Manager des collaborateurs en 100 % télétravail, mode d’emploi
13 nov. 2023
6min
Comment les organisations adoptent-elles le 100 % remote ? Ce mode de travail à distance induit des ajustements de taille, à commencer en termes de management, pour parvenir à l’équilibre entre agilité, confiance et autonomie des collaborateurs. Décryptage de cette gouvernance en distanciel, avec nos experts du Lab Céline Méchain et Luc Bretones.
Popularisé depuis la crise du Covid-19, le télétravail est désormais intégré au cœur des pratiques des nombreux Français, dont les activités sont compatibles avec le distanciel. En 2022, 56 % d’entre eux ont ainsi eu recours à cette pratique, d’après le baromètre des préférences des salariés mené par JLL. « Le télétravail est durablement inscrit dans les gènes de l’humanité au travail, ce qui est une très bonne chose pour la liberté et l’équilibre professionnel et personnel des collaborateurs. C’est un des acquis positifs de la pandémie », estime Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances.
Tandis que certaines structures enjoignent récemment leurs salariés à retrouver le chemin du bureau-à l’image de Publicis-, d’autres poussent l’exercice plus loin encore, en adoptant le modèle 100 % distanciel. Pour eux, plus de bureau, plus de salle de réunion, plus de rituels quotidiens du déjeuner. Or, si les bénéfices comme les inconvénients du télétravail ponctuel demandent aux organisations des adaptations sur les court et moyen termes, dans sa version exclusive, il requiert des aménagements profonds, touchant à la culture et aux modes de gouvernance de l’entreprise.
Pour un manager notamment, la question de l’engagement et du leadership se pose en de nouveaux termes, avec un défi de taille : fédérer sans proximité. Un challenge abordable, à certaines conditions. Mais lesquelles ?
Bye bye au management pyramidal
Céline Méchain, Chief People Officer en freelance, est spécialisée dans le télétravail qu’elle a expérimenté pendant plusieurs années dans sa version exclusive, et ce avant même la pandémie. À ses yeux, opter pour le distanciel, c’est nécessairement baser son management sur la confiance et l’autonomie. Deux prérequis indispensables : « La confiance mutuelle est essentielle pour une équipe productive à distance. Les employés en télétravail ont besoin de confiance et d’autonomie. Côté managers, on évite de surveiller constamment l’activité des collaborateurs et on leur laisse la flexibilité nécessaire pour gérer leur travail. »
En cela, un management agile et une gouvernance partagée semblent de mise, loin du classique modèle pyramidal. Pour Luc Bretones, ces modes de travail sont particulièrement compatibles avec la pratique du remote de par leur rigueur intrinsèque. « Dans un management directif, il n’y a plus de liberté et les règles ne sont pas claires, car le manager décide de tout, parfois de manière arbitraire. Les frameworks agiles et de gouvernance partagée sont rigoureux, amènent un set précis de règles communes mais pas bureaucratiques, qui permet de s’organiser plus facilement en télétravail », décrit-il.
Attention cependant à ne pas opérer un changement trop brutal : donner une telle autonomie à ses équipes ne s’accomplit pas d’un coup de baguette magique. Luc Bretones met d’ailleurs en garde contre des passages trop brusques : « Il est essentiel de vérifier en premier lieu si les équipes sont demandeuses de collaboratifs. Puis, les aider à gagner en autonomie progressivement. Cela passe par des rituels, des rôles et des responsabilités redéfinies, et des objectifs qui le sont tout autant. Il faut aussi compter sur de nouveaux modes de fonctionnement et une décentralisation de l’autorité qui ne peut pas se faire spontanément. »
Pas question donc d’effectuer un passage au 100 % télétravail du jour au lendemain, sans feuille de route, aménagement de la culture managériale, ou encore sans l’assentiment des collaborateurs. Manager au sein d’une agence d’événementiel, Alice gère son équipe de communication digitale depuis chez elle, ou presque. Depuis octobre 2022, elle opère en télétravail complet, une évidence depuis les confinements : « Ne pas aller au bureau m’arrange : en préparation de projet, je me déplace beaucoup sur les espaces dédiés aux événements. Au quotidien, on n’a plus tellement besoin de se retrouver physiquement avec mes équipes. »
Une transition qui s’est opérée en douceur, avant de poser un cadre plus précis. « Au début nous étions sur 3 ou 4 jours par semaine. Puis, sur certaines parties de l’année comme en décembre ou l’été, quand personne n’était au bureau. On s’est rendus compte que la présence de collaborateurs sur place ne changeait rien au dynamisme de l’équipe », rembobine Alice. Ensemble, ils ont ainsi opté pour le remote exclusif, en prenant soin de préciser leur fonctionnement. Mais quelle est justement la démarche à privilégier, pour mener ce changement à bien ?
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100 % remote : 5 conseils pour l’implanter, sans vous planter
Conseil n°1 : mettre la communication au centre du dispositif
Pour Céline Méchain, la communication est la pierre angulaire de ce mode d’organisation du travail. « Il faut établir des canaux de communication clairs et maintenir un échange régulier via des outils de messagerie instantanée, des visioconférences et des plateformes collaboratives, avec des canaux spécifiques pour différents projets ou équipes, recommande-t-elle. L’important étant de laisser les équipes s’approprier ces outils, pour créer des espaces d’échanges informels qui remplacent les conversations de la machine à café. » Un constat partagé par Alice, qui a adopté Notion et Trello avec son équipe, afin de centraliser ressources, planning et projets. « La prise en main s’est faite de manière individuelle et collective, confie la responsable événementiel. Chacun a pu expérimenter de son côté avec son propre espace, des canaux de mini-team ou duo, et un autre global à toute l’équipe. »
Conseil n°2 : miser sur les bons outils pour fluidifier les process
L’outillage technique des collaborateurs est particulièrement important. « Les outils numériques sont adaptés aux gouvernances rigoureuses, car ils arrivent à traduire de façon informatique des frameworks pour ritualiser les choses à distance », remarque Luc Bretones. Les plateformes informatiques, comme Holaspirit qui permet de fonctionner en gouvernance partagée et en hiérarchie d’équipe, aident à la gestion en asynchrone. Les rituels implémentés dans le logiciel permettent d’avoir des réunions d’équipe courtes, codifiées où l’on vient par intérêt et non obligation. » Céline Méchain ajoute également certains points de vigilance en la matière : « Lors de la mise en place du télétravail exclusif, soyez attentif aux besoins technologiques de vos employés ainsi qu’au partage d’informations et à la sécurité des données.* »
Conseil n°3 : définir des objectifs clairs et partagés
« Les managers doivent s’assurer que chaque membre de son équipe comprend ses responsabilités et les objectifs à atteindre, par exemple en utilisant des outils de gestion de projet pour suivre les avancements et les résultats », préconise encore la Chief People Officer. Charge pour les managers de parvenir à avoir la vue d’ensemble nécessaire pour guider les collaborateurs vers les objectifs attendus. « Les managers à distance comprennent que leur rôle consiste à avoir une équipe qui atteint ses objectifs. Ils ont donc besoin d’avoir une vision claire de ce qu’est la performance attendue pour l’équipe et pour chaque collaborateur », ajoute-t-elle.
Conseil n°4 : établir un cadre de travail commun
Miser sur l’établissement de règles claires pour tous constitue un autre prérequis du management à distance. « On doit aussi définir la politique de gestion du temps, avec un cadre clair en matière d’horaires et de localisation géographique », décrit Céline Méchain. Pour cela, la Chief People Officer conseille aux managers de veiller à l’instauration d’une routine espace/temps pour chaque collaborateur : « Assurez-vous que chacun travaille depuis un espace dédié, afin que leur vie personnelle ne soit pas envahie par leur vie professionnelle. Il est également important que chaque collaborateur ait des horaires fixes, connus des autres équipes. Grâce à une routine horaire installée, le risque de voir sa vie personnelle impactée par sa vie professionnelle est minimisé. »
Conseil n°5 : maintenir le lien à travers des rituels individuels et collectifs
Pour Luc Bretones, le 100 % télétravail met en exergue les capacités d’organisation, et notamment la gestion des différentes temporalités par le manager : « Il renforce le rôle du manager dans sa capacité à orchestrer la vie d’un collectif et ses moments ensemble physiquement, ensemble à distance et ces moments en individuel à distance. Pour cela, on a besoin d’une certaine autorité pour sanctuariser ces moments collectifs différents. » Pour approfondir le lien avec son équipe, Alice a instauré des moments spécifiques dédiés à ses cinq collaborateurs, à travers des rendez-vous ponctuels. « Une fois par mois, je retrouve chacun dans un espace de coworking pour échanger : la première partie est consacrée au taff et feedbacks. Ensuite, je tiens à garder un temps pour les échanges plus légers, ce sont eux qui nourrissent notre créativité », confie-t-elle. Du côté des collaborateurs, les retours sont positifs : « Plusieurs m’ont indiqué que ça leur convenait mieux en termes de flux de travail et je le vois à la productivité. On est plus efficaces sur des missions rapides, ce qui libère plus de temps pour les projets d’ampleur. »
Les limites de l’exercice à ne pas négliger
Parce qu’il requiert un certain degré d’autonomie dans la gestion de son travail, ce mode d’organisation ne convient pas nécessairement à tout le monde, à commencer par les jeunes recrues. Pour Luc Bretones, il s’adresse davantage à des collaborateurs avec une certaine séniorité : « Ils n’ont plus besoin de séquence d’apprentissage ou de transfert de compétences. Le développement passe par le mimétisme et l’exemplarité. Or, c’est le contact direct qui favorise le partage et la copie des bonnes pratiques. Il est plus difficile de les acquérir à distance. »
Lors du recrutement aussi, il est essentiel de s’assurer que ce mode de fonctionnement convient au futur collaborateur. Le recruteur doit vérifier son appétence pour le télétravail, ainsi les compétences nécessaires à la bonne gestion des projets et du flux de travail entre en distanciel. « Ils doivent faire preuve d’autodiscipline pour gérer leur temps et leurs tâches de manière efficace. Mais aussi, être d’excellents communicants, en plus d’être autonomes et proactifs », pointe Céline Méchain.
Dans le cas particulier de l’onboarding, quelques dispositions sont à prendre afin d’accueillir un nouveau collaborateur. « Cela nécessite une approche spécifique et une excellente base documentaire. Cette dernière doit être l’affaire de tous, et est un projet continu », soutient la Chief People Officer. Elle préconise, en conséquent, l’organisation de sessions d’accueil virtuelles, le partage des documents d’orientation, ainsi que l’affectation d’un mentor pour accompagner le nouvel employé dans ses débuts. « Ce mix entre documentations à lire, rencontres en virtuel avec des personnes clé et un accompagnement personnalisé sera clé pour combler l’ensemble de ses besoins », considère-t-elle.
Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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