La sieste au travail à travers le monde
16 oct. 2018
5min
_Qui ne l’a jamais rencontré… le coup de barre après la pause déjeuner où l’on rêverait d’être dans son lit, rien que 5 minutes, pour reposer ses yeux ? Personne ! Peut-être avez-vous même déjà testé des techniques pour dormir, incognito, à votre bureau ? Dans certains pays, les salariés n’ont pas à se cacher de vouloir faire la sieste au travail, au contraire ! Les perceptions de la sieste diffèrent grandement selon la culture et peuvent nous révéler quelques indices sur la mentalité de chaque pays au travail…
Historique de la sieste
La sieste a toujours fait partie intégrante de la vie de nos ancêtres, que ce soit à l’époque des hommes des cavernes ou des philosophes des lumières.
Ce n’est qu’à partir de la révolution industrielle (entre le XVIIIème et le XIXème siècle) et de l’urbanisation de la population qu’elle a été abandonnée : les chaleurs de mi-journée étant plus supportables en intérieur qu’au milieu d’un champ et le travail à la chaîne nécessitant une présence constante des ouvriers, il est vite devenu inapproprié de s’endormir au travail.
Pourtant, la sieste n’a pas dit son dernier mot et fait son grand retour sur nos lieux de travail, en tant que facilitateur de bien-être bien-sûr, mais aussi en tant qu’outil de performance. En effet, il a été prouvé par la NASA qu’une sieste de 15 minutes a des effets considérables sur notre vigilance, notre humeur et notre mémoire, augmentant ainsi nos performances cognitives de manière générale et réduisant nos risques de maladies cardiovasculaires de 37% d’après la Harvard medical school.
Si ses bienfaits ne sont plus à prouver, chaque culture a néanmoins sa propre perception de la sieste…
L’Asie et sa culture pro-sieste
Chine : la sieste, pour être plus productif
Cela pourrait peut-être vous étonner, mais la Chine est un véritable eddorado de la sieste. Et pour cause, dans le pays le plus peuplé de la planète, le droit au repos est inscrit, depuis 1948, dans l’article 43 de la Constitution : « les travailleurs de la République populaire de Chine ont droit au repos. » Historiquement, la pratique de la sieste puise ses origines dans la Chine ancienne : d’après les principes du yin & du yang, elle permet de rétablir l’équilibre et l’harmonie.
À l’heure de la sieste, les employés ne vivent pas dans la crainte de se faire surprendre à piquer du nez sur leur clavier, parce que leur manager est probablement lui aussi en train de faire la sieste ! La sieste y est vue comme un bon moyen de se reposer pour pouvoir recommencer à travailler dur par la suite. Un concept difficile à saisir pour les occidentaux qui estiment ne pas être payés par leur entreprise pour dormir… Une vision finalement bien obsolète du travail car quel chef d’entreprise refuserait à son employé une sieste, en sachant qu’elle lui permettrait d’être plus productif par la suite ? D’après un reportage de Franceinfo, certaines entreprises chinoises seraient même équipées de dortoirs. Lorsque ce n’est pas le cas, les employés peuvent se munir d’un lit de camp pour pouvoir faire une sieste près de leur bureau. Certains iraient même dans les magasins Ikea pour se reposer sur les canapés, les lits et les fauteuils ! Cosy. La sieste serait presque inévitable à la pause déjeuner, d’ailleurs, on l’appelle le “shui wu jiao”, pour “sommeil de midi”.
Japon : la sieste en gage du dur labeur
Au Japon, la sieste n’est pas inscrite dans la Constitution. Pourtant, elle est idéologiquement acceptée dans tous types d’entreprise. Le concept de la sieste en entreprise porte même un nom : l’inemuri, qui veut littéralement dire “dormir tout en étant présent”, et il peut être pratiqué seul à son bureau mais même en pleine réunion ! Cela leur permet de montrer qu’ils sont aptes à reprendre le travail rapidement. En rechanche, les jeunes salariés devraient faire leurs preuves avant de pouvoir s’accorder ces siestes réparatrices au travail.
D’après la docteure Brigitte Steger pour une étude de la BBC, certains employés japonais vont même jusqu’à feindre l’endormissement pour être bien perçu de leurs supérieurs, car ne pas être fatigué au milieu de la journée, c’est un risque de passer pour quelqu’un qui n’a pas travaillé assez dur le matin-même. Peu de vacances donc, au pays du soleil levant, mais une garantie d’être laissé en paix lorsque l’on s’endort en pleine réunion marketing.
Une autre explication au fait que la pratique de la sieste soit démocratisée dans la plupart des pays asiatique, est liée au type de médecine. En occident, la médecine traditionnelle est dite palliative : nos médecins se concentrent sur la guérison des patients atteints d’une maladie. En Asie, la médecine traditionnelle est préventive, c’est pourquoi la population locale préfère adopter un style de vie en accord avec leurs besoins naturels.
La culture anglo-saxonne, anti-sieste
Angleterre : la nuit, c’est fait pour dormir !
Autre salle, autre ambiance. S’il y a bien un pays où la sieste va avoir du mal à faire son grand retour sur les lieux de travail, c’est bien en Angleterre. Le professeur Vincent Welsh de l’Institut des neurosciences cognitives de l’Université de Londres a expliqué que les actifs anglais étaient « obsédés » par le fait de ne s’accorder qu’une unique phase de sommeil : la nuit. En addition à ça, dans la culture locale, les actifs restent rarement plus tard que 18h au travail.
USA : la sieste se fait en bonne intelligence
Du côté des Etats-Unis, en revanche, la micro-sieste a toujours été tolérée mais jamais encouragée, on l’appelle la “power nap”, pour sieste éclair. La performance étant le nerf de la guerre, si un collaborateur, mettons un designer, estime avoir besoin d’une sieste pour être plus créatif et qu’il choisi de la faire sur son bureau en ne dérangeant personne, alors il n’y a aucune raison que cela fasse de vague. En revanche, un commercial encore loin de ses objectifs pris à faire la sieste en période de clôture d’exercice… Là, il sera dans de beaux draps !
Dans la Silicon Valley, sur la côte ouest, les choses sont encore différentes. Là-bas, la course aux talents est plus acharnée que nulle-part ailleurs. Pour pouvoir attirer des génies de tous horizons, il faut apprendre à s’adapter et à aller contre son propre courant culturel. C’est pourquoi les start-up locales multiplient les initiatives de bien-être, dont les espaces de sieste. Pour un local, ce sera surement sans importance, mais pour un ingénieur chinois ou japonais, sûrement un argument de poids.
Les pays européens, loin d’être d’accord
Allemagne : un retour progressif à la sieste
Les entreprises anglaises ne sont pas les seules en Europe à résister au retour de la sieste sur les lieux de travail car c’est également le cas en Allemagne. Pourtant, les Allemands aussi avaient l’habitude de faire la sieste jusqu’à la révolution industrielle. Mais les besoins en main-d’œuvre des économies manufacturières ont entraîné la disparition de la coutume, comme dans une grande partie de l’Europe du Nord. L’idée d’un rétablissement de la sieste fait tout de même son chemin en Allemagne, où de grandes entreprises allemandes telles que BASF, Opel et Lufthansa fournissent des espaces de repos à leurs employés, mais ce sont encore loin d’être des initiatives démocratisées.
Espagne : plus bosseurs que siesteurs
Toujours en Europe, impossible de parler de sieste sans parler de l’Espagne. Pour nos voisins du sud, la sieste a longtemps été sacrée. Elle occasionnerait une coupure bien trop longue à la pause déjeuner selon certains hommes politiques locaux qui estiment que cette longue pause représente un désavantage concurrentiel lorsqu’il s’agit de travailler avec d’autres partenaires européens. Pourtant, d’après l’OECD, les espagnols auraient travaillé un plus grand nombre d’heures que la France ou l’Angleterre en 2018… La pause déjeuner de 3 heures pour faire “la siesta” relèverait donc plutôt d’un mythe actuellement.
France : la sieste, de plus en plus acceptée
En France, la sieste en entreprise est acceptée dans la plupart des start-ups et des entreprises technologiques où le turn-over est très important et donc la qualité de vie au travail aussi. Mais dans les métiers de la finance, de la grande distribution ou encore de l’industrie, la sieste aura encore beaucoup à prouver, avant d’être finalement tolérée. D’après un sondage OpinionWay datant de 2016, 12% des managers seraient pour la pratique de la siester à la pause.
Ces dernières années ont été le théâtre d’une véritable prise de conscience autour du bien-être en entreprise… Une tendance générale devenue difficile à ignorer dans un contexte où la course aux talents se fait de plus en plus farouche. Parmi les composantes de cette tendance, on retrouve toujours la qualité de sommeil car elle impacte l’ensemble de nos capacités cognitives. Le moment idéal pour la sieste de pointer de nouveau le bout de son nez et de rappeler qu’elle est bien plus qu’un luxe : elle est une nécessité, surtout en entreprise.
Photo by lasiestoune
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