Si demain les femmes gagnaient plus, qu'en penseraient les hommes ?
07 nov. 2019
7min
Des malus pour les entreprises non paritaires, des écarts de salaires qui se réduisent lentement mais sûrement, des femmes toujours plus diplômées que les hommes… et si demain les femmes gagnaient finalement plus que les hommes ? Welcome to the Jungle est allé poser la question aux premiers concernés.
« Les femmes, elles gagnent trop »
« Il est tout à fait normal qu’à diplôme, expérience et poste équivalents, hommes et femmes soient payés pareil. » On vous rassure tout de suite : cette phrase, on l’a entendu pendant toute la durée du reportage. Mais alors, pensée désormais bien ancrée dans toute la société ou sortie politiquement correct ? Dans les faits, nombreux sont les hommes interviewés qui constatent encore les différences de salaires dans leurs entreprises, notamment les plus grandes. Sans pour autant s’en offusquer publiquement. Certains y trouvent même des explications. « C’était parce que le mec s’était mieux vendu que la nana. Elle ne s’était pas sentie suffisamment légitime pour exiger plus », explique l’un d’entre eux. Et sur son exploitation agricole dans le Gers, Benjamin, 33 ans et néo-paysan avait lui aussi un petit avis sur la question : « Dans certains milieux comme le BTP où la force physique joue un rôle prépondérant, je peux comprendre les choix des employeurs de payer davantage un homme qui va accomplir plus de travail qu’une femme. » De quoi donner envie de creuser davantage !
Changement d’ambiance. 10h30 dans la cour d’un immeuble parisien. Adossés à un rebord de fenêtre, Marc, Pierre et Loïc consument leur pause clope. « Les femmes, elles gagnent trop », plaisante un peu lourdement l’un d’eux à l’annonce du sujet de l’article. « C’était une blague, je ne le pense pas. Évidemment », s’empresse-t-il d’ajouter. Depuis quelques années, les trois collègues travaillent pour une start-up et considèrent ne pas “gagner super bien leurs vies”. « Avec un de mes collègues qui a quitté la boîte, c’était même la blague, reconnaît Pierre en souriant. On disait qu’on se faisait entretenir par nos nanas. »
Agé d’une trentaine d’années, Pierre explique qu’entre lui et celle qui s’apprête à devenir la mère de leur premier enfant, il y a toujours eu un écart de salaires (d’environ 5 000 euros par an) et qu’ils ont appris à composer avec. « Pour moi, la vie ne tourne pas autour de l’argent, ma copine et moi divisons les frais communs par deux et ensuite chacun gère son budget. » Il y a quelques années, Pierre s’est lancé dans la folle aventure de monter sa propre boîte d’impression numérique sur tissus. Une expérience qui se soldera malheureusement par la fermeture de sa société. À cette période, l’écart de revenus s’est encore un peu plus creusé entre lui et sa copine. « Pendant deux ans, je ne me payais pas. Du coup, comme je n’aimais pas qu’elle assume financièrement nos sorties ou voyages, je la laissais partir avec ses amis ou sa famille », admet-il.
Que dit la loi ?
La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, dite loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel comporte un chapitre intitulé « Égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail. »
Décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019 portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail.
« Un homme qui gagne moins d’argent, ça ne fait pas rêver »
Pour Germain, Niçois, les choses ont été sensiblement les mêmes. En 2015, il rencontre Marianne, une jeune médecin. C’est le coup de foudre. Et là encore, les salaires diffèrent beaucoup. « En même temps, c’est normal, elle avait fait de plus longues études et travaillait plus que moi », explique-t-il. Lui touche environ le salaire médian français quand Marianne le multiplie par trois. Au moment de concrétiser les choses, c’est elle qui investit davantage pour l’achat de leur maison. « Elle a payé deux tiers et moi un tiers ». Face à cet écart de revenus, Germain et Marianne ne sont jamais en conflit : « On n’en parlait pas et de manière générale, on ne s’est jamais engueulés. En revanche, même si la plupart du temps, on faisait 50/50, je ne la suivais pas à chaque fois qu’elle partait en vacances. » Pour compenser, Germain, essayait de lui apporter d’autres choses. « Je faisais mon possible pour l’aider, aider sa famille et l’enrichir culturellement, » ajoute-t-il. Depuis, leur histoire a pris fin. Et même si cela n’a visiblement rien n’à voir avec l’argent, Germain reste convaincu « qu’un homme qui gagne moins d’argent, ça ne fait pas rêver. À notre époque on classe les winners et les looseurs vis-à-vis de l’argent, c’est ça notre unité de valeur ».
Une unité de valeur que semblent en effet partager certains ou en tout cas certaines. En couple avec Fanny depuis plusieurs années, Matthieu ressent ainsi parfois une pression au regard de « ses faibles revenus ». « Au début, je gagnais plus qu’elle mais comme je rentrais d’un long voyage et elle d’un poste à l’étranger, elle avait plus d’aisance financière », rembobine-t-il. Fanny passe quelque temps au chômage pendant que Matthieu occupe un poste où il gagne entre 2 000 et 2 500 euros par mois. Mais la carrière de Matthieu prend une autre tournure en 2018 quand il décide de monter sa propre structure. À la même période Fanny se voit offrir un poste de cadre. Deux trajectoires très opposées.
« À ce moment-là, j’ai commencé à sentir que je ne parvenais plus à la suivre financièrement. Notamment quand on se faisait des restos, je ne pouvais plus payer 100 euros d’addition pour deux, je trouvais ça énorme, regrette-t-il. Je voyais bien que je n’étais plus capable de lui faire plaisir comme avant et elle ne s’est jamais privée de me le faire ressentir. » Selon Matthieu, Fanny aurait reçu une « éducation traditionnelle » où l’homme doit gagner plus que la femme pour assurer le bon fonctionnement du foyer. « Si elle pouvait ne pas bosser comme sa mère, ça l’arrangerait mais là-dessus nos opinions divergent, pour moi il est essentiel que les deux membres du couple travaillent et soient autonomes et indépendants, précise Matthieu. Je ne veux pas que ma femme soit tributaire de mes revenus. » En revanche, lui, espère tout de même un jour gagner suffisamment d’argent « pour combler Fanny ».
« Mais moi, ça ne me dérangerait pas de devenir homme au foyer »
Ce schéma de l’homme qui assure le confort financier de toute la famille, beaucoup l’ont rapporté. Comme Sébastien, la trentaine. « Chez moi ça a toujours été comme ça, mon père gagnait plus donc il assurait pour toute la famille. Mais moi, ça ne me dérangerait pas que les rôles s’inversent, et que je devienne homme au foyer, blague-t-il. Plus sérieusement, comme je suis avec ma copine depuis de nombreuses années, même si je gagne plus qu’elle, je ne fais pas de différence entre ses sous et les miens. C’est notre argent. »
Le genre de partenariat pas si populaire que ça, que Sidy, un Français expatrié à Abidjan, expérimente lui aussi. En couple avec Noémie depuis sept ans, ils ont parcouru la planète et c’est chacun leur tour qu’ils subviennent aux besoins du couple. « Noémie m’a permis de vivre pendant deux ans et demi quand nous habitions à Phnom Penh. Ça me faisait chier de ne pas gagner beaucoup d’argent, mais il n’y avait pas de problème sur le fait qu’elle en gagne plus », lance-t-il. Aujourd’hui, la vapeur s’est inversée. Sidy croule sous le travail à Abidjan et Noémie collectionne les petits boulots. Pour autant, le couple n’a rien changé à son fonctionnement. « Je suis content de pouvoir lui renvoyer l’ascenseur et Noémie continue de son côté à bosser. Pour s’occuper d’une part et faire rentrer des sous d’autre part ». Leur histoire suscite parfois l’étonnement de la gent masculine ou la joie de la part des femmes. « Certaines connaissances m’ont déjà dit qu’ils n’auraient pas suivi leurs nanas et à l’inverse des femmes m’ont félicité d’être celui qui a fait ce choix. » Doucement mais sûrement, le couple envisage de fonder une famille et là encore les choses sont claires : « Je ne voudrais pas qu’elle ou moi se sacrifie pour s’occuper de notre famille, on se débrouillerait pour continuer nos carrières ».
Et les femmes dans tout ça ?
Depuis peu, le doing gender a fait une entrée aussi fracassante que controversée dans le milieu de l’économie. « Il s’agit de la répartition des tâches ménagères en fonction des revenus du couple. On s’est rendu compte que quand la femme gagnait moins, elle faisait davantage le ménage. Quand les salaires s’équilibraient, l’investissement de chacun à la maison aussi en revanche, quand la femme gagne plus, elle effectue plus de tâches ménagères comme pour s’excuser de supplanter son conjoint », précise Dominique Meurs, une économiste professeure à Nanterre.
L’importance de l’épanouissement des femmes dans le travail et le fait que l’homme puisse aussi s’occuper des enfants semblent enfin admis par tous. Nathan, originaire du Centre l’a constaté au sein du couple de sa sœur. « Elle est gendarme dans une brigade de recherche en Guyane et son mari est assistant vétérinaire. C’est clairement lui qui s’occupe du petit et c’est une chose admise par toute notre famille, explique-t-il avant de poursuivre : là, elle veut intégrer la meilleure brigade de France à Montpellier et son mari va encore une fois la suivre. »
Les ambitions de carrière de sa copine avec qui il est depuis six ans, Mohamed en parle lui aussi très bien. C’est d’ailleurs, une chose qu’il semble apprécier chez elle. En l’évoquant à une terrasse de café, il peine à dissimuler son sourire. « Elle a nettement plus d’ambition et également une capacité de travail beaucoup plus importante que la mienne, reconnaît-il. Elle a la fibre entrepreneuriale. En plus de bosser dans une ONG qui contrôle la qualité des médicaments, elle gère à distance la pharmacie de famille. » Tous les deux ont un niveau universitaire sensiblement égal pourtant, le salaire de Mohamed est supérieur. « Honnêtement, elle devrait gagner plus que moi parce qu’elle a une formation technique et accorde plus d’importance à son travail. Moi, j’ai un meilleur salaire parce que je l’ai bien négocié mais je ne suis pas prêt à faire trop de concessions pour le travail ».
Alors, les hommes sont-ils prêts ? Peut-être, mais il est temps que mœurs et loi s’accordent. Car depuis vingt ans, malgré le meilleur niveau scolaire et universitaire des femmes, l’écart de salaires entre hommes et femmes ne bouge dans aucun des pays de l’OCDE.
Cet article est issu du troisième numéro du magazine print de Welcome to the Jungle, sorti en septembre 2019. Abonnez-vous ou retrouvez le dernier numéro en kiosque dans toute la France !
Inspirez-vous davantage sur : Inclusion : minorités et féminisme
Career showers : « Mes copines célèbrent leurs grossesses, moi ma carrière ! »
« Nous attendons des femmes qu’elles soient des épouses et des mères avant d’être des businesswomen. »
10 oct. 2024
Racisme et LGBTphobie décomplexés : les employés de service en première ligne
« C’est parfois avec la peur au ventre que je vais travailler »
03 oct. 2024
82% des parents pourraient changer d’entreprise pour plus de soutien à la parentalité
« On a vécu une bonne claque à l’arrivée de nos enfants, on s’est rendues compte qu’on était préparées au jour J mais pas à l’après »
12 sept. 2024
22% des Français… (et Françaises !) préfèrent être managés par un homme
« Think manager, think male » : les stéréotypes du management ont la peau dure.
22 juil. 2024
Records du RN : « Le travail, plus que jamais, sera un terrain d'oppression »
Le monde du travail va-t-il être envahi par une discrimination décomplexée des minorités ? C'est la crainte de Marie Dasylva.
05 juil. 2024
La newsletter qui fait le taf
Envie de ne louper aucun de nos articles ? Une fois par semaine, des histoires, des jobs et des conseils dans votre boite mail.
Vous êtes à la recherche d’une nouvelle opportunité ?
Plus de 200 000 candidats ont trouvé un emploi sur Welcome to the Jungle.
Explorer les jobs