Et si la solitude avait parfois du bon ? Nos conseils pour l'apprécier
16 mars 2020
8min
Journaliste indépendante
E-mails en cascade, notifications en tous genre qui appellent une réponse immédiate, sur-sollicitation permanente, il est devenu très compliqué de s’isoler des autres. A fortiori au bureau, où les opens spaces et les coworkings regroupent désormais 82% des travailleurs, et où 7 salariés sur 10 déclarent échanger quotidiennement avec plus de 10 personnes par messagerie instantanée, mails, téléphone ou intranet. Pourtant, si l’on en croit certaines études, être seul(e) serait indispensable à notre bien-être et aurait même des bienfaits insoupçonnés sur notre productivité. Mais comment prendre du temps pour soi quand on est sans cesse sollicités ? Et comment mettre à profit ces moments de solitude, sans pour autant s’ennuyer ou se sentir trop isolés ? Pour le savoir, nous avons interviewé Noémie Le Menn, psychologue du travail, avec qui nous avons fait un petit tour des bienfaits de la solitude.
Distinguer isolement et solitude
Selon une étude de Paris Workplace réalisée en partenariat avec l’Ifop en 2019, bien que les salariés travaillent de plus en plus en collectif, 25% affirment se sentir souvent isolés au sein de leur entreprise. Et pour cause, il faut distinguer la solitude, comme fait d’être physiquement seul, de l’isolement, qui est une émotion négative due au fait de ne pas réussir à créer de relations satisfaisantes avec autrui. Selon Agustin Chevez, chercheur associé au Centre d’innovation du Design à l’université de technologie de Swinburne, « l’isolement est une interprétation du sentiment de solitude propre à chacun. C’est un sentiment indépendant de la condition d’être seul. Alors que la solitude est l’état objectif de n’avoir personne autour, l’isolement peut être vécu au milieu d’une foule. » Ainsi, l’isolement serait finalement une version subie de la solitude.
Pour Noémie Le Menn, psychologue du travail et coach, cette connotation péjorative vient de l’origine punitive de l’isolement. « Classiquement, l’isolement était synonyme de punition pour l’être humain. Être isolé c’est être sorti du groupe, et cela est vécu comme une forme de rejet social. C’est d’ailleurs le principe même du système carcéral, ou tout simplement de l’enfant que l’on punit en l’envoyant au coin. »
Si être seul peut donc être très bien vécu, se sentir isolé implique que nous ressentions un mal-être lié à notre incapacité à nous lier aux autres. Et c’est justement dans ces cas qu’être seul devient problématique. Selon le docteur Martin Juneau, cardiologue à l’Institut de Cardiologie de Montréal, l’isolement social augmente le risque de mourir prématurément, au même titre que l’obésité, la sédentarité ou le tabagisme. À l’inverse, un réseau social de qualité permettrait de faire face plus facilement au stress provoqué par les épreuves de la vie, ce qui réduit les facteurs de risque pour la santé mentale et physique.
Si la solitude est donc souvent perçue comme négative, c’est notamment parce qu’elle est régulièrement confondue avec l’isolement. Dans une étude de l’institut BVA pour l’association Astrée, en janvier 2019, 80% des sondés estimaient que la solitude en France était un problème important, et 74% disaient avoir des difficultés à exprimer leur sentiment de solitude. Lors d’une interview accordée au magazine Psychologies en octobre 2019, Jacqueline Kelen, auteure de l’Esprit de Solitude, expliquait que « l’on associe le plus souvent la solitude à l’isolement, à la séparation, au deuil, à l’abandon et donc à une grande forme de détresse. La solitude ressemble donc à épouvantail monstrueux qu’il faut fuir à tout prix. Dans notre société, il n’est pas “normal” de rester seul(e), et d’en être heureux, tout comme cela paraît suspect de ne pas vouloir d’enfant. Car beaucoup ne réalisent pas que choisir la voie solitaire, ce n’est pas vivre comme une âme en peine, abandonnée de tous. »
En effet, de plus en plus d’études nous montrent qu’être seul serait source de nombreux bienfaits. Mais encore faut-il être réceptif à ceux-ci.
Positiver la solitude, une opportunité de prendre de la hauteur
Pour apprécier les bénéfices de la solitude, il faut donc être dans une démarche volontaire, choisir de faire de ce moment où l’on est seul, un moment à soi. Au travail, cela signifie par exemple ne pas avoir peur de s’isoler physiquement si l’on en ressent le besoin, laisser ses multiples mails en pause quelques instants, accepter de se concentrer sur ce qui nous occupe l’esprit en refusant toute distraction.
Chez soi, cela peut être renoncer à sortir avec des amis si l’on n’en ressent pas vraiment l’envie, ou au contraire aller au cinéma même si l’on n’a personne avec qui y aller. « Au lieu de penser que l’on ne peut plus rien faire, que l’on devient inutile parce que l’on est seul, il faut au contraire plonger au plus profond de soi pour découvrir toutes les richesses que l’on possède », explique Jacqueline Kelen. Plutôt que de paniquer seul face à soi-même, il faut donc vivre le moment comme une opportunité de mieux se reconnecter à soi, de se concentrer, de se poser et de prendre de la hauteur.
Évidemment, cette démarche paraît plus simple si l’on a délibérément choisi d’être seul. Mais positiver la solitude s’apprend aussi quand on se retrouve seul « par accident » : un déjeuner de travail qui s’annule par exemple, un trou dans son agenda, une soirée entre amis qui tombe à l’eau… Tous les moments de solitude sont bons à prendre s’ils sont vécus comme des opportunités et non comme une contrainte. « S’il n’y a pas de ‘recettes toutes faites’ pour positiver la solitude, le maître mot est bien celui-ci : le plaisir. Cela peut passer par l’écriture, la marche en forêt, le voyage, un film, le dessin ou la masturbation. Peu importe tant qu’il y a de l’agrément », explique le psychologue Hervé Magnin, auteur de La Positive Solitude, dans un entretien à l’Express.
Optimiser ses moments en solo en s’aérant l’esprit
Positiver, ok, mais comment optimiser au mieux ces moments en tête à tête avec soi-même ? L’une des clés pour que la solitude soit bénéfique est de « désencombrer » selon Noémie Le Menn. « Le but est de faire une activité qui nous déconnecte des autres, qui nous décharge de notre charge mentale afin que l’on puisse revenir en envisageant les choses sous un autre angle », nous explique la psychologue.
Au travail : faire une activité qui nous décharge du problème qui nous occupe
Ainsi, au bureau, lorsque l’on bute sur un problème, l’idéal est d’aller marcher quelques instants si c’est possible, ou tout simplement d’aller se laver les mains, voire de faire une sieste ! « Le fait de s’isoler pour changer d’activité quelques instants permet de basculer dans un autre univers et de revenir stimulé, rechargé. »
Autre possibilité, s’isoler pour poser les choses par écrit. Cela peut notamment permettre de mieux organiser ses idées, de visualiser avec plus de clarté ce qui, dans notre tête, semblait confus. Cette technique s’avère particulièrement utile lorsqu’il s’agit de résoudre un problème qui englobe plusieurs verticales : lors de l’élaboration d’une stratégie marketing par exemple, d’un plan de communication, de la création d’un nouveau process… Nul besoin pour autant de se mettre la pression pour faire jaillir la sacro-sainte créativité : « Certains ont besoin d’être seuls pour être créatifs, mais ce n’est pas le cas de tout le monde », nuance Noémie Le Menn. L’important est surtout de déconnecter des autres et du problème qui nous occupe quelques instants, quelle qu’en soit la façon.
Chez soi : se reconnecter à ses émotions
À la maison, on peut profiter d’être seul pour exercer une activité artistique, comme la peinture, le dessin, ou la lecture. L’art est connu pour stimuler la créativité, car cela nous permet d’exprimer des sentiments ou des émotions que nous n’aurions pas nécessairement laissés jaillir sous le regard des autres.
La méditation, est aussi une bonne façon de profiter d’être seul pour se reconnecter à ses sensations, apprendre à détecter les signaux faibles que nous envoie notre corps, et faire le vide. Et pour ceux qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans une telle pratique, le simple fait de se reposer peut suffire. « Le repos est la meilleure façon de se recharger, affirme Noémie Le Menn, il booste la créativité et permet au cerveau de mieux travailler. Dans cette optique, la sieste est une façon très bénéfique de profiter d’un moment de solitude. »
L’important est que la distance physique que l’on instaure avec les autres en s’isolant volontairement crée une distance mentale. C’est elle qui va nous permettre de prendre de la hauteur de vue, de pouvoir réfléchir plus en profondeur et, pour certains, d’être plus créatifs.
Apprendre à se reconnecter à soi pour moins dépendre des autres
Mais bien vivre la solitude demande à avoir une certaine estime de soi-même explique Hervé Magnin : « Il faut s’entendre avec soi-même, se satisfaire de sa propre compagnie, ce n’est pas toujours facile, cela peut nécessiter un travail sur soi. » Pour cela, une première étape peut être de comprendre ce qui nous effraie tant dans le fait d’être seul : est-ce la peur de voir surgir des pensées ou des émotions négatives ? De s’ennuyer ? Que les autres, ses collègues comme ses proches, nous oublient ? Le fait d’analyser ces pensées permet de mieux se rendre compte qu’elles ne sont pas fondées, et qu’elles proviennent souvent de peurs irrationnelles. Si enfant, l’on avait l’habitude d’être envoyé dans notre chambre en guise de punition, la solitude a pu être associée à un sentiment punitif par exemple. Ainsi, commencer par faire une activité qui nous procure du plaisir, comme lire, méditer, ou même aller déjeuner seul dans un nouvel endroit sans ses collègues, va progressivement nous faire réaliser que notre temps en solo a autant d’importance que le temps en société. Et que nous n’avons pas besoin du regard des autres pour exister.
En comprenant mieux qui l’on est, en identifiant ses valeurs, ses besoins et ses désirs, on prend des décisions plus réfléchies, car moins soumises à l’influence d’autrui. L’on est alors plus à même de savoir vers quelles valeurs nous voulons tendre, que ce soit dans le milieu professionnel ou personnel. C’est comme cela que Margaux, cheffe de projet événementiel dans une agence de publicité, a pu changer de métier : « Je revenais du boulot tous les soirs avec un sentiment de malaise, j’avais l’impression d’être de moins en moins moi-même, alors que pourtant de l’avis de mes amis j’avais vraiment décroché le “job de rêve”. Alors un week-end, j’ai pris mon carnet et mon stylo et j’ai pris le temps de lister tout ce qui était important pour moi dans la vie. J’ai vraiment mis tout en vrac : passer du temps avec mes amis, œuvrer pour une cause, voyager… Je me suis alors rendu compte que le salaire et le côté show-off, qui étaient les principaux atouts de mon boulot, étaient en fait assez secondaires pour moi, alors que le sentiment de défendre une cause me tenait vraiment à cœur. J’ai réalisé que mon boulot de tous les jours, même s’il se passait bien, n’était plus du tout raccord avec qui j’étais, et c’est très sereinement que j’ai pu expliquer à ma manager quelques semaines plus tard pourquoi je souhaitais partir. Je pense que si je n’avais pas eu ce temps de réflexion, seule, je n’aurais jamais pu mettre le doigt sur le problème, et je serai probablement encore dans cette agence à l’heure qu’il est ! »
Outre le fait de prendre des décisions qui nous correspondent mieux, la reconnexion à soi permet aussi de mieux gérer ses émotions, de décortiquer pourquoi nous avons tel ou tel type de réaction face à une situation donnée, et de mieux comprendre d’où elles surgissent. Cela peut créer un espace réflexif qui permet de faire des choix éclairés, et ajustés à soi. Ainsi, lorsque l’on rentre du travail énervé par exemple, plutôt que d’inviter toutes nos tensions dans notre sphère privée, on peut prendre quelques minutes pour s’offrir un sas de décompression et se demander pourquoi nous sommes si énervés. Est-ce que l’on en veut à ce collègue qui nous a demandé de le dépanner pour la énième fois, et à cause de qui nous avons fini si tard ? Et si nous nous demandions plutôt pourquoi nous lui avons dit oui ? Est-ce parce que l’on a besoin de prouver aux autres que l’on est indispensable ? « La solitude nous offre cette belle leçon : il faut d’abord attendre de soi et non des autres, explique Jacqueline Kelen. Il faut d’abord savoir compter sur soi et s’aider soi-même. Et les autres viendront vers vous car ils ne seront pas là pour, en premier lieu, combler vos manques ou animer votre vie ».
Et si finalement l’un des principaux bienfaits de la solitude serait d’apprendre à mieux vivre avec les autres ?
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