« Les pires rumeurs que j’ai dû gérer en tant que manager »

« On me prêtait une liaison avec mon collègue gay »

Malika, 48 ans, directrice dans la finance

« J’ai été mutée à la tête d’une nouvelle agence et suis vite devenue proche de l’un de mes collègues. On s’entendait bien, on déjeunait souvent ensemble et on a commencé à se voir en dehors du travail. Parfois même avec mon mari et son compagnon. Il est gay, mais préférait ne pas l’ébruiter au travail. J’étais donc la seule à le savoir et respectais son secret. Après quelques mois, ça a commencé à jaser : on me prêtait une liaison avec lui ! Au début ça nous a fait rire, puis j’ai commencé à être mal à l’aise à l’idée que mon équipe ait cette image de moi. J’y pensais quand nous étions en réunion ou chaque fois que je croisais quelqu’un dans un couloir. C’était gênant. D’autant que mon mari passait parfois à l’agence et se retrouvait à discuter avec lui. Du point de vue de ceux qui me pensaient dans une relation adultère, ça pouvait paraître vraiment malsain. Mais mon ami ne voulait pas révéler son homosexualité au travail par peur de se faire harceler ou discriminer, donc je ne pouvais pas vraiment contrer cette rumeur. Ça a duré comme ça quelques mois. Ensuite il a été muté et une nouvelle rumeur a émergé : celle que l’ancien banquier était gay ! (rires) Je n’ai jamais réagi à cette nouvelle rumeur non plus et nous sommes toujours bons amis aujourd’hui. »

• Moralité : une rumeur peut en remplacer une autre.

« Mon départ était annoncé alors que je n’avais rien décidé »

Annie, 48 ans, cheffe d’équipe dans l’administratif

« À ce moment-là, je ne cherchais pas forcément de travail, mais une opportunité s’est présentée dans un autre service. J’ai donc passé les entretiens et attendu la proposition salariale pour me décider. Mais nous avons subi une cyberattaque massive et le processus de recrutement a été retardé. Pourtant, une personne est venue m’informer que les membres de mon équipe racontaient que j’allais partir… La rumeur a fuité hors du service et des suppositions ont été faites : comme ma relation avec ma directrice était un peu compliquée, on disait que je partais de l’entreprise à cause d’elle. Ce qui était faux ! J’ai dû intervenir car cela prenait trop d’ampleur et je ne voulais pas que l’on raconte n’importe quoi. Notre système informatique ne fonctionnant plus à cause de la cyberattaque, j’ai fait le tour des bureaux physiquement et expliqué qu’en effet j’avais postulé dans un autre service, mais que rien n’était encore acté. J’ai une petite idée de qui aurait pu lancer cette rumeur, mais on ne sait jamais avec certitude… »

• Moralité : mieux vaut tuer une rumeur dans l’œuf.

« Ils se voyaient déjà au soleil ou au chômage »

Sébastien, 39 ans, directeur marketing

« Je travaille au sein du service marketing d’une entreprise américaine implantée à Paris. Alors que notre secteur a embauché en masse pendant le Covid, il a aussi beaucoup licencié après la crise sanitaire, quand le monde a repris son fonctionnement normal. Et quand les vagues de renvois ont été annoncées aux États-Unis, une rumeur a commencé à circuler chez nous : qu’ils allaient délocaliser leur antenne parisienne dans un autre pays. Certains parlaient d’Asie, d’autres d’Afrique du Nord. Certains s’imaginaient déjà mutés au soleil quand d’autres redoutaient d’être virés. C’était n’importe quoi. Plus les semaines passaient, plus on sentait que les équipes étaient crispées. Néanmoins, jamais cette possibilité n’avait été évoquée officiellement. On s’est réunis avec d’autres responsables en France et on s’est renseignés auprès de la hiérarchie. Au bout du compte, on a pu rassurer nos équipes sur le fait qu’on ne bougerait pas de Paris, et c’est retombé… Avec le recul, je trouve fascinant la façon dont se répand une fausse information et comment elle peut impacter un collectif. »

• Moralité : s’adresser à qui de droit peut éviter bien du stress.

« Les rumeurs de licenciements allaient bon train »

Maria, 34 ans, manager dans l’industrie pharmaceutique

« Il y a toujours des rumeurs dans les entreprises, surtout dans les grosses. De notre côté, on a subi une importante restructuration ces derniers mois et tout le monde a commencé à redouter une vague de licenciements. Alors qu’aucun manager n’avait reçu l’info. Mais on ne savait rien de cette nouvelle structure émergente, de l’organisation ni même de la personne qui serait nommée pour la piloter. Donc les rumeurs ont commencé à se répandre. J’ai demandé à mes responsables ce qu’il en était et on me répondait qu’il n’y en aurait pas. Dans le même temps, la direction ne s’exprimait pas directement et clairement. Sa communication était vraiment mauvaise. Elle ne rassurait pas les équipes qui ont passé 6 mois dans l’incertitude. Je peux imaginer que cette rumeur ait été lancée exprès pour détourner l’attention des effectifs… Parfois c’est dans l’intérêt de l’entreprise de laisser des rumeurs circuler sans intervenir. »

• Moralité : au travail, ne crois que ce que tu vois.

« Un voleur dans l’équipe ? »

Boris, 30 ans, responsable dans un magasin de bricolage

« Je supervise une équipe de 9 personnes dans une grande enseigne de bricolage. Il y a souvent pas mal d’histoires et de rumeurs entre les collaborateurs des grandes surfaces, surtout entre les jeunes. Ce sont des histoires d’amour, de sexe, d’amitié ou de conflits. Ça met un peu d’animation (rires). Mais l’année dernière, une rumeur est apparue au sujet d’un des gars de mon équipe avec qui je m’entends bien et en qui j’avais confiance. Quelques personnes laissaient sous-entendre qu’il volait du matériel pour retaper sa maison. Les vols d’employés sont assez courants dans ce secteur, mais on disait que lui volait des matériaux chers en grande quantité depuis un certain temps, sous mon nez. Je savais qu’il fallait réagir tout de suite car certaines personnes qui relayaient cette rumeur étaient susceptibles d’en informer notre directeur et ça pouvait me retomber dessus. On aurait même pu croire que je le couvrais. J’ai patienté une semaine pour essayer de le prendre sur le fait, mais je n’ai rien remarqué de suspect. J’ai fini par lui en parler directement et il a tout avoué. Il avait volé environ 5000 euros de matériaux en 3 mois sans que je ne m’en rende compte. Nous savions qu’il n’y avait pas de preuve concrète, donc je lui ai dit d’arrêter sous peine d’être licencié et l’ai quand même gardé dans l’équipe. C’était un choix un peu risqué, mais je suis finalement le seul à savoir que cette rumeur était vraie. Depuis, les gens parlent d’autre chose… »

• Moralité : tout se sait un jour ou l’autre.

« Un couple secret dans la rédaction ? »

Sylvie, 40 ans, rédactrice en chef

« Je supervisais une équipe d’une dizaine de personnes dans la presse régionale quand cette rumeur est arrivée à mes oreilles. À l’époque, nous avions une super cohésion d’équipe et tout le monde s’appréciait. Cependant, en quelques semaines, l’énergie du groupe a changé. Je m’en suis rendue compte, mais j’avoue ne pas y avoir prêté attention sur le moment. Jusqu’à ce que j’entende des bruits de couloir au sujet d’une relation amoureuse secrète entre deux personnes de l’équipe. On disait que la mauvaise ambiance venait du fait qu’il y avait de l’eau dans le gaz entre eux. Je ne savais pas si c’était vrai, je n’avais rien remarqué et j’estimais que ça ne me regardait pas. En tant que manager, nous devons intervenir quand l’équilibre au travail ou le bien-être de quelqu’un est menacé par une rumeur. Mais quand il s’agit d’allégations sur la vie privée des gens, c’est autre chose. Les semaines ont passé et pour moi, rien ne semblait confirmer qu’ils étaient en couple. Ni même qu’il y avait des tensions entre eux. Ils communiquaient normalement et ne paraissaient pas se considérer autrement que comme des collègues. La rumeur a circulé pendant un mois et tout le monde s’en amusait, y compris eux. Finalement, elle s’est dissipée. Deux ans plus tard, alors qu’on travaillait toujours tous ensemble et qu’on était loin de s’y attendre, ils nous ont annoncé attendre un bébé… La rumeur n’en n’était pas une ! »

• Moralité : avec le temps, va, tout s’en va.

Article écrit par Barbara Azais, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ