Comment manager ses équipes quand on est du genre flippé ?
25 avr. 2022 - mis à jour le 01 avr. 2022
5min
Comment éviter de transmettre son stress aux collaborateurs ? Samah Karaki, docteure en neurosciences, partage ses techniques de zen attitude.
Un manager trop stressé malmène sa santé, et (souvent) celle des autres. Vision biaisée, agressivité, communication défaillante… Comment éviter l’escalade du stress, et dealer avec ses émotions et celles de ses collaborateurs ? Samah Karaki, docteure en neurosciences et co-fondatrice du Social Brain Institute, donne aux managers les clés pour rester le plus zen possible, en toutes circonstances. Interview.
Que se passe-t-il exactement au niveau de notre cerveau et de notre corps quand on est stressé ?
Samah Karaki : En biologie, on définit le stress comme quelque chose qui nous éloigne de notre allostasie, c’est-à-dire de l’équilibre normal de nos fonctions corporelles. En réponse à un « agent stresseur », le cerveau déclenche une chaîne de réactions physiques. Le système nerveux sympathique s’active, préparant le cœur et les muscles à l’action ; c’est-à-dire à combattre le danger ou à l’éviter par la fuite. Cette réponse au stress aigu est une capacité ancestrale à répondre aux agressions de notre environnement, à réagir aux dangers immédiats et à protéger notre intégrité physique et psychologique. C’est ce qui nous permet, dans le cas d’un stress physique aigu, de rassembler nos capacités physiques, comme un zèbre qui se fait pourchasser par un lion. Il faut savoir que quand notre cerveau est en mode « survie », il est préoccupé uniquement par la réponse à ce danger immédiat ; il met donc en veille les fonctions non-prioritaires et très énergivores, comme le système immunitaire, le système reproductif ou le sommeil. Ce qui est absurde, c’est que le cerveau ne fait pas la distinction entre différents types ou niveaux de stress ; sa réponse est exactement la même qu’il s’agisse d’un stress physique ou psychologique, aigu ou chronique. Dans le cas, par exemple, d’un stress psychologique chronique au travail, le cerveau met en veille nos systèmes vitaux pendant trop longtemps, ce qui crée à terme des maladies, comme les maladies cardio-vasculaires, le cancer, les ulcères ou les troubles de la fertilité.
Le stress favorise-t-il les biais cognitifs et donc, la prise de mauvaises décisions au travail ?
Déjà, il faut savoir que nos capacités d’attention, de prise de décision et de résolution de problèmes sont très limitées en temps normal. En situation de stress, celles-ci le sont d’autant plus. Pourquoi ? Car quand on fuit un danger, ce n’est pas le moment de penser de manière raisonnable, le cerveau n’a qu’un seul but : la survie. On va donc plus facilement tomber dans le piège des biais cognitifs. Par exemple, on va être davantage victime du biais de confirmation, qui consiste à privilégier les informations confirmant nos idées préconçues. Tout simplement parce que rester dans notre zone de confort et maintenir le statu quo demande moins d’énergie à notre cerveau que de se questionner et de se confronter à différents points de vue. Or, la pensée critique est un ingrédient indispensable à la bonne prise de décision. Ainsi, le meilleur moyen d’échapper aux biais cognitifs liés au stress, est de reconnaître ses capacités individuelles limitées, puis de solliciter un avis extérieur pour avoir un vrai regard critique sur ses actions et décisions.
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On dit que le stress est communicatif, est-ce vrai ?
Pour mieux comprendre l’effet du stress au sein d’un groupe d’individus, des chercheurs ont mené des expériences sur des primates. Dans un premier temps, ils leur faisaient subir un stress chronique, puis ils regardaient la quantité d’ulcères qu’ils développaient. Ensuite, ils faisaient entrer des primates dominés dans la pièce. Ils ont remarqué que le primate stressé allait taper sur le primate dominé et en faisant cela, il avait moins d’ulcères. Comme chez les primates, l’agressivité envers des individus dominés est une méthode, pour nous humains, de relâcher la pression. Comment peut-on expliquer cela ? Quand on est stressé, on a un besoin, très souvent inconscient, de réaliser une ascendance de pouvoir sur l’autre. Cela nous réconforte, un peu comme si on nous donnait un morceau de sucre. En fait, ce n’est pas tellement que l’on communique notre stress aux autres, c’est plutôt que pour se sentir mieux, on va agresser les autres, souvent d’une manière psychologique. Par exemple, un manager stressé va traiter injustement les membres de son équipe, leur donner des tâches irréalistes ou aller à l’encontre du code éthique de l’entreprise. On parle des managers qui n’ont pas d’ulcères mais qui en donnent. L’agressivité comme réponse au stress est un réflexe tout à fait humain. Mais il est important que les managers et dirigeants en soient conscients et parviennent à prendre le recul nécessaire pour corriger ce travers et éviter de le faire subir à leurs équipes.
Quelles sont les bonnes pratiques en matière de management du stress ?
On a tendance à associer le management du stress à la mise en place dans les entreprises de séances de yoga, de massages, d’ateliers de méditation… Ces initiatives sont efficaces pour traiter les conséquences du stress, comme le mal de dos ou les douleurs musculaires, mais elles ne sont pas suffisantes ! Il faut aussi et surtout s’attaquer aux sources du stress. Les managers doivent se demander : qu’est-ce qui peut être perçu comme une menace par les employés ? Est-ce qu’il y a suffisamment de communication, d’équité, de transparence, de cohésion d’équipe, de feedback, etc ? Autant de paramètres qui doivent être monitorés en permanence pour maintenir un environnement de travail sain et serein.
Quels conseils supplémentaires donneriez-vous pour gérer efficacement le stress des équipes ?
Reconnaître que le burn-out n’est pas une responsabilité individuelle mais collective. Il faut arrêter de pointer un·e employé·e du doigt en lui disant que c’est de sa faute s’il / elle est stressé·e. C’est au collectif, à l’entreprise, de se remettre en question et de se demander : comment faire pour que les membres du groupe s’entraident et ne soient pas des menaces les uns pour les autres ?
Favoriser l’intelligence collective permet de lutter contre les biais cognitifs. La métacognition, autrement dit « se regarder penser », n’est pas un exercice facile. Ainsi, faire en sorte que les actions d’un·e manager·euse soient toujours soumises au regard critique de 2 ou 3 autres manager·euses, est un bon moyen d’améliorer la prise de décision et de limiter le stress qui résulte d’un management inefficace.
Renforcer la cohésion d’équipe est efficace pour réduire le stress lié à un climat de travail difficile ou à un sentiment d’exclusion, parfois ressenti en télétravail. La force du collectif est d’autant plus cruciale en temps de crise. On l’a vu avec la pandémie de Covid-19, mais aussi pendant la crise économique de 2008 : l’esprit d’équipe joue un rôle décisif dans la survie des entreprises.
Maintenir une communication efficace et humaine. Les manager·euses doivent doser leur communication, c’est-à-dire ne pas communiquer trop ni pas assez. Il faut par exemple en finir avec les meetings et emails inutiles. Aussi, il est important d’adopter une communication chaleureuse. On confond souvent sérieux et manque de chaleur. Or, on peut parfaitement être professionnel tout en se montrant amical et bienveillant.
Oser parler de sentiments et faire preuve d’empathie. Il n’y a pas de meilleur remède au stress que la libération de la parole, surtout en cette période tourmentée. Pandémie de Covid-19, conflit russo-ukrainien, rapport du GIEC 2022 : avec ce contexte anxiogène, il est d’autant plus important de légitimer l’expression des sentiments dans la sphère professionnelle. Les manager·euses doivent aussi faire preuve d’empathie envers leurs employé·es, dont la vie personnelle et familiale n’est pas toujours simple à gérer.
Enfin, pour être un·e bon·ne leader, Samah recommande de faire preuve de discernement et de choisir ses batailles. Mieux vaut donc concentrer ses efforts sur les choses sur lesquelles on a le pouvoir d’agir afin de préserver un environnement de travail sain… comme le management du stress des équipes.
Photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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