Parent solo ou en garde alternée : faut-il aborder le sujet en entretien d’embauche ?

06 juin 2024

6min

Parent solo ou en garde alternée : faut-il aborder le sujet en entretien d’embauche ?
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e.s

Que l’on soit parent solo ou séparé·e en garde alternée, combiner sa vie pro et perso est une tâche ardue. Dans ce contexte, que dire de sa situation personnelle en entretien d’embauche ? Faut-il aborder le sujet pour plus de transparence quant aux contraintes qui pèsent sur ses épaules, ou au contraire les taire pour ne pas « effrayer » le recruteur ?

Moins de flexibilité sur les horaires, moins de disponibilité pour gérer les imprévus, potentiellement plus d’absences pour cause d’enfant malade, des déplacements professionnels difficiles à organiser, l’impasse sur les afterworks et les dîners d’affaires, une énergie limitée… Les a priori pesants sur les salarié·e·s séparés sont aussi lourds que leur charge mentale. Des contraintes liées à leur situation personnelle qu’ils portent en bandoulière et qui parfois ralentissent la carrière quand elles ne discriminent pas à l’embauche. Sauf qu’avec plus d’un enfant sur dix qui vit en résidence alternée et une famille sur quatre qui est monoparentale en France (dont 84 % de mères seules) d’après l’Insee, difficile d’ignorer la situation de ces nombreux foyers comprenant autant de parents qui doivent péniblement jongler entre impératifs familiaux et professionnels. De là, à aborder de but en blanc le sujet sans détour en entretien d’embauche ? Dans un monde du travail idéal et 100 % transparent, on aimerait répondre par un grand « oui », mais dans la réalité, la réponse de nos expertes est plus nuancée.

Cachez cette parentalité (asymétrique) que je ne saurais voir

En théorie, le cadre légal de l’entretien d’embauche interdit aux employeurs de poser des questions liées à la vie privée des candidats comme leur religion, leur lieu d’habitation ou leur situation maritale. Mais dans les faits, il n’est pas rare d’évoquer sa situation familiale : on cache rarement qu’on a des enfants. Un sujet qui arrive souvent comme un cheveu sur la soupe dans la discussion : « Si le recruteur n’a pas le droit de poser la question - avoir des enfants n’ait pas une compétence professionnelle -, il arrive fréquemment que ce soit le candidat qui le mentionne, explique Marie-Sophie Zambeaux, experte en recrutement. Certains le précise même dans leur CV “père de trois enfants” par exemple. À partir du moment où ça vient du candidat, ça ouvre une porte pour le recruteur comme tout ce qui est mentionné dans le CV. » De même, il n’est pas rare d’évoquer sa maternité au moment de dérouler son parcours professionnel. « Pour expliquer certains “trous”, parfois certains revirements professionnels comme un changement de boîte ou de métier, il n’est pas rare que les femmes évoquent leur maternité, car ce sont souvent des moments de rupture ou du moins des moments propices pour opérer une bascule professionnelle », précise Marie-Sophie.

Si le fait d’être parent est rarement tabou au sein des entreprises qui recrutent (et si c’est le cas, fuyez !), en revanche, le fait d’évoquer sa séparation et les problématiques de garde qui en découlent n’est pas forcément ce qu’il y a de plus stratégique lors d’un entretien d’embauche qui, doit-on le rappeler, est une opération séduction. « Un erreur de recrutement se paie tellement chère en entreprise, que les recruteurs cherchent à prendre le moins de risques possibles, introduit Pauline Rochart, consultante spécialiste de l’égalité professionnelle. Malheureusement, annoncer d’emblée : “Je suis divorcé·e, une semaine sur deux je serai moins disponible” ou “j’élève seul·e mes enfants”, envoie comme signal : “Avec cette personne, ça s’annonce plus compliqué”. » À compétences égales, il y a alors de fortes chances que le recruteur se tourne vers un autre candidat. Un constat un brin amer mais bien réel. « Le monde du travail n’est pas celui des bisounours, mieux vaut jouer la sécurité », recommande encore notre experte.

S’il n’est pas forcément stratégique de le dire de but en blanc, des solutions existent tout de même pour aborder la question de façon subtile et/ou de s’assurer de la compatibilité du potentiel futur poste avec ses contraintes personnelles, sans risquer de se faire disqualifier d’office.

Conseils de sioux pour sonder le sujet

1. Passer l’offre d’emploi à la loupe

Avant même de s’engager dans un entretien d’embauche, Marie-Sophie Zambeaux recommande de scruter avec attention les informations contenues dans l’offre d’emploi, qui souvent donne les premières billes pour se faire une idée de l’adéquation du poste avec son mode de vie. « La lecture de l’offre éclaire déjà le candidat sur la question, même si souvent, il faut tout de même aller jusqu’à l’entretien pour creuser et préciser certains points. Les horaires n’y figurent pas toujours, mais si par exemple le poste nécessite des déplacements ou des jours d’astreinte où le salarié est obligé d’être disponible, généralement c’est mentionné », remarque-t-elle.

2. Poser (un max) de questions

Dans bien des cas, a fortiori pour les profils cadres, le travail déborde sur les horaires officiels. Il ne faut donc pas hésiter à creuser sur les missions du poste, propose Pauline Rochart. « Dans la culture, l’événementiel, les métiers du loisir ou encore le tourisme pour ne citer qu’eux, il faut souvent être présent à des événements le soir ou le week-end. Le candidat peut tout à fait demander si sa présence est obligatoire ou optionnelle. De même, dans la discussion, chercher à savoir si on doit rester joignable en dehors du temps contractuel, et si oui, à quelles conditions ? Tout ce qui permet de glaner des informations pour se faire une opinion sur les conditions du poste, sans avoir besoin d’évoquer sa situation personnelle. »

3. Jauger la culture d’entreprise

D’autres critères que les horaires peuvent permettre d’adapter sa vie pro à ses impératifs persos, et les parents séparés ont tout intérêt à miser dessus. « Si le salarié bénéficie d’une grande autonomie dans la réalisation de ses tâches ou si l’entreprise propose des jours de télétravail, c’est bon signe car cela garantit une certaine flexibilité », analyse Marie-Sophie Zambeaux. En effet, être en télétravail en fin de semaine peut, par exemple, permettre de faire les allers-retours entre deux maisons pour ceux qui fonctionnent en garde alternée, ou encore permettre de caser un rdv médical pour les parents solo. De même, être autonome dans son travail offre la possibilité de faire une coupure à l’heure de la sortie d’école, quitte à reprendre son dossier plus tard chez soi. Évidemment, ce type d’aménagements est davantage l’apanage des professions cadres.

4. Mener l’enquête auprès des salariés

« Entrer en contact avec des anciens ou actuels collaborateurs permet de connaître les véritables pratiques de l’entreprise en matière de parentalité », suggère aussi Pauline Rochart qui, par expérience, sait qu’il existe parfois un fossé entre les valeurs affichées par une organisation et la réalité vécue par les salariés. « Avec l’un de ses pairs, il est plus facile de poser des questions pragmatiques liées aux horaires ou aux usages et surtout de demander comment cela est perçu en interne », ajoute-t-elle.

5. Le dire… tout en étant rassurant

Si on ressent le besoin d’évoquer sa situation familiale lors de l’entretien, on peut tout de même le faire bien sûr, tant que l’on donne des arguments rassurants. « On peut expliquer que dans notre poste actuel ça ne pose aucun problème, que notre organisation est rodée, qu’on a mis en place des solutions de garde efficaces… En fait, présenter les choses en mettant en avant les aspects positifs sans donner trop de détails. Ces parents font preuve d’une grande adaptabilité, sans parler des mères solos qui ont toujours un plan B, C, D pour tout gérer. Les recruteurs gagneraient à prendre en compte ces qualités, très utiles en entreprise », conclut Pauline Rochart.

Si on choisit de faire l’impasse sur ce sujet en entretien d’embauche pour être sûr de ne pas se faire disqualifier, est-ce une bonne idée de ne rien dire, et d’imposer ses conditions une fois en poste ? « Je ne le recommande pas ! », affirme Marie-Sophie Zambeaux. Pour l’experte en recrutement, ce jeu de dupes peut se retourner contre nous. « Le processus de recrutement sert à valider des deux côtés, la compatibilité entre un poste et un candidat. Mentir sur sa disponibilité, pour ensuite essayer de passer en force au moment de signer le contrat ou une fois en poste, risque de sérieusement agacer le recruteur qui aura passé beaucoup de temps à miser sur notre profil et qui aura écarté d’autres candidatures intéressantes. Si un point est bloquant, il faut le négocier avant. » Pauline Rochart quant à elle, est moins catégorique, dans la mesure où le salarié n’est pas empêché de réaliser certaines missions : « On peut très bien commencer le job sans l’avoir jamais évoqué, et utiliser la période d’essai pour s’assurer que cela fonctionne. Par exemple, on n’a pas besoin de justifier le fait de refuser une réunion après 18h. Si ça ne passe pas, ça n’augure rien de bon pour la suite. »

En note positive, Marie-Sophie Zambeaux observe tout de même une évolution des mœurs de la part des entreprises qui va dans le bon sens : « Les entreprises prennent de plus en plus en compte le fait que les salariés sont des humains avec une vie personnelle. Plusieurs d’entre elles mettent en place des politiques parentales à l’écoute des besoins des familles. Là où il y a quinze ans, ça aurait été tout bonnement impossible de parler de ses problématiques de garde, aujourd’hui ça l’est davantage, selon qui vous avez en face de vous bien sûr. »

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Article écrit par Aurélie Cerffond, édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps.

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