Recruteurs : faut-il encourager votre candidat préféré ?

24 juin 2024

4min

Recruteurs : faut-il encourager votre candidat préféré ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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Encourager « son candidat préféré » quand on est recruteur est humain. Néanmoins, est-ce bien éthique ? Comment maintenir la juste distance et trouver un équilibre entre motivation et objectivité afin d’assurer l’équité ?

Les recruteurs ainsi que « managers-recruteurs » jouent un rôle crucial pour représenter l’entreprise lors du recrutement : ils doivent jongler entre la motivation des candidats et l’objectivité des évaluations. Encourager les « top » candidats – ou du moins ceux jugés comme tels – est tentant pour maintenir leur intérêt, surtout à l’heure de la guerre des talents. Rappelons que 64 % des entreprises ayant recruté « au moins un cadre » ont rencontré des difficultés lors du processus. Cependant, le favoritisme comporte quelques effets indésirables : déception, iniquité, biais… L’enjeu ? Trouver le juste équilibre entre encouragement et transparence, notamment pour instaurer un climat de confiance et garantir un processus de recrutement éthique. Quels sont les défis et les stratégies pour trouver cet équilibre ? Comment baliser un processus limitant les dérives émotionnelles ?

Pourquoi poser la question de la distance dès l’entretien ?

« Le processus de recrutement est le miroir de la culture de l’entreprise », souligne Clotilde Mérillon, DRH chez Tellent. Ainsi, la manière dont les recruteurs ou les managers se comportent est déterminante : une entreprise avec une culture de proximité peut délibérément choisir de ne pas mettre de distance excessive entre les recruteurs et les candidats. « Chez Tellent, on utilise le tutoiement – avec le consentement des candidats – car cela permet de créer un environnement propice aux échanges. » Léopoldine Collineau, Talent Acquisition Specialist chez I-tracing, tempère : « La proximité permet d’avoir accès à plus d’informations et de transparence car ça met le candidat à l’aise. Mais attention, il existe une limite à ne pas franchir : dès lors que l’attache émotionnelle est instrumentalisée comme levier décisionnel, posant un réel problème éthique ». C’est pourquoi, malgré un cadre de proximité, une certaine distance professionnelle doit être maintenue pour éviter les débordements ou les décisions hâtives. « Lors du premier entretien, il est essentiel de garder une distance pour permettre au candidat de se sentir à l’aise. Cet équilibre est crucial pour évaluer objectivement les candidats et éviter des attentes irréalistes. Ensuite, tout au long du processus, il est donc primordial – et délicat – de trouver le juste milieu entre une distance froide et une proximité excessive », souligne Clotilde Mérillon. Comment faire ?

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Recrutement : 4 solutions pour créer la juste proximité

1. Introspection et formation aux biais

Selon Léopoldine Collineau, il est indispensable de former les recruteurs et les managers pour qu’ils adoptent les bonnes pratiques. Le prérequis ? « Avoir l’humilité de reconnaître que nous sommes sujets à de nombreux biais. En les identifiant et en les travaillant dans un cadre défini, nous pouvons les transformer en moteurs. » L’autre aspect mentionné par l’experte en recrutement est de comprendre les dessous de nos émotions : « Il n’est pas rare d’avoir ce fameux “feeling” à propos d’un candidat. Il ne faut pas l’écarter mais, au contraire, creuser les raisons implicites de ce ressenti ». Des formations aux biais cognitifs sont alors intéressantes à proposer aux recruteurs et aux managers susceptibles de recruter. De plus, une approche cadrée et consciente des échanges lors de l’entretien permet d’éviter certains sujets enclins à la subjectivité, selon Léopoldine Collineau. Par exemple, parler des hobbies peut être un terrain glissant. Mieux vaut rester centré sur les compétences professionnelles, réduisant ainsi les influences subjectives.

2. Structuration du processus de recrutement

Selon Émilie Narcy, HR & Operations Director chez Approach People – cabinet de recrutement – la proximité est nécessaire pour encourager le candidat, mais elle doit reposer sur une structuration rigoureuse de l’entretien. D’abord, la transparence semble un élément clé pour gérer les attentes des candidats : « Il faut être explicite sur chaque étape du processus de recrutement, ainsi que sur les critères d’évaluation : c’est la meilleure manière de maintenir une relation juste, sans équivoque ». Ensuite, sur le fond, Émilie Narcy défend les approches d’entretien semi-structurées, assurant une évaluation uniforme tout en laissant de la place pour des échanges plus personnels. « Ce format permet d’évaluer les candidats sur les mêmes critères, tout en répondant à leurs questions. » Pour éviter les embardées émotionnelles ou les signaux positifs ostentatoires, le cabinet de recrutement a mis en place une méthode de centralisation des données : « Un responsable de compte centralise tous les comptes rendus d’entretien, ce qui permet d’homogénéiser la communication et d’assurer des retours constructifs à tous les candidats ».

3. Feedback : la clé de voûte de la juste proximité

Créer un lien juste et équilibré avec les candidats peut être facilité par l’utilisation du feedback. Émilie Narcy recommande de donner des retours constructifs après chaque entretien : les candidats peuvent ainsi comprendre leur position dans le processus et ajuster leurs attentes en conséquence. « Chaque feedback doit être précis, soulignant les points positifs et les axes d’amélioration, afin de guider les candidats », insiste Émilie Narcy. Quant à Clotilde Mérillon, la DRH évoque l’importance du retour rapide pour garder le candidat motivé et créer une relation de confiance. D’ailleurs, la question du canal de communication se pose également : faut-il faire un retour écrit, oral, ou encore par SMS, email ou WhatsApp ? En effet, le moyen de communication revêt aussi un enjeu relationnel. Les avis divergent : si l’écrit permet un retour plus équitable et homogène, un appel téléphonique favorise une relation de confiance entre candidat et recruteur. « Je suis partisane du retour par téléphone pour discuter avec la personne, affronter ses questions et toujours ouvrir l’échange. Mais certains préfèrent WhatsApp, donc on s’y adapte », explique Clotilde Mérillon.

4. Sincérité, sobriété et santé mentale

En créant une atmosphère accueillante et en s’assurant que les candidats se sentent bien pendant le processus de recrutement, les recruteurs peuvent améliorer la marque employeur. Cependant, cette stratégie doit être utilisée avec précaution pour ne pas manipuler les émotions des candidats de manière non éthique. Léopoldine Collineau insiste alors sur le maintien d’une communication transparente afin d’éviter l’effet déceptif. Comment ? En étant honnête sur les points de doute ou les raisons éventuelles d’un refus. « En tant que recruteurs, la ligne de conduite est la suivante : nous pouvons garantir une bonne communication grâce à la qualité des échanges et des retours… mais nous ne pouvons et ne devons pas garantir le résultat. »

Pour finir, la recruteuse met en garde sur le lien fragile entre investissement émotionnel et santé mentale des recruteurs : « Le maintien d’une distance avec les candidats est aussi nécessaire pour garantir notre santé mentale. Il est normal d’expérimenter des processus dans lesquels nous mettons plus d’espoirs. Mais il est important de limiter ces cas pour éviter l’épuisement émotionnel et physique ». Ainsi, si l’investissement émotionnel est inévitable et peut être un moteur puissant, il doit cependant être surveillé et limité pour éviter les risques d’abus et d’épuisement.


Article rédigé par Laure Girardot, édité par Alix Mardon, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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