« Tu vas manger tout ça ? » : arrêtons de commenter l'assiette de nos collègues !
02 nov. 2023
3min
« Quoi, encore un burger ? », « Mais dis-donc tu ne manges que des graines », « Il n’y a rien dans ton assiette », « Tu vas manger TOUT ça ?! » , « Encore un plat tout fait... Tu devrais faire attention, c’est bourré de sel ! » Que vous soyez team brocolis vapeurs, frites ou un peu des deux, il se peut que votre repas soit régulièrement passé au crible par certains de vos collègues. Ces remarques qui se veulent plus ou moins bienveillantes peuvent pourtant vous agacer ou vous mettre mal à l’aise. Et si on rendait ses lettres de nos noblesses à l’expression « occupe toi de ton assiette » ?
Quoi mon assiette ? Qu’est-ce qu’elle a mon assiette ?
Le rapport à la nourriture a cela de particulier qu’il est à la fois social et intime. Social, parce que les repas sont souvent des moments partagés, emprunts de rituels et d’habitudes communes, et intimes parce qu’à travers le rapport à la nourriture se joue une partie de notre identité. Il est lié à notre histoire, aux souvenirs des repas de famille, à notre culture aussi. Cette dimension intime relève également du lien très fort entre rapport à la nourriture et rapport au corps. Or rares sont les personnes qui l’abordent de façon totalement neutre.
Mais alors pourquoi ces remarques nous gênent autant ? D’une part, parce qu’elles appellent des justifications que nous n’avons pas forcément envie de donner. Flûte alors, comme le demandait déjà ce bon vieux Stephen Eicher en 1993, est-ce que vous pouvez nous laisser « déjeuner en paix ! » ?
Et puis, quand on critique notre assiette, on peut avoir l’impression qu’on nous critique en tant que personne, qu’on dresse notre portrait-robot de façon très partielle et hypothétique en louchant sur nos haricots. « Hum, il mange du quinoa avec du tofu grillé, il doit être comme ci », « Han, elle mange une pizza accompagnée d’un Coca même pas 0, elle doit être comme ça ». Cela donne le sentiment de renvoyer une image qu’on ne maîtrise pas.
C’est d’ailleurs d’autant plus agaçant dans le cadre du travail où nous avons encore moins envie de recevoir des conseils non sollicités à propos de nos choix personnels. C’est aussi un contexte où les enjeux liés à la confiance en soi sont importants pour les individus : il faut faire partie intégrante du collectif, construire son évolution professionnelle dans l’organisation, renvoyer une bonne image de soi…
« Cachez ce gras que je ne saurais voir » : les repas sont partagés, les névroses sont (parfois) cachées.
« Moi, je ne peux pas manger comme toi sinon je grossis direct ». En plus d’être culpabilisante, une telle remarque peut vous faire reconsidérer votre assiette autrement : « Bah oui, c’est vrai ça, j’ai peut-être un peu abusé sur la mayo… » C’est la diet culture, c’est-à-dire la culture du régime et de la minceur à tout prix, qui s’invite à votre table et s’installe même dans un petit coin de votre cerveau.
Cette diet culture se manifeste par exemple quand un de vos collègues se lamente d’avoir trop mangé lors d’un repas de famille alors que la saison des bikinis approche, ou quand quelqu’un justifie de grignoter des sucreries dans la journée car « avec tout le sport que je fais, je peux me le permettre ! » Le problème de la diet culture, c’est qu’elle cache souvent une forme de grossophobie, consciente ou non.
Par exemple, dire à un·e collègue en train de déguster un burger frites : « Purée, je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi mince alors que tu manges autant, j’aimerais être comme toi » pose plusieurs problèmes.
Déjà, nous ne connaissons rien de l’histoire de cette personne. Peut-être que c’est simplement sa morphologie qui est ainsi, mais peut- être aussi qu’elle souffre de Trouble du Comportement Alimentaire (TCA) ou a minima d’une relation compliquée avec la nourriture. Même si ce n’était pas le cas, elle a juste témoigné de sa joie face à ce repas et vous la ramenez à son physique. Ce qui pourrait laisser s’installer un nuage gris au-dessus de son assiette voire de sa tête pour le reste de la journée.
D’une sensibilité à une autre : des problématiques loin d’être secondaires
Si pour certains, ces interactions n’auront aucune incidence directe, cela les fera sans doute rire et ils passeront à autre chose rapidement, pour d’autres ces remarques peuvent ramener à plusieurs problématiques, par exemple un rapport complexe à l’alimentation ou encore un manque de moyens financiers pour s’offrir des repas équilibrés, consistants…
Selon la Fondation pour la Recherche Médicale, si l’on englobe toutes les formes de Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) de la plus « anodine » à la plus pathologique et handicapante, on estime que 10 % de la population pourrait être concernée et 80 % des cas environ concernent des femmes. Ce n’est donc pas rare ! Or il faut également bien comprendre que les commentaires sur l’alimentation et le poids adressés aux personnes atteintes de ces troubles ne font qu’empirer la maladie.
Si ces commentaires vous pèsent au quotidien, que vous ayez simplement envie qu’on vous foute la paix ou que vous soyez profondément déstabilisé par ces derniers, n’ayez pas peur d’être celui ou celle qui « casse l’ambiance ». Vous avez le droit de verbaliser votre inconfort ! Pour désamorcer la situation sans prendre le risque de braquer votre interlocuteur, parlez de vous et de votre ressenti, exprimez cette gêne ou cet agacement.
Pour celles et ceux qui ont tendance à faire ce genre de remarques, n’oubliez pas que les mots ont du pouvoir et que vos bonnes intentions peuvent parfois avoir un impact négatif sur les autres. Nous sommes tous empreints d’idées-préconçues sur tout y compris la nourriture, les maladresses sont donc normales. Néanmoins, il relève de notre responsabilité de tenter de s’en détacher et d’agir différemment.
Les repas sont de formidables moments de convivialité et de détente entre collègues, alors pourquoi les polluer avec des commentaires qui peuvent heurter ? Peut-être que nous pouvons, individuellement et collectivement tenter d’aborder la thématique de la nourriture différemment. Ce ne sont pas les sujets qui manquent !
Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps.
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