Managers, et si vous deveniez secouristes en santé mentale ?
27 déc. 2023
4min
Nous connaissons tous les formations aux gestes qui sauvent, mais saviez-vous qu’il existe le pendant en matière de santé mentale ? Un programme qui mériterait d’être suivi par l’ensemble des managers.
« Depuis que j’ai suivi la formation aux premiers secours en santé mentale (PSSM), j’ai l’impression d’être plus attentif aux signaux de détresse, et surtout d’avoir davantage de clés pour les interpréter », nous confie Michael, directeur dans la grande distribution depuis plus de 20 ans. Sensibilisé à la thématique de la santé mentale depuis l’enfance, il désirait cependant en savoir plus sur les troubles mentaux, les symptômes dépressifs, la psychologie… « Bien sûr, on ne peut pas approfondir tous ces sujets, le domaine est si vaste et complexe, mais cela nous donne des outils pour aborder humblement certaines situations », poursuit-il, persuadé que tous les managers devraient suivre ce programme et en faire l’un des fondamentaux de leur pratique.
La formation aux Premiers Secours en Santé Mentale a mis 20 ans à arriver en France
Née en Australie dans les années 2000, la formation aux Premiers Secours en Santé Mentale aide à appréhender les grands thèmes comme la dépression, la crise suicidaire, les troubles anxieux (anxiété généralisée, phobie sociale, agoraphobie, etc.) et les crises qui y sont associées (attaque de panique ou stress post-traumatique). Elle traite également les troubles psychotiques (schizophrénie par exemple), et les troubles liés à la prise de substances comme l’alcool ou autres drogues, souvent liés à un trouble anxieux ou dépressif.
En France, nous avions jusqu’ici un wagon de retard puisque cette formation s’est développée depuis la crise sanitaire. « On parle de risques psycho-sociaux (RPS) depuis plus d’une décennie, mais on abordait le sujet sous le prisme réglementaire, et les managers ne s’en emparaient pas. De plus, on intervenait rarement sur un terrain sain. On faisait plus de la gestion de crise que de la prévention », souligne Noémie Guerrin, formatrice aux PSSM et fondatrice du cabinet Santé du dirigeant. Même s’il reste du chemin à parcourir, elle se félicite de la démocratisation du sujet de la santé mentale, qui se teinte de plus en plus d’humanisme, quand il était autrefois cantonné au juridique. D’après elle, cette mutation a été en partie accéléré par le développement du télétravail depuis la période COVID. Cela a accentué le brouillage des frontières entre vie professionnelle et personnelle, rendant caduque la vision selon laquelle il est possible de laisser ses problèmes à la maison, et vice versa.
« La formation m’a aidée à retrouver de la compassion »
Car mettre un voile sur ces problématiques, c’est aussi omettre un chiffre sans appel : un Français sur quatre souffre de troubles psychiques. Or, en entreprise, ces troubles ne s’évaporent pas d’un coup de baguette magique ! Certaines personnes travaillent même avec des pathologies très sévères, comme Marie a pu en faire l’expérience. Alors qu’il s’agissait de son premier poste de management, elle s’est retrouvée à la tête d’une équipe de 15 personnes dans la fonction publique, dont trois agents rencontraient des problématiques de santé importantes qui impactaient leur posture professionnelle. « J’ai notamment découvert que l’un d’eux avait des hallucinations, il poussait de nombreux cris au quotidien, ce qui était très difficile pour toute l’équipe car nous avions peur de lui et peur pour lui », explique-t-elle.
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Au départ, la prise de conscience de sa hiérarchie tarde à arriver. Puis Marie commence à réaliser des signalements jusqu’à ce que sa direction réagisse, notamment en formant toute l’équipe aux Premiers Secours en Santé Mentale. « Il ne s’agissait pas pour moi de me mettre dans la posture d’un médecin ou de poser un diagnostic, mais cela m’a permis de me donner des points de repère pour graduer ses réactions et savoir quand je devais demander de l’aide aux RH ou à l’assistante sociale. La formation m’a aussi aidée à déculpabiliser, car j’ai compris que non, le problème n’était pas que je ne voulais pas être inclusive. J’ai aussi retrouvé davantage de compassion envers cette personne, en découvrant l’enfer qu’elle vivait au quotidien », résume-t-elle.
Cette formation a par ailleurs joué un rôle personnel pour Marie. En effet, « il n’est pas rare que cette formation serve de catalyseur aux managers qui peuvent prendre conscience de leur propre vulnérabilité, et parvenir ainsi à mettre des mots sur leur ressenti », souligne Noémie Guerrin. Cela a été le cas pour la jeune manager qui a compris la nécessité de se protéger si cette situation venait à perdurer, et que des mesures n’étaient pas prises pour traiter en profondeur le sujet.
Former les managers oui, mais pas pour leur mettre encore plus de pression !
Comme dans le cas de Marie, qui estime que la situation n’est pas encore réglée, il ne faut pas croire que la formation PSSM arrange tout en un clin d’œil. Noémie Guerrin voit ainsi de nombreux managers qui peuvent se retrouver chamboulés par cette formation. Promus pour leur expertise et objectivés sur la base de la performance chiffrable et non pas de l’aspect humain, ils se retrouvent parfois face à des injonctions paradoxales. « Il ne faut pas mettre trop de pression sur ces managers une fois qu’ils ont suivi cette formation. Ce ne sont pas des psy. Passer de la posture de manager à secouriste peut être questionnant. Avec cette formation, il s’agit avant tout d’apprendre à réinvestir la relation sur le temps long. On comprend qu’un sujet douloureux ne peut pas être traité en deux entretiens », explique la formatrice.
Finalement, être secouriste en santé mentale, c’est repérer les signaux, faire preuve de bienveillance et d’écoute active, savoir demander soi-même de l’aide quand on est dépassé par les événements, et surtout agir en prévention pour éviter que des situations nocives se répètent. Pour Michael, cette formation offre un « changement de perspective pour l’observateur. Cela lui permet peut-être de trouver les bons mots au bon moment pour venir en aide aux personnes en détresse ». Convaincu que prendre soin de soi, c’est aussi prendre soin des autres, il engage les managers à se former pour démystifier les problématiques liées à la santé mentale. Car, en fin de compte, n’est-ce pas le manque de connaissance ou la crainte d’être soi-même touché par les problématiques de santé mentale qui conduisent à la stigmatisation ? « Ces sujets peuvent faire peur dans l’entreprise où l’on nous demande toujours d’être dans la performance, d’être fort, ne pas montrer nos faiblesses (surtout pour les managers et l’encadrement). Il faut considérer que la santé mentale est comme la santé physique. C’est évident mais dans les faits, ça ne l’est pas ! », conclut-il.
Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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