Travail et parentalité : comment la crise a redéfini la paternité

23 juin 2020

3min

Travail et parentalité : comment la crise a redéfini la paternité
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Alors que des millions de pères habitués à travailler au bureau ont été plongés dans le télétravail domestique, et que beaucoup d’autres se sont trouvés au chômage technique, le confinement aura marqué un tournant pour la paternité. Dans de nombreux cas, les pères auront été le parent principal d’enfants privés d’école, pendant que leur conjointe travaillait dehors (par exemple, dans les hôpitaux). Dans d’autres cas, des pères peu habitués à voir autant leurs enfants ont appris à être plus impliqués dans leur éducation, et dans les tâches domestiques qui y sont liées.

Et si la crise actuelle était une belle occasion de mettre la paternité sous le feu des projecteurs, de rendre les pères plus visibles, et de faire de la paternité un sujet pour les entreprises ? Certain.e.s observateurs/observatrices y voient un tournant culturel historique et l’ont même comparé au tournant de la Seconde Guerre mondiale pour l’entrée des femmes sur le marché du travail. À l’époque, des millions de travailleuses dans les usines d’armement ont prouvé que les femmes pouvaient être des ouvriers comme les autres. Aujourd’hui, ce sont des millions de pères qui prouvent qu’ils peuvent être des parents comme les autres.

De nombreuses études ont montré qu’un congé paternité plus conséquent avait une influence de long terme sur l’implication des pères dans l’éducation de leurs enfants. C’est la raison pour laquelle on s’est emparé depuis quelques années de ce sujet du congé paternité comme d’un fer de lance pour faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes. Juste avant la pandémie, 105 entreprises françaises ont pris le sujet à bras le corps en s’engageant à allonger le congé paternité. Le « Parental Act », une charte prévoyant la prise en charge d’un « congé second parent » de quatre semaines au minimum, marque un changement de paradigme dans un pays où le congé paternité n’est que de 11 jours.

Pour de nombreux pères, le confinement aura été une sorte de congé paternité forcé de plusieurs mois. On peut donc imaginer que cette période marquera un tournant durable dans le rapport à la parentalité, l’implication des pères et leurs aspirations. Pour les entreprises aussi, forcées de « ménager » leurs employé.e.s parents confiné.e.s à la maison avec des enfants, c’est une situation qui marque une opportunité unique de faire avancer la diversité femmes / hommes dans l’entreprise. 

En effet, si la différence de durée des congés des parents est moins grande, et si l’implication des pères et des mères dans la vie des enfants est comparable, alors il y a moins de raisons de faire de la discrimination contre les mères en entreprise. Car c’est bien avec la parentalité que les discriminations sont les plus fortes. Même au Danemark, qui est pourtant l’un des pays les plus égalitaires au monde, les revenus moyens d’une femme baissent de 30% pendant les années qui suivent la naissance d’un enfant. On dit souvent que les carrières des hommes sont « boostées » quand ils deviennent pères, tandis que celles des femmes connaissent un important ralentissement. 

Dans certains pays, comme le Japon et l’Allemagne, l’arrivée d’un enfant marque souvent pour les femmes l’entrée dans le travail à temps partiel, et le creusement des inégalités économiques avec leur conjoint. À cause de cette différence entre maternité et paternité, les arbitrages économiques dans les foyers se font plus systématiquement à la défaveur des mères. Ces arbitrages sont rationnels : la carrière de la femme est mise au second plan parce que c’est elle qui « rapporte » moins au foyer. Et c’est ainsi que l’investissement féminin au travail peut être ralenti et que les inégalités s’accumulent et s’amplifient avec le temps (à la retraite, la différence entre hommes et femmes représente le double de la différence moyenne de revenus dans la vie active). 

Comme l’explique Hélène Périvier, économiste à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE), « réformer l’architecture des congés parentaux permettrait d’agir sur cette discrimination indirecte qui pèse sur les femmes qui travaillent ». Pour mettre les hommes et les femmes sur un pied d’égalité, et avoir un impact durable sur les carrières féminines, il est donc essentiel de permettre aux pères d’assumer une part plus importante des responsabilités parentales. 

En cela, les entreprises ont un grand rôle à jouer. Quelles que soient les dispositions légales, elles peuvent offrir davantage à leurs salarié.e.s, et porter leurs efforts en particulier sur les pères. Ce faisant, elles peuvent créer un environnement plus inclusif et mobilisateur. Les parents qui se sentent mieux soutenus par leur employeur réussissent mieux en tant que parents, mais sont aussi plus investi.e.s au travail. Ils/elles développent des qualités de leadership pour le plus grand bénéfice de l’entreprise. 

Saisissons donc l’opportunité de faire un saut de génération ! En faisant de la flexibilité par défaut pour les hommes comme pour les femmes, en « ménageant » les emplois du temps et les contraintes de chacun.e, et en offrant des congés paternité alignés sur ceux des mères, les entreprises feront avancer l’égalité, pour le plus grand bonheur des femmes et des hommes.

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