Travail et PMA : « La frontière vie pro/vie perso n’existe pas pour le corps »
06 mars 2023
6min
Coach certifiée en reconversion professionnelle et auteure passionnée par l’évolution du monde du travail et les profils multipotentiels.
Si un couple sur huit passe par la procréation médicalement assistée (PMA) pour avoir un enfant, les femmes seraient 58 % à le cacher au travail pour ne pas être pénalisées dans leur carrière. Un paradoxe étrange révélateur d’un réel tabou, que notre experte Sonia Valente invite à lever en entreprise comme ailleurs.
En 2021, mon conjoint et moi avons décidé d’avoir un enfant. Le présage d’une « heureuse nouvelle » qui s’est malheureusement fait attendre. Après deux fausses couches et une batterie d’examens, le couperet est tombé : mon corps n’y parviendrait pas seul. Comme de nombreuses femmes en solo ou en couple de l’Hexagone, la PMA allait devenir mon quotidien pour les prochains mois (années ?). Une épreuve personnelle non sans conséquences sur ma vie pro, qui m’a fait prendre conscience combien, aujourd’hui encore, le sujet demeure un tabou passé sous silence de façon aussi anormale qu’injuste.
Au travail, on est toujours en parcours PMA
Je trouve absurde de croire que l’on peut mettre de côté sa vie personnelle une fois l’entrée du bureau passée (ou l’écran de son ordinateur allumé pour les télétravailleurs et/ou indépendants), laissant nos soucis sur le pas de la porte, pour mieux les retrouver le soir venu. Avec les petites et grandes contrariétés du quotidien, c’est déjà une aberration. Mais lorsque vous entrez dans un parcours de PMA, c’est tout bonnement impossible. Les problèmes de fertilité sont anatomiques, hormonaux : la frontière vie pro/vie perso n’existe pas pour le corps. On est dans un parcours PMA quel que soit l’heure ou le lieu. Point barre.
La contrainte d’un nouvel emploi du temps
« Équilibre vie pro/vie perso, ça sous-entend que la vie pro et la vie perso sont deux entités, séparées, hermétiques. Or il y a la vie, point. Avec des composantes professionnelles, familiales, amicales, de couple, individuelles, etc. qui s’emmêlent, s’entrechoquent, se nourrissent, se répondent », détaille l’experte Sandra Fillaudeau sur la scission présupposée entre les sphères privée et professionnelle au travail. Or, il faut savoir qu’un protocole PMA, et en particulier de fécondation in vitro (FIV), c’est avant tout un calendrier à respecter à la lettre, avec des injections et des médicaments à prendre à heure fixe. Le moindre oubli peut tout faire foirer. Sans compter le rythme soutenu des rendez-vous médicaux pour passer des échographies, prises de sang et autres examens tout aussi réjouissants.
S’organiser au travail (comme dans sa vie tout court donc) devient alors une partie de Tetris. Pour trouver notamment un créneau disponible sur la plage horaire imposée par les médecins ET qui colle à ses impératifs. Ou encore jongler avec les nombreux retards du corps médical qui vous font vite perdre une demi-journée de travail en salle d’attente. Un processus long et épuisant - dont certaines absences pour des actes médicaux nécessaires sont certes encadrées par la loi - auquel s’ajoute la peur et la culpabilité, non négligeables, de ne plus « gérer » au travail. Personnellement, je savoure ma chance d’être freelance : en étant à mon compte, j’ai pu adapter mes journées de travail à mon planning FIV. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des femmes salariées, qui font face à des contraintes professionnelles (horaires, réunions…) avec lesquelles elles peuvent difficilement négocier.
Le cocktail explosif des hormones
Passons maintenant à la partie immergée de la PMA : les hormones. Pour ma part, je n’avais pas mesuré l’impact que ces derniers auraient dans ma tête et dans mon corps. Les médecins nous invitent à vivre « normalement ». Moi-même j’y ai cru : en bosseuse acharnée, j’ai pensé que rien ne viendrait altérer ma concentration, ma productivité et ma motivation. Mais soyons sérieux, comment vivre - et donc travailler - « normalement » lorsqu’on vous shoote à grands coups d’œstrogènes et de progestérones pour que votre corps accepte enfin d’accueillir la vie ?
Et en plus de cela, il faudrait porter un masque face à vos collègues, votre hiérarchie ou vos clients ? Lorsque vous êtes en plein désarroi, déprime, voire dépression, cela relève du parcours du combattant. Plus de 40 % des femmes en PMA présenteraient ainsi « des troubles psychiatriques de types anxieux ou dépressifs », assimilables aux femmes souffrant de maladies chroniques comme certaines pathologies cardiaques, des cancers ou la séropositivité. Un état psychique sous-estimé, auquel s’ajoutent les symptômes physiques du traitement. Maux de tête, nausées, vomissements… le cocktail des effets secondaires est aussi varié que les sautes d’humeur, sans oublier le corps qui fatigue de ces montagnes russes. Continuer à « faire comme si », chercher à être toujours aussi performantes, se montrer d’un caractère égal en toutes circonstances… requièrent une énergie dingue. D’autant plus en cas d’échec.
Choisir de lever le tabou
À en croire les études sur le sujet, l’infertilité serait l’un des maux de notre siècle. En 2020, plus de 123 000 tentatives d’AMP ont ainsi été recensées en France. Autour de moi, nombreux sont les couples à être passés par cette étape pour devenir parents. Une réalité qui est, certes, prise en compte par le Code du travail qui prévoit notamment que les salariées en parcours PMA disposent des mêmes absences rémunérées et d’une protection contre les discriminations identique à celles des femmes enceintes. Mais qu’en est-il en réalité ? Combien de femmes ont réellement les mêmes opportunités d’évolution et de développement que leurs collègues, une fois qu’elles ont fait part de leur « secret » ? Combien d’hommes et de femmes subissent les silences lourds de sens des collègues et managers quand ils doivent s’absenter (encore) pour une consultation ?
En finir avec l’autocensure
Autant d’a prioris qui conduisent aujourd’hui près de six femmes sur dix en PMA à s’autocensurer, en travaillant « comme si de rien n’était » (étude Zurick UK, octobre 2022). Pour un tiers d’entre elles, la crainte de voir leur implication au travail remise en question ou pire la perte de leur job est leur premier motif de silence. Et pour cause, selon la culture d’entreprise dans laquelle elles évoluent, les conséquences varient franchement pour celles qui osent sauter le pas de se confier. Certaines voient leur carrière en pâtir. Ainsi, parmi celles engagées dans une FIV, 14 % sont contraintes de réduire leurs heures de travail, 14 % acceptent des fonctions moins bien rémunérées et plus d’une femme sur dix quittent leur emploi faute de soutien.
Heureusement, dans la majorité des cas (comme le mien), communiquer sur son parcours de vie offre un soutien précieux. En tant que freelance, je suis seule à bord. Basiquement, si je ne travaille pas, je n’ai pas d’argent. Malgré les mises en garde de mes proches sur les risques pris, j’ai préféré mettre mes clients au courant de mon projet bébé et des difficultés rencontrées. Une décision envisagée avant tout par conscience professionnelle, pour anticiper la possibilité que je puisse mettre plus de temps à réaliser mes missions qu’à l’accoutumée. Résultat : je n’ai perdu aucun contrat, beaucoup m’ont soutenu faisant preuve d’une grande bienveillance, certains m’ont même partagé leur propre expérience de la PMA ! Sans compter combien dire ce que je vis a enlevé la couche de culpabilité ressentie au quotidien.
Créer un climat de confiance et de compréhension
J’imagine qu’il en est de même pour les femmes salariées. Un mot gentil ou un coup de main peut faire la différence dans le quotidien au travail, mais aussi dans le processus entamé. Toujours selon la même étude, les 64 % de femmes ayant choisi de se confier sur leur PMA ont trouvé cette dernière plus facile à gérer. Pourtant, si autant de personnes continuent à cacher leurs parcours, c’est bien que quelque chose cloche. Charge aux entreprises et aux individus qui les composent de faciliter l’instauration d’un climat de confiance, en plus de mesures concrètes pour alléger le quotidien de ces salariés (flexibilité, télétravail, horaires aménagés, congés exceptionnels…). Aux dirigeants notamment, en s’assurant que les confidences faites par ces couples ou parents solo en devenir n’ont pas de mauvaises répercussions sur leurs conditions de travail et leurs opportunités d’évolution. Une femme sur sept a encore aujourd’hui le sentiment d’être discriminée par son manager à cause de sa PMA.
Sans oublier la sensibilisation des équipes au sujet, et ses impacts sur la vie professionnelle de celles et ceux qui y sont confrontés. Je suis convaincue que c’est en communiquant que l’on peut lever les croyances et idées reçues sur la PMA. Je le vois autour de moi : certains de mes amis s’imaginent que la médecine a réponse à tout et qu’il suffit de prendre une pilule magique pour que le problème soit réglé. Une ignorance qui les empêche de comprendre ce que représente ce parcours d’un point de vue psychologique, émotionnel, physique et organisationnel. Et qui amène des maladresses du type « C’est quand tu n’y penseras plus que ça marchera. » Et bien non… Là encore, je ne suis pas la seule. Parmi les conséquences négatives de s’être confiées sur leur PMA à leur travail, certaines femmes relèvent les remarques intrusives de leurs collègues.
À l’heure où j’écris cette tribune, je suis toujours en parcours de PMA. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Mais une chose est sûre : au travail comme ailleurs, personne ne devrait avoir à cacher son désir d’enfant, comme les difficultés d’y parvenir, par peur d’être mis sur le banc de touche.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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