« RH, j'ai ignoré les défis de la maternité jusqu'à les vivre moi-même »
15 juil. 2024
4min
Faut-il éprouver une situation dans sa chair pour en prendre la mesure ? S’agissant du big bang qu’est la maternité, l’ancienne RH Mélanie répond par l’affirmative. Passée à côté des défis vécus par ses salariées avant d’y être elle-même confrontée, elle raconte ce qu’elle ferait différemment aujourd’hui.
J’ai occupé plusieurs postes liés à la fonction RH, notamment en tant que chargée de recrutement. J’ai bossé dans des grandes entreprises à portée internationale, mais aussi dans des structures à taille humaine dans une ambiance dite « familiale ». Avec des missions variées : recrutement, mise en place d’avantages pour les salariés, gestion de carrière, partenariat avec des écoles et beaucoup de sujets transversaux liés aux politiques RH internes. Pourtant, au cours de cette carrière, je n’ai jamais, au grand jamais, questionné l’accompagnement de la maternité des salariées en entreprise. De même que pendant toutes ces années, aucune collaboratrice n’est venue toquer à la porte de mon bureau pour me faire part d’une problématique liée à sa vie de mère. J’ai assisté à la prise de congés maternité, avec des travailleuses qui revenaient ensuite à leurs postes sans plus de fracas. Il est vrai que parfois, certaines devenues mères quittaient l’entreprise, mais sans faire allusion aux difficultés posées par la combinaison de leur vie pro avec leur vie perso. Si bien que, je n’avais jamais réfléchi au rôle que pouvait avoir l’entreprise dans l’accompagnement de cette transition de vie. D’autant qu’aucun de mes supérieurs ne s’y était intéressé non plus. En fait, la seule question qui m’était posée par les collaboratrices était : « Combien de jours enfants malades me restent-ils ? », et basta. Et puis, je suis tombée enceinte.
Devenir maman : le big bang c’est maintenant
Il se trouve que j’ai quitté mon dernier poste en tant que RH peu de temps après avoir découvert que j’attendais un enfant, mais sans que ce soit lié : le poste ne me convenait tout simplement pas. Après la naissance de mon bébé tant désiré, je me suis remise à fond dans la recherche d’emploi mais j’ai vite déchanté : avec les contraintes de ma nouvelle vie, il m’était devenu impossible de rembaucher comme avant. Déjà, très pragmatiquement, à cause des horaires : je n’avais pas de place en crèche, et dans ma région, je n’avais pas réussi à trouver une nounou dispo après 17 h. Mon mari travaillant en horaires décalés, il était possible pour lui de garder notre fille la journée, en revanche, je devais impérativement être chez moi à 17 h pour prendre le relais et qu’il puisse assurer son service. Or dans mon métier, compliqué de faire accepter qu’on ne peut jamais être présent entre 17 et 18 h pour des réunions ou des entretiens. J’ai proposé à des employeurs de commencer tôt, à 7 h ou 8 h, mais sans succès. Et puis, les contraintes d’agenda n’étaient pas le seul changement qui s’était opéré dans ma vie. J’appréhendais de devoir encaisser le stress et la pression quotidienne de la vie de bureau… Mon état émotionnel était aussi modifié. Toutes ces réflexions m’ont fait réaliser à quel point ma vie avait basculé dans une autre dimension et à quel point l’entreprise n’était pas en mesure de répondre à ces nouveaux besoins.
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On a tendance à l’oublier, mais dans beaucoup de cas, devenir parent et a fortiori mère, déplace le curseur de ses ambitions professionnelles. Moi par exemple, je n’avais plus envie de gérer les problématiques de terrain ou le champ disciplinaire de ma fonction. J’avais besoin de plus de créativité et l’envie de m’occuper des questions liées au bien-être des salariés… Des bouleversements intérieurs que j’observais aussi chez les femmes de mon entourage devenues mères. C’est là que je me suis repassé le film de ma carrière : comment était-il possible qu’aucune salariée ne m’ait jamais demandé d’adapter sa charge de travail ou ses horaires ? Que je n’aie jamais eu vent d’un besoin de faire évoluer sa fiche de poste ? J’ai pourtant officié dans des grandes structures, ce qui induit statistiquement qu’il y avait de nombreuses personnes en proie à de telles situations. Mon constat est sans appel : la plupart des organisations n’accompagnent pas (ou mal) ces mères dans cette transition de vie pourtant cruciale, si bien que les salariées elles-mêmes n’osent pas aborder le sujet et préfèrent taire leurs difficultés.
Le chantier de tous les possibles
Face à mon impossible retour en entreprise, je me suis lancée à mon compte. Désormais, j’accompagne les professionnelles dans leur reprise de poste après l’expérience de la maternité. En quelque sorte, je palie à ce qui fait cruellement défaut en entreprise. Et mes clientes sont unanimes ; elles se sentent désœuvrées dans leurs boîtes. Au mieux, elles bénéficient d’une prime de naissance (ce qui, bien sûr, est apprécié), mais il ressort que l’aspect pécuniaire n’est pas le plus important. Ce qui leur manque le plus ? De l’écoute. Et cela, autant avant qu’après leur congé maternité. Elles expriment la nécessité de mettre en place des temps d’échanges sur leur nouvelle parentalité et l’incidence sur leur travail. Des temps d’information (aussi sur l’aspect légal qui manque aujourd’hui) et de formation, pour permettre de mieux appréhender les changements à venir et apporter des conseils : comment bien vivre cette transition de vie ? Quels outils concrets peut-on utiliser pour gérer ses vies pro et perso ? Quels experts contacter pour se faire aider ? De même, les femmes que j’accompagne font face à de grandes difficultés dans la gestion de leurs émotions. Elles aimeraient que l’aspect psychologique de ce qu’elles traversent soit davantage considéré dans leur milieu professionnel. Par les RH mais aussi par les managers (qui devraient être davantage formés à ce propos). En clair, que l’on se soucie, au-delà de leur forme physique, de ce qu’elle ressente en tant que femme. Que soit abordé sans tabou l’impact que cet énorme bouleversement peut avoir sur leur travail, leur productivité, leur motivation. C’est parfois très difficile de se projeter dans sa vie professionnelle avec un bébé, une crise identitaire que j’ai personnellement éprouvée, et beaucoup en souffrent… Il est temps d’arrêter d’ignorer cette souffrance.
J’ai le sentiment que le plus difficile était de faire admettre à tous (les mamans en premier lieu), que non, elles ne pourront pas être à 100 % au travail comme avant. Mais ce n’est pas grave ! Souvent, on aime son job, on a envie de continuer à exercer, alors pourquoi ne pourrait-on pas demander à l’employeur de l’adapter ? Tous les cas sont différents. Pour certaines, il s’agit de bénéficier d’horaires flexibles, de plus de télétravail ; pour d’autres, une charge allégée au moins temporairement ou moins de déplacements. Des évolutions dans ses missions aussi, pour répondre à sa nouvelle identité professionnelle. Il faut se dire qu’une salariée qui arrive à trouver son équilibre entre son job et son rôle de maman, sera plus épanouie et engagée. C’est donc tout bénef pour l’entreprise aussi.
Bien sûr, certaines organisations se sont emparées du sujet en mettant en place des politiques favorables à la parentalité avec des initiatives très intéressantes, mais elles ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt : il reste beaucoup à faire pour décomplexer la maternité en entreprise.
Article écrit par Aurélie Cerffond, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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