste est motivé par de saines intentions comme aider ton équipe, prendre de l’avance sur ton travail, manifester ton engagement au sein de l’organisation… mais comme tu le vois, c’est contre productif. Pire, c’est nuisible pour toi (les vacances sont sacrées !) mais aussi nous autres, tes collègues. Alors à tous les Benoît de tous les bureaux de France et d’ailleurs, je dis aujourd’hui : stop aux mails pendant vos congés cet été, c’est bien la pire des fausses bonnes idées.
Article édité par Romane Ganneval et Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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