Philo Boulot : et si on déclarait la fin du travail ?
13 avr. 2021
PHILO BOULOT - Pourquoi je me sens aliéné·e dans mon travail ? D’où vient cette injonction à être productif·ve ? De quels jobs avons-nous vraiment besoin ? Coincé·e·s entre notre boulot et les questions existentielles qu’il suppose, nous avons parfois l’impression de ne plus rien savoir sur rien. Détendez-vous, la professeure agrégée en philosophie Céline Marty convoque pour vous les plus grands philosophes et penseurs du travail pour non seulement identifier le problème mais aussi proposer sa solution.
À cause de la robotisation, de l’informatisation et des délocalisations, on entend de plus en plus parler de la fin du travail. Le travail, qui occupe aujourd’hui la majeure partie de nos existences, va-t-il prendre moins de place et de temps ? Pour faire quoi d’autre ? Peut-être qu’un jour, l’époque du métro-boulot-dodo sera perçue comme un Moyen-âge obscur où une grande partie de l’humanité a gâché sa vie… à brasser de l’air. Alors, allons-nous connaître un jour la fin du travail ?
Deux chercheurs déclenchent ce débat en 1995, avec deux livres : l’économiste américain Jeremy Rifkin avec La fin du travail et la sociologue et philosophe française Dominique Méda avec Le travail, une valeur en voie de disparition ? Pour eux, le besoin de travail dans les pays développés diminue, en raison de la mécanisation et de la délocalisation d’une partie de l’agriculture et de l’industrie. Donc, les gens cherchent du travail dans les services, les métiers du numérique, les livraisons à vélo et les professions libérales ou intellectuelles, mais les besoins de travail ne sont pas illimités. On en vient à inventer des services de plus en plus artificiels, juste parce qu’on y voit un nouveau marché inexploré. Après Deliveroo, les promenades de chiens et les applis de jeux en ligne, a-t-on vraiment besoin d’inventer de nouveaux produits à consommer ?
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Dominique Méda propose de réduire le temps de travail global pour mieux le partager et éviter que certains ne fassent des horaires à rallonge tandis que d’autres n’ont pas d’emploi. Moins de livreurs de pizzas, mais plus de soignants à l’hôpital ! Elle propose aussi de revaloriser les loisirs, les activités associatives ou politiques, pour qu’il soit bien vu socialement de faire autre chose que son emploi.
Végétaliser son quartier, raconter ses lectures sur Youtube, cuisiner, jouer de la musique, passer du temps avec ses proches, tout cela peut aussi nous épanouir de façon moins stressante que le travail parce que notre survie n’en dépend pas.
Mais des sociologues, comme Dominique Schnapper, et des philosophes comme Frank Fischbach lui répondent que les Français aiment toujours le travail : c’est la deuxième valeur la plus importante après la famille. Et ce sentiment est plus important que dans n’importe quel autre pays européen. Malgré la mécanisation, le travail ne disparaît pas et les travailleurs continuent d’y projeter leurs attentes, espoirs et projets. S’il est de plus en plus flexible, précaire et individualisé, le travail reste malgré tout l’activité principale des individus, par laquelle ils obtiennent des revenus et des droits sociaux. Pour Fischbach et Schnapper, l’urgence c’est d’améliorer les conditions de travail. Mais en disant ça, on ne remet pas en question l’existence des bullshit jobs et de tous les produits qu’on consomme sans en avoir besoin.
Organiser différemment la société
Dans cette vraie battle philosophique, Méda leur répond que ce que les travailleurs attendent du travail, l’épanouissement, la fierté, l’utilité, pourrait être satisfait autrement : on peut se sentir utile par une activité bénévole, un engagement politique ou un loisir. Végétaliser son quartier, raconter ses lectures sur Youtube, cuisiner, jouer de la musique, passer du temps avec ses proches, tout ça peut aussi nous épanouir de façon moins stressante que le travail parce que notre survie n’en dépend pas. Bref, si nos attentes peuvent être satisfaites autrement que par le travail, et si on a moins besoin de travail qu’il y a un siècle, on pourrait peut-être organiser différemment la société.
Les partisans de la fin du travail ne disent pas que le travail va disparaître tout seul, automatiquement, mais que c’est le bon moment pour transformer la société, en réduisant le temps de travail, la production et la consommation de certains services et biens artificiels. Ils présupposent que certains emplois sont superflus et pourraient être soit remplacés par la mécanisation et l’informatisation, soit supprimés s’ils sont jugés inutiles socialement voire néfastes à l’humain comme à l’environnement. Genre, la pub.
Il faudrait aussi transformer notre protection sociale pour qu’on ne soit pas obligé de trouver n’importe quel emploi, même le plus bullshit, pour survivre. Le travail sous la forme d’un emploi qui donne des revenus et des droits sociaux, n’a pas toujours eu ce rôle social central et on pourrait organiser différemment la production pour proposer d’autres façons de vivre et d’agir ensemble. Cela pourrait être l’occasion de produire moins, travailler moins, consommer moins pour vivre mieux et préserver la planète en gaspillant moins de ressources. Alors, ça vous tente ?
Cet article est issu du premier épisode de notre série qui croise philosophie et travail, Philo Boulot. Elle a été écrite et réalisée en partenariat avec la chaîne YouTube META.
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Inspirez-vous davantage sur : Céline Marty
Agrégée de philosophie et chercheuse en philosophie du travail
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