Comment prendre les bonnes décisions en temps de crise ? 8 conseils
17 avr. 2020
8min
Psychologue du travail, coach et consultante RH
Vous êtes parti précipitamment du bureau le week-end avant le confinement, et depuis maintenant un mois, vous regrettez de n’avoir su mieux anticiper ce qui allait arriver. Si vous aviez su que vous ne pourriez y retourner de sitôt, vous auriez fait comme votre collègue Léo, et vous seriez parti en emportant dossiers et écran d’ordinateur, ce qui vous aurait évité pas mal de prise de tête et de jolis maux de dos…
Vous n’êtes pas seul à partager ce constat. Si nous avions chacun eu les informations en amont et le temps de nous préparer vraiment, nous aurions sans doute opté pour une autre stratégie. Mais pourquoi en temps de crise sommes-nous souvent tétanisés lorsqu’il s’agit de prendre des décisions rapidement ? Et comment adapter sa stratégie dans ces moments-là pour conserver tout sa clairvoyance et son efficacité ?
Prise de décision en temps de crise : quels impacts
Comment cela marche, en temps normal, la prise de décision
Réaction rationnelle, réaction émotionnelle, impulsivité, tétanie, nos réactions sont souvent assez variées face à l’imprévu… Mais qu’en est-il de nos modes de décision, notamment en temps de crise ? Les mécanismes de prise de décision ne sont pas si faciles à expliquer, même pour les spécialistes…
Choisir VS décider
Avant toute chose, choix ou décision, est-ce vraiment la même chose ? Pour le philosophe Charles Pépin, qui a théorisé l’art de la décision, il existe une réelle différence entre les deux termes : « Choisir, c’est se reposer sur des critères rationnels pour armer le bras de son action. Décider, c’est agir avant de savoir. » Quand les situations sont complexes et qu’il est difficile d’avoir accès à l’ensemble des éléments qui peuvent influer sur une situation, décider pourrait alors revenir à trancher, en acceptant la part d’incertitude et de risques liés à cette prise de décision. Ce qui demande alors, en temps normal ou pas, pas mal de courage !
Il existe plusieurs modèles pour expliquer les mécanismes de prise de décision :
- Le modèle rationnel de prise de décision est un modèle assez répandu. Il décrit un mode de décision par étapes : une fois qu’une personne ou qu’un groupe perçoit un problème, il faut alors identifier les différentes solutions possibles, puis évaluer ces solutions de manière objective afin de poser un choix. L’objectif de cette stratégie est de comparer les options avant de trancher pour la solution la plus avantageuse. L’économiste et sociologue américain Herbert Simon développe lui un modèle dit “de la rationalité limitée” autour de l’idée qu’il est difficile pour les décideurs d’être vraiment cent pour cent objectifs dans leur choix d’option. Ils doivent alors sélectionner la solution la plus satisfaisante à leurs yeux sans certitude.
- Le modèle politique de prise de décision : dans ce modèle les décideurs ont chacun leurs intérêts propres (ou ceux de leur groupe) à défendre. Le processus de décision prend alors la forme d’une négociation entre les décideurs qui défendent chacun leurs positions en fonction de leurs besoins et sujets de prédilection.
- Les modèles de prise de décision dits “intuitifs” ou “naturalistes” mettent davantage en avant la place de l’intuition dans les processus décisionnels. Parfois, nous décidons instinctivement ou intuitivement, en procédant par analogie, en comparant les situations qui se présentent à des situations que l’on a déjà vécues, accélérant par ce moyen nos modes de décision. L’intuition nous permet alors d’atteindre des solutions de manière directe, sans passer de manière consciente par un raisonnement logique et analytique, comme l’explique Janet Metcalfe, docteur en psychologie et professeur à l’université de Columbia. L’intuition est alors un sacré raccourci si elle est utilisée à bon escient !
Alors, nos décisions sont-elles vraiment rationnelles ou quelque part un peu émotionnelles ? Pour le neurologue et psychologue Antonio Damasio, l’un n’empêche pas l’autre. Le scientifique américain est d’ailleurs l’un des premiers à rappeler la place importante de nos émotions au sein de nos processus de décision.
Prise de décision : comment la crise vient rebattre les cartes ?
Quelles sont les caractéristiques des situations de crise qui jouent sur la prise d’une décision ?
Quand une crise survient, qu’elle soit économique, sanitaire, politique ou autre, tout l’équilibre d’un système nécessite d’être réajusté, et ce, brutalement. Et c’est ce que nous vivons tous actuellement en cette période de pandémie mondiale. Prenons alors l’exemple de Thomas, Responsable RH, qui coordonne la politique des ressources humaines d’un site industriel employant 750 salariés en banlieue parisienne. La crise du Covid-19 l’a forcé, avec l’ensemble de son équipe, à prendre en quelques jours des mesures sensibles concernant la fermeture du site et l’organisation du travail à distance des collaborateurs. Une telle série de décisions est peu aisée en de telles circonstances, notamment en raison de :
- L’aspect inédit : la crise qui survient bouleverse l’ordre habituel des choses, on manque alors souvent de préparation car la situation est nouvelle ou inédite.
- L’incertitude : avec la crise, l’incertitude est parfois plus grande qu’en temps normal, les décideurs ont donc à disposition moins d’éléments tangibles pour prendre les décisions ad hoc.
- Le manque de temps : durant une crise, le temps à disposition pour décider est souvent réduit et les réactions doivent souvent être rapide, pas facile !
- Les enjeux, parfois lourds : les conséquences des décisions prises en situation de crise sont parfois importantes d’un point de vue économique, sanitaire ou social, par exemple pour les salariés qui se verraient imposer un chômage partiel.
Pour faire face à la crise, Thomas et son équipe ont ainsi dû prendre des décisions rapidement, sans nécessairement avoir le temps de vérifier tous les paramètres en amont : « Ce n’était pas facile d’y voir clair, comme les règles évoluaient en permanence, on recevait des ordres et des contre-ordres… Les consignes étaient contradictoires du matin au soir. »
Pour Daniel Kahneman, Docteur en psychologie et expert de la psychologie cognitive, durant de telles situations d’urgence, d’incertitude ou face à un trop grande quantité d’informations, les personnes se voient obligées, de manière inconsciente, de simplifier ses schémas mentaux pour pouvoir rapidement décider. Ce mode de fonctionnement intuitif est cependant plus vulnérable aux biais de raisonnement. Comment alors prendre de bonnes décisions dans un tel contexte ?
Situation de crise : comment optimiser sa prise de décision et éviter les prises de tête avec ses collègues
1. Repartir de l’objectif commun, de la vision poursuivie
Afin de faciliter vos prises de décision, qu’elles soient individuelles ou collectives, il est important de repartir systématiquement des objectifs profonds poursuivis. Quel est le but de la décision à prendre, et quelle problématique ma décision doit résoudre, au fond ? Pour Thomas, en tant que responsable RH, repartir d’une vision commune a été ce qui a permis de maintenir une bonne atmosphère et de prendre les décisions adéquates en cette période de pandémie : « Il a fallu bien comprendre le sens de la décision à prendre, c’est-à-dire définir un objectif, un but et un contexte avant de passer à l’action. » Le format des réunions de crise mises en place par son entreprise a donc évolué par rapport aux habitudes : « Il y avait un ordre du jour et nous devions à chaque fois déboucher sur une prise de décision à la fin. » Les réunions sont devenues plus courtes, plus efficaces, plus régulières, bref, plus opérationnelles !
2. Faire des scénarios et évaluer les risques
En temps de crise comme en temps normal, on doit passer en revue les différentes options qui s’offrent à nous pour choisir, au jour le jour, la meilleure solution. Il est alors essentiel de mesurer les risques et les conséquences de chacune des options pour l’organisation. Les scénarios prévus peuvent cependant évoluer plus vite que prévu, comme nous l’explique Thomas, qui s’est vu contraint de mettre tout le monde en télétravail dès le 17 mars pour limiter les risques de contagion, alors que son entreprise avait préparé un plan de roulement des équipes sur le site pour permettre le maintien de l’activité sans danger. La décision finale ne faisait pas partie du scénario initial !
3. Rester souples et réactifs
Faire des plans, oui mais tout en restant souple et réactif en cas de changement de programme ! Le grand sujet de la décision en temps de crise est la gestion de l’imprévu. Car prévoir ne permet pas de parer à toutes les éventualités, et il faut parfois opérer un virage radical, comme Thomas en a fait les frais ces derniers jours : « Au début de la crise sanitaire, on passé une semaine à travailler sur des listes pour mettre les effectifs en chômage partiel avant de se rendre compte que les gars n’étaient pas éligibles avec les critères précisés » Autant rester souple, donc, et garder son sang-froid quand on doit rebrousser chemin !
4. Gérer nos réactions émotionnelles
Une situation de crise peut facilement nous déstabiliser, et lorsque nous sommes aux prises avec nos émotions, il n’est pas toujours facile d’engager sa responsabilité sur des sujets brûlants ! Pour Thomas, émotionnellement, cela a aussi été les montagnes russes : « Au début, j’ai eu l’impression d’être dans une machine à laver, tu passes par des étapes à la fois hyper stimulantes et à la fois des situations stressantes, frustrantes, tu bosses sur un sujet, et le soir même, tout est à jeter à la poubelle… » Si certaines périodes de crise peuvent nous stresser au point de nous impacter physiquement (fatigue, irritabilité, pertes de sommeil, etc.), il est essentiel de reprendre le contrôle de nos émotions avant d’être capable de prendre les bonnes décisions.
5. Déjouer les pièges des biais de décision
De même que nos émotions peuvent entraver notre prise de décision, certains de nos raisonnements peuvent être influencées par des biais cognitifs qui nous font prendre de mauvaises décisions. En situation de crise, on peut par exemple parler du biais d’aversion aux pertes, qui nous pousse dans le doute à choisir l’option la moins coûteuse parmi les solutions, ou du biais de coûts irrécupérables qui nous pousse à persister dans une impasse quand nous avons engagé des coûts. Un autre biais fréquent quand nous ne savons pas quelle option choisir, est le biais de conformité : pour les entreprises, cela pourrait par exemple se manifester par la tentation de regarder ce que font les voisins pour mettre en place la même chose, sans trop se mouiller. Si cette étape est importante elle n’en reste pas moins complexe, aussi faut-il alors en être au moins conscient !
6. Faire confiance à son intuition :
L’intuition permet de gagner un temps considérable dans nos mécanismes de décision. Pas très rationnel selon vous ? Rien n’est moins sûr ! Notre intuition serait en lien avec notre mémoire émotionnelle des choses, une sorte de réaction instinctive donc, basée sur notre expérience. Elle peut donc trouver sa place dans nos mécanismes de décisions ! D’ailleurs, pour Albert Einstein, l’intuition était notre meilleure alliée : « Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un serviteur fidèle. »
7. Soigner la communication avec ses collègues
La communication, c’est important, partout, tout le temps, et surtout en temps de crise ! Ce n’est pas parce que nous traversons une situation d’urgence que les gens n’ont pas le droit d’être informés des négociations en cours, mais aussi des décisions prises. Si vos collègues ne se sentent pas impliqués, ils risquent de se montrer moins coopérants pour appliquer les décisions qui ont été prises. « Ce qui a payé, c’est de bien communiquer, de se synchroniser, se mettre d’accord sur les objectifs, de redonner une vision à tous, redonner du sens à ce qu’on fait, afin que personne ne soit débranché » explique Thomas, qui a vu négocier et signer sans heurt, à l’unanimité, un accord entre RH et représentants du personnel portant sur des mesures d’urgence au niveau du groupe.
8. Avancer, quitte à rectifier le tir : il n’y aura pas de décision parfaite
Puisqu’il n’est pas possible lors des situations de crise d’avoir la mainmise sur l’ensemble des paramètres, il faut pouvoir décider pour avancer, quitte à changer plusieurs fois de stratégie. L’équilibre entre attendre pour avoir davantage de visibilité et avancer à l’aveugle n’est pas toujours facile à trouver, cependant, ce qui fait les bons décideurs est souvent leur capacité à trancher, puis éventuellement de remettre en question les décisions prises pour adopter de meilleures options. Crise ou pas crise, la prise de décision comporte en soi quelque chose de l’arbitrage qui est un peu vertigineux et lourd de responsabilité. Accepter de lâcher prise en reconnaissant qu’il n’existe pas en soit de solution parfaite semble alors une option payante.
Les crises qui surviennent mettent donc à l’épreuve, non seulement nos capacités de décision, mais aussi nos capacités d’adaptation. Face au manque ou à l’excès d’informations, ou encore aux informations contradictoires, accepter la part d’incertitude et de risque inhérent aux processus de décision demande un véritable lâcher prise ! Mieux vaut alors garder en tête nos objectifs finaux pour construire une réponse adaptée à la situation, sur le long terme !
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