« Je ne manage plus personne, et je suis plus heureux » Témoignage
24 mai 2021
4min
Tech Editor @ WTTJ
Devenir manager reste encore aujourd’hui le Graal pour beaucoup de salariés, la récompense ultime après des années de dur labeur. Mais accéder à un poste de manager n’est pas qu’une simple évolution dans la hiérarchie, c’est souvent un véritable changement de métier. Et cela ne convient pas à tout le monde ! Après avoir été - non sans difficulté - le CTO de différentes start-up pendant 12 années, j’ai choisi pour mon job actuel… un poste tout en bas de la hiérarchie d’une grande entreprise tech. Je vais vous expliquer, à travers mon parcours, comment j’en suis arrivé à faire ce choix radical, que je ne regrette pas !
Une progression rapide
Commençons par le commencement. Sur les recommandations de ma mère, j’intègre l’école d’ingénieur EPITA, dont je sors en 2003 avec un beau diplôme et les connaissances nécessaires pour démarrer une carrière de développeur PHP. Je deviens assez rapidement directeur technique sur mes deux premiers postes grâce à mon côté “touche-à-tout” qui me permet de faire à la fois de l’administration système, du développement et de la gestion de projet. Mais pour être complètement honnête, je n’ai à ce moment-là pas la moindre idée de ce que cela implique concrètement ! Je m’en sors en ayant une relation très informelle avec les développeurs qui sont “en dessous de moi”.
C’est donc ça, être CTO !
Peu de temps après, je fais une expérience malheureuse qui sera décisive pour moi ! En 2009, j’intègre une start-up pour créer from scratch une application avec deux autres développeurs. Au bout d’un an, l’entreprise grandit pour atteindre 4,6 millions d’euros de chiffre d’affaires. J’en suis très fier. Mais alors que je m’attends à être nommé directeur technique, comme sur mes postes précédents, les fondateurs m’annoncent qu’ils vont embaucher quelqu’un d’autre… Je pose ma démission, vexé.
Et là, je prends une vraie leçon de management. Pendant mes 3 mois de préavis, j’ai l’occasion de travailler avec la CTO fraîchement embauchée, et je la trouve excellente dans son rôle : elle fait parfaitement le lien entre la direction et nous, et est le bouclier de ses équipes. Des compétences non-techniques qui clairement me faisaient défaut.
Pas de passion pour la gestion d’équipe
Cette rencontre me met face à une réalité : je ne suis pas un bon manager. Mais est-ce que ce rôle me convient vraiment au fond ? Un questionnement auquel je vais vite être de nouveau confronté. Recruté comme CTO par une start-up early stage pour faire le lien avec des équipes techniques basées à l’étranger, je convaincs petit à petit la direction d’embaucher des développeurs pour améliorer la qualité des applications, me mettant à nouveau dans une position de management.
Je décide malgré tout de vivre l’expérience à fond avec mon équipe de développeurs, qui grossit à vue d’œil. Pour cela, pas d’achats de livres sur le management, ce n’est pas mon genre, je décide plutôt de me fier à mon instinct et au bon sens. Je développe alors un management par l’exemple, comme l’appelle la RH de l’entreprise. Je montre à mon équipe que leurs problèmes sont aussi mes problèmes et je me positionne d’égal à égal avec eux dans une organisation relativement flat. J’opte également pour un mode de fonctionnement très démocratique où chacun peut s’exprimer pour défendre ses choix techniques, et je privilégie les pots après le boulot pour avoir des retours sans bullshit.
Mais au bout de quelques années, l’équipe tech finit par grandir pour atteindre une quinzaine de personnes. Mon rôle de CTO devient alors beaucoup plus formel et formalisé. Gestion du budget de l’équipe, organisation des entretiens annuels, mise en place d’une méthodologie agile, gestion des conflits… tous ces aspects du rôle de CTO, qui deviennent de plus en plus présents, m’éloignent de la technique et ne me passionnent pas !
Et pour couronner le tout, l’entreprise commence à vaciller, me mettant dans une situation inconfortable en tant que manager. Je vois ceux que je considérais comme ma famille subir des situations compliquées et j’assiste, impuissant, à des choix que je ne cautionne pas. Je souffre alors beaucoup de cette situation car je me sens responsable de ce qui se passe, même si je ne fais pas partie du board de l’entreprise.
Londres : le choix d’une voie différente
Suite à cette expérience, pas facile à gérer pour moi, je décide de partir à Londres avec ma famille pour me changer les idées. Je vois cela comme une occasion de progresser en anglais, d’offrir à mes enfants une expérience à l’étranger et d’intégrer une entreprise de plus grande taille. Et c’est là que se fait le déclic ! Avec le changement de pays et de langue, je m’autorise enfin à postuler pour un poste sans management. Je suis embauché en tant que Solutions Engineer dans une société tech de 1500 employés qui vend des solutions techniques aux entreprises. Un poste d’ingénieur d’avant et après vente, tout en bas de la hiérarchie, qui consiste à comprendre les besoins et contraintes techniques des clients pour leurs proposer les produits techniques adéquats, puis à les tester avec eux.
Plus de gestion de budget et d’organisation d’entretiens annuels donc. Je peux enfin me focaliser sur des sujets techniques qui me passionnent, en vendant des produits auxquels je crois. Assez vite, je trouve aussi très agréable de ne plus avoir à subir cette pression constante liée au rôle de CTO dans des start-up où il n’y avait pas d’astreinte officiellement mise en place. Quand j’y réfléchis, je n’avais jamais de vrais moments de repos, même lorsque j’étais en vacances ou en week-end, puisque je devais pouvoir me rendre disponible lorsque les applications tombaient en panne. À présent, on attend quelque chose de bien précis de ma part, et je ne m’occupe que de ça. Quand il y a des incidents, ce n’est pas à moi de gérer.
J’ai aussi découvert que je pouvais m’orienter vers d’autres voies que le management, même avec mon niveau d’expérience et d’expertise. Dans cette entreprise anglo-saxonne, il existe en effet deux career paths bien distincts : un parcours de manager et un parcours d’expert technique, les deux options étant presque équivalentes en termes de rémunération.
Si j’avais plus tôt été sensibilisé à cette possibilité d’évoluer sans pour autant devenir manager, je pense que j’aurais géré ma carrière différemment. En France il existe pour les développeurs, comme pour les autres métiers, un plafond de verre en termes de salaire si on ne veut pas devenir CTO, et cela est bien dommage, car il existe d’autres voies pour grandir professionnellement ! Devenir un expert technique en est une, mais on peut aussi avoir un impact sur les autres via un rôle de mentor sans pour autant faire du management. Devenir manager n’est pas une fin en soi, et cela est malheureusement souvent oublié en France.
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Photos by WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
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