« Candidats, n’oubliez jamais que vous aussi, vous sélectionnez l’entreprise ! »
01 juin 2021
9min
L’épreuve déstabilisante qu’est le processus de recrutement ressemble beaucoup à une mise sur la sellette, vous ne trouvez pas ? Assis devant un potentiel employeur qui nous inspecte sous toutes les coutures, on ne fait pas les fiers. Et avec plus ou moins d’aisance, on tente de se “vendre” en espérant qu’une chose : “convaincre les jurés”. Mais la pression est immense… Et si l’on nous jugeait nul, inembauchable, ou carrément bizarre ?
C’est étonnant comme la position de candidat a ce pouvoir de nous mettre dans tous nos états. Peur de ne pas être accepté, de ne pas être reconnu à notre juste valeur… Notre confiance en nous y est mise à rude épreuve. Et tous les signes - positifs ou non - émis par les recruteurs ont ce terrible pouvoir de nous déstabiliser.
C’est pourquoi, pour être sûr de plaire, nous avons tendance à jouer un rôle, celui du “candidat idéal pour le poste” ou, du moins, l’idée que nous nous en faisons, mettant ainsi de côté nos besoins et nos attentes… voire notre identité !
Et si nous inversions (enfin !) la tendance ? Et si le processus de recrutement devenait un moyen pour nous (aussi !) d’évaluer la capacité de cette entreprise ou de ce poste, à nous convenir ? Il s’agit tout de même de nos projets professionnels et personnels, nous avons le droit d’être regardant ! En tant qu’ancien recruteur mais surtout en tant que coach, j’en suis convaincue : il est grand temps de rééquilibrer les rôles…
Recrutement, quel rapport de force ?
Recrutement : la loi du marché ?
Où a-t-il été écrit que le recrutement devait être un rapport de force entre une entreprise et des individus ? Sommes-nous à ce point à la merci des employeurs ? Oui et non.
Ces derniers disposent, en nous embauchant, du pouvoir de nous permettre de gagner notre vie. Et ce n’est pas rien. Reconnaissons-là ce que cela peut comporter de vital, donc de stressant ! Mais sur ce point, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne : en réalité, cela va dépendre de notre situation et du contexte. Si notre métier est très spécifique et les places rares, chaque candidature envoyée va porter tous nos espoirs. À l’inverse, si de nombreuses entreprises recherchent désespérément notre profil, la nécessité de se faire embaucher du premier coup se fera moins pressante. Tant d’autres opportunités nous attendent ailleurs ! La tension du marché de l’emploi ainsi que nos contraintes personnelles sont intimement liées à la pression qu’on se met.
Mais alors, est-ce l’état du marché du travail qui dicte la nature des relations entre entreprises et candidats ? Bien sûr, comme partout, la loi de l’offre et de la demande joue son rôle… Malheureusement, plus le recruteur a de profils similaires “à disposition”, plus il se permettra de poser ses “conditions”… Je ne peux m’empêcher ici d’avoir en tête les foules d’ouvriers se pressant chaque jour pour se faire embaucher aux portes des exploitations agricoles, décrites dans l’œuvre magistrale de John Steinbeck, Les Raisins de la colère… Après la Grande Dépression, le nombre de chômeurs aux États-Unis était si élevé que les patrons n’avaient aucun mal à trouver de la main d’œuvre journalière toujours moins chère… D’ailleurs, presque cent ans plus tard, et après un an quasi à l’arrêt pour cause de pandémie, il est légitime de se demander quel marché du travail on va retrouver… Les mois à venir seront déterminants.
Des pratiques parfois un peu limites
La pression vient-elle uniquement du marché du travail ? N’y a-t-il pas des méthodes de recrutement plus stressantes que d’autres ? Certains employeurs ont fait du recrutement un parcours du combattant pour les candidats.
Ils les soumettent à mille tests, leur posent des questions pièges, essayent de voir comment ils réagissent pour être sûr d’embaucher les plus aguerris - ou les plus dociles. Compétition, tentatives de déstabilisation, élimination… Quels genres de rapports humains s’agit-il ? Qui pourrait avoir envie de rejoindre cette entreprise après des tentatives d’intimidation ? Je ne suis pas certaine que ces méthodes permettent de vraiment connaître les candidats… J’ai plutôt observé durant mes années de recrutement qu’une bienveillance envers eux les invitait davantage à se livrer, ce qui permettait à l’entreprise de mieux les cerner. Les choses semblent évoluer dans ce sens, mais certaines entreprises ont encore des progrès à faire…
Tension du marché ou non, est-ce une raison pour les entreprises de tenter de déstabiliser les candidats en entretien ? C’est une question de dignité ! Et puis, quand le processus de recrutement est un calvaire, on peut être tenté de prendre la fuite. Je me souviens moi-même d’avoir passé au début de mon parcours un entretien qui avait pris la forme d’un interrogatoire… Le recruteur était méfiant, cassant, il vérifiait point par point chaque ligne de mon CV. Je me suis sentie tellement mal à l’aise que j’ai poliment refusé de poursuivre le processus… Parce qu’en tant que candidat, à quoi bon s’acharner quand on sait pertinemment qu’on aura du mal à travailler avec notre interlocuteur ?
Vers un équilibre dans le rapport recruteur-candidat ?
Heureusement, toutes les entreprises ne fonctionnent pas comme ça, loin de là. Et puis, je suis peut-être naïve, mais je crois qu’il y a un rééquilibrage, un juste retour des choses qui s’opère : un recruteur qui cherche à piéger les candidats a de moins en moins de chance de trouver chaussure à son pied. À ce titre, les normes éthiques en matière de recrutement, de plus en plus nombreuses et contraignantes, servent de garde-fous… Les candidats, quant à eux, sont aussi davantage sensibilisés à leurs droits, tant mieux !
Bref, les lignes bougent… Pour attirer les talents, les entreprises se montrent d’ailleurs créatives et développent des stratégies quasi-marketing. Rédaction d’annonces attrayantes, “campagnes” de recrutement, développement du concept de “marque employeur”, amélioration de l’”expérience candidat”, ces expressions en vogue sont des signes que le rapport s’inverse… Ce n’est plus uniquement au candidat de plaire à l’entreprise, mais à l’entreprise de le séduire ! On va davantage vers un rapport d’égal à égal. Certaines entreprises vont même jusqu’à proposer des entretiens inversés, un échange où le candidats prend le pouvoir. Si au début ces pratiques ont été diffusées pour attirer les profils les plus pénuriques, il semble qu’elles se soient généralisées à de nombreux secteurs ! Les entreprises soignent leur réputation. Reste à voir où cela reprendra suite à la pandémie de Covid-19…
Il n’est pas impossible que le marché se durcisse un peu, mais à mon avis nous avons franchi des étapes bien trop déterminantes en termes de transparence et de respect en processus de recrutement, pour que nous ne connaissions un réel retour en arrière. Crise ou pas, certains candidats ne sont pas prêts à tout accepter… Les mouvements #balandetastartup et #balancetonagency notamment ont fait trembler plus d’une structure qui s’est vue épinglée sur ses méthodes de management ; à tout moment, un mouvement similaire #balancetonrecruteur pourrait bien prendre de l’ampleur. Tant de candidats, encore, se voient poser en entretien les fameuses questions interdites, quand ce n’est pas autre chose ! Ces mouvements font bouger les lignes et rappellent aux uns et aux autres les limites à ne pas franchir.
Gardons en tête que, quels que soient nos profils, en tant qu’employés, nous possédons un certain pouvoir sur les entreprises : sans salariés, elles ne pourraient fonctionner et ainsi générer du profit. Si personne n’acceptait de mettre ses mains ou son cerveau à leur service, elles seraient vouées à la faillite. Parce que, ne l’oublions pas, quand une entreprise recrute, elle est dans le besoin, elle aussi ! Quand on l’a bien en tête, le contrat de travail peut être un accord gagnant-gagnant signé entre une entreprise qui a besoin d’aide et un salarié qui cherche à travailler… et ce dès les premières étapes de recrutement !
Candidats, et si vous repreniez le pouvoir ?
Un entretien est avant tout une rencontre de personne à personne. Vous êtes là pour mettre votre temps, votre énergie et vos compétences au service d’un projet, d’une entreprise qui, de son côté, doit coller à vos attentes et vous permettre de vivre décemment. C’est un contrat. De la même manière, le processus de recrutement est une évaluation bilatérale. Les deux parties se jaugent, cherchant à voir s’il peut y avoir réciprocité : on est parfois plus proche du dating que du jury d’examen ! Il ne s’agit ni de se soumettre, ni de s’engager dans un bras de fer, mais d’être bien présent et à l’écoute, actif et engagé dans la rencontre, sereinement.
Quelques conseils pour relâcher la pression :
Proposez vos services : plutôt que de vous positionner comme un demandeur d’emploi, réfléchissez plutôt à ce que vous avez à offrir. Vous proposez de mettre votre temps, vos mains, votre cerveau, votre énergie à disposition d’une entreprise qui - a priori - a un besoin d’aide et de renfort. Restez serein et présentez-vous comme un apporteur de service. Si l’entreprise recrute, c’est bien qu’il lui manque un salarié ! Mettre l’accent sur son expertise, ses compétences, ce que l’on pourrait apporter plutôt que de se contenter de répondre aux questions permet de s’intéresser au besoin réel du potentiel employeur. Il pourrait ainsi se sentir écouté et compris dans sa recherche.
Changez de point de vue : se vendre, c’est bien, mais n’oubliez pas de vous intéresser à ce que l’entreprise peut (ou non) vous offrir. Après tout, vous pourriez finalement vouloir aller travailler ailleurs où le salaire est meilleur et l’équipe plus sympa ! Dans la panique, on se perd parfois de vue, on oublie son propre cahier des charges, et c’est dommage. On se stresse pour être sélectionné à tout prix, sans se poser la question de comment on se sent dans le processus. Combien de personnes sont déçues de ne pas être prises dans des jobs qu’elles n’auraient de toute façon pas acceptés ? Faut-il plaire à tout le monde pour se laisser un maximum de choix ? Je vous conseille, au contraire, de faire le point sur vos attentes en amont de la rencontre pour, par la suite, prendre la meilleure décision pour vous.
Posez des questions à l’employeur, c’est aussi un bon moyen de reprendre le pouvoir. En amont, on se met souvent la pression pour trouver des questions intelligentes à poser le jour J. Pourquoi pas ! Mais quelles sont les questions que vous vous posez réellement, vous, par rapport à ce poste, cette équipe, cette entreprise ? L’entretien est aussi un moyen de collecter pas mal d’informations. Il serait dommage qu’en sortant, vous ayez encore trop de doutes et de zones d’ombres. Et puis, un job ne s’accepte pas à n’importe quelle condition !
Prenez le temps de vous renseigner sur les personnes que vous allez rencontrer. Pour garder le contrôle, il est bon de savoir à qui l’on va avoir affaire. Un opérationnel ou un RH ? Quel est son parcours ? Quel est son besoin, au fond ? Sera-t-il décisionnaire sur ce recrutement ? Trouver les réponses à ces questions vous permettra de vous préparer. Comprendre ce que veut l’autre, son besoin, puis poser vos conditions, peut permettre d’aller vers une convergence des intérêts des deux parties… C’est ainsi que commence un contrat équilibré !
Soyez vous-même : puisque le rapport doit être gagnant-gagnant, je suis assez partisane de la transparence en processus de recrutement. Si un candidat cache la vérité sur son profil pendant que l’entreprise tente de lui jeter de la poudre aux yeux, on risque de partir sur un gros quiproquo. C’est comme sur les sites de rencontre ! Un profil “accrocheur” multiplie peut-être vos chances de match dans un premier temps, mais ne garantit rien du succès de la relation dans la durée. En restant sûr de vous et naturel, vous vous assurez d’être apprécié pour ce que vous êtes. C’est d’ailleurs souvent durant les entretiens où l’on ressent le moins d’enjeux qu’on est le plus convaincant, tout ça grâce à la spontanéité !
Restez zen : ne pas se mettre la pression, c’est accepter que cela ne marche pas à tous les coups et ne pas se laisser miner par les défaites. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Mais n’oubliez pas que chaque candidature envoyée ne peut vous mener directement à une offre d’emploi, même si vous avez le plus beau des parcours ! Les réponses négatives et silences des recruteurs après l’entretien sont quasi inévitables, malheureusement. Mais c’est souvent à ce stade que l’on est le plus dur avec soi. Notre façon de gérer un processus qui n’avance pas met en fait en lumière notre rapport à l’échec. Nous avons parfois tendance à prendre personnellement chaque non-réponse des recruteurs et à tirer des conclusions hâtives : “cela ne marchera jamais”, “de toute façon, je suis toujours sélectionné(e) pour les entretiens, mais jamais retenu(e)”, etc. Nous restons fixés sur un point de vue unique, le nôtre, par exemple “je suis nul(le)” alors que côté employeur, le choix est souvent bien plus complexe : il y a la question du “fit”, du timing, les nombreux autres candidats, le budget, tant de raisons qui font qu’un candidat, même très bon, n’est pas nécessairement sélectionné !
Plus question alors de subir les entretiens d’embauche, on est d’accord ? Vous avez voix au chapitre et même si vous êtes sélectionné, vous avez jusqu’au bout le droit de dire “non”, si d’aventure vous ne vous sentiez pas à l’aise dans cet environnement à la suite du processus d’embauche. En changeant d’attitude, en reprenant le pouvoir, vous contribuez à rééquilibrer le rapport de force entre les candidats et les entreprises. Après tout, la relation candidat-recruteur fonctionne comme un système dynamique : si l’un des deux s’affirme davantage, il force l’autre à s’adapter, à se repositionner..
À nous aussi de jouer notre rôle ! Ceci n’est pas une invitation à l’arrogance, non, mais une incitation à reprendre votre place de candidat, dignement. Ne soyons ni soumis ni effacés, mais plutôt assertifs et à l’écoute. L’entretien est avant tout une rencontre, un dialogue, alors vous avez le droit (et le devoir !) de vous poser des questions, de poser vos conditions. Un contrat de travail ne pourra être signé que si les deux parties s’entendent. Et si ce n’est pas le cas, c’est peut-être le signe qu’il faut prendre ses jambes à son cou…
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Photo by WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
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