Questions fermées en entretien d’embauche : comment en tirer parti ?
26 sept. 2023
6min
Freelance journalist and writer
Vous avez certainement déjà répondu à des questions « fermées ». Aussi appelées questions dichotomiques, elles se retrouvent souvent dans les enquêtes en ligne ou les questionnaires. Mais pas que : elles s’invitent aussi dans les entretiens d’embauche et peuvent être plus piégeuses qu’il ne le semble… Alors comment y répondre ? Asya Isakova, Head of People and Culture chez Inca Digital et Project Lead chez Hygge Work nous apporte un éclairage précieux sur ces questions pas du tout anodines et l’intérêt que vous pourriez en tirer.
Qu’est-ce qu’une question « dichotomique » ?
Il s’agit qu’une question fermée, autrement dit pour laquelle deux réponses seulement sont possibles, par exemple oui/non, vrai/faux, juste/injuste, d’accord/pas d’accord. Elles servent le plus souvent à mettre en lumière les qualités, les expériences, le vécu ou les opinions de la personne qui répond, car elle doit alors trancher. « On les dit “fermées” car elles ne laissent généralement aucun espace à des explications, de la nuance ou une mise en contexte », complète Asya Isakova.
À première vue, elles semblent un peu sèches et limitées, mais les questions dichotomiques ne sont pas là pour rien, surtout en entretien d’embauche. Elles d’ailleurs peuvent servir aux deux parties : pour l’entreprise, cerner plus précisément la personne qui candidate ; pour vous, lever un peu le voile sur votre potentielle future boîte et l’environnement de travail.
Asya Isakova l’admet, elle évite de poser des questions dichotomiques en entretien d’embauche. « D’abord parce que je profite de l’entretien pour essayer de connaître un peu la personne et lui laisser, autant que possible, un espace d’expression. Ensuite, dans les questions fermées, il y a souvent une réponse qui paraît plus socialement acceptable que l’autre. Si l’entretien est principalement articulé autour de ces questions, ça transforme plutôt l’exercice en un jeu de devinettes. » La spécialiste du recrutement tempère malgré tout : ces questions brèves fonctionnent bien pour certains types d’entreprise, et dans certaines situations.
On peut par exemple citer le cas des postes techniques qui exigent des compétences bien spécifiques devant être évaluées au moment du recrutement. Là, les questions dichotomiques accélèrent et fluidifient le processus de sélection : soit la personne coche les cases, soit elle ne les coche pas. S’il faut une qualification particulière, des connaissances solides en comptabilité par exemple, la réponse est oui ou non, point.
Si l’utilisation de questions fermées correspond à un souci d’efficacité et de rapidité du côté de l’entreprise, Asya Isakova craint qu’elles fassent passer à côté de la capacité des individus à acquérir et exploiter des expériences et des compétences diverses. « On ne peut pas en faire des vérités générales et absolues. Cela peut varier grandement d’une personne à l’autre. Pour moi, il est essentiel d’aller plus loin, de revenir sur le parcours professionnel de la personne. »
Poser des questions dichotomiques pour vous renseigner sur l’entreprise
On peut aussi voir dans les questions fermées une opportunité de mettre en valeur ses connaissances et sa curiosité au sujet de l’entreprise. C’est en effet l’occasion de montrer que vous avez (bien) fait vos recherches préalables, que vous avez rassemblé des informations sur l’entreprise et son activité. « Ces questions ont du poids en entretien, dans la mesure où elles vous permettent de me montrer que vous êtes proactif, que vous vous êtes déjà familiarisé avec ce que fait la boîte, que vous avez assimilé ces infos et fait preuve d’un vrai désir de bien vous connaître à ce stade. » Asya Isakova insiste sur le fait, ensuite, d’ouvrir vous-même la question, pour montrer votre intérêt et votre curiosité. « Donc posez à votre tour une question, mais ouverte cette fois-ci, pour donner lieu à un vrai échange. »
N’hésitez pas à vous renseigner sur un événement récent organisé par l’entreprise, à demander s’il sera réitéré par la suite (réponse oui/non), puis à ouvrir le sujet avec une question sur le poste que vous briguez. Dans ce cas précis, cela pourrait par exemple être de savoir si vous auriez à intervenir sur l’organisation de l’événement en question dans le cadre de vos nouvelles responsabilités. Dans la même veine, vous pouvez rebondir sur les rapports d’entreprise, son offre de produits, ses projets les plus récents, suivie d’une question ouverte portant sur le contenu du poste, en lien avec ce qui a précédé.
À la recherche d'un job dans lequel vous développer ?
La technique peut aussi être appliquée pour en savoir plus sur la culture d’entreprise ou l’organisation fonctionnelle, sous forme de réponse directe et précise. Vous pourrez, à partir de là, élargir le champ sur le même sujet.
Concrètement, identifiez un aspect qui compte à vos yeux, le paiement des heures supplémentaires, par exemple. Lancez le sujet par le biais d’une question dichotomique : « L’entreprise propose-t-elle une compensation pour les éventuelles heures supplémentaires ? » (Réponse oui/non). Selon la réponse que vous obtenez, vous pouvez chercher à en savoir plus, grapillant ainsi de précieuses informations sur les valeurs de l’entreprise.
Si la réponse est positive, vous pouvez vous renseigner sur la politique interne, demander à quelle fréquence le cas des heures supplémentaires se présente parmi les effectifs. « Si la réponse est non, je reformulerais la question fermée pour en faire une question ouverte, du style “Pourriez-vous m’en dire plus sur la position de l’entreprise quant aux heures supplémentaires ? Quels facteurs peuvent influencer vos décisions ?” », propose Asya Isakova. « Quand on me pose ce genre de questions, ça me permet de bien saisir où se situe la personne qui candidate. Je comprends mieux son point de vue. En tant que recruteuse et représentante de l’entreprise, je suis en mesure de lui fournir une vision d’ensemble des pratiques et politiques internes. »
Cette approche vaut tout naturellement pour chacun des sujets qui vous intéressent plus particulièrement dans le cadre de votre vie professionnelle. Cela peut aussi bien être la question de la santé mentale au travail que les primes, les possibilités d’évolution, le suivi individuel ou tout autre sujet en rapport avec le poste.
Répondre à des questions dichotomiques
Précisons pour commencer que cela peut être stressant, quel que soit le contexte. « Les questions fermées peuvent mettre un bon coup de pression, affirme Asya Isakova. Les candidats peuvent se sentir obligés de deviner instantanément la réponse idéale, en se basant sur l’offre d’emploi ou leur perception de l’entreprise, au lieu de chercher à répondre de façon tout simplement honnête. »
Alors, comment répondre à ces questions sans paniquer ni chercher à se conformer aux valeurs que nous imaginons être celles de l’entreprise ? Comment rester authentique ? « À mes yeux, l’honnêteté est la meilleure qualité dont la personne puisse faire preuve », confie Asya Isakova.
Répondre aux questions dichotomiques avec honnêteté, d’une façon qui reflète réellement vos valeurs et votre personnalité, permet à la personne qui vous interroge de recueillir de précieuses informations. Elle cerne mieux qui vous êtes et la manière dont vous envisagez le travail. « En tant que candidat ou candidate, exprimer ouvertement ses pensées et ses sentiments est aussi une manière de montrer qu’on a une bonne connaissance de soi et une forme d’intelligence émotionnelle. Ce sont de précieux atouts, quel que soit le poste visé. »
Soyez honnête, même si cela signifie admettre qu’il vous faut un peu de temps pour réfléchir à la réponse ou que vous trouvez qu’une réponse oui/non est trop lapidaire. « Si j’étais une candidate que j’avais du mal à fournir une réponse tranchée, je dirais posément que je vois du positif dans les deux et qu’il me faut plus d’informations pour répondre de façon éclairée à la question posée », confie Asya Isakova. En prenant cet angle d’approche, vous démontrez vos compétences en matière de raisonnement, de stratégie de réflexion et de pensée critique. Autant d’atouts recherchés par les entreprises, quels que soient le poste ou le secteur.
Objectif : faire passer en premier votre personnalité et vos valeurs
On insiste pour que vous vous positionniez sur une réponse ferme et définitive ? Assurez-vous de rester en accord avec vos valeurs personnelles et professionnelles. La réaction de la personne en face peut être un indicateur majeur et vous aider à savoir si le poste/l’entreprise est vraiment fait pour vous.
« Dans mon expérience personnelle en tant que candidate, je me suis retrouvée face à quelqu’un qui m’a demandé si les heures sup’ ou les horaires à rallonge me posaient problème, se souvient Asya Isakova. J’ai donné une réponse nuancée, en expliquant que ma disposition à faire des heures supplémentaires dépendait du contexte. Dans le cas d’un projet en phase critique, avec une deadline impossible à bouger, j’aurais certainement pu rester tard au bureau. Mais j’ai ajouté que, de manière générale, je préférais maintenir un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. »
Malgré ces explications, le recruteur persiste et attend une réponse nette de sa part : oui ou non pour les heures sup’. « J’ai donc fini par lui dire qu’à choisir, je répondrais non. On ne m’a pas proposé le poste. Mais finalement, ça m’a confortée dans mes valeurs, elles s’en sont trouvées renforcées. Cet équilibre de vie est une vraie priorité pour moi. »
Ici, il faut rappeler que la satisfaction au travail a un impact énorme sur notre satisfaction générale dans la vie, comme le confirment les études. « C’est pour cela qu’il est important que votre organisation professionnelle corresponde à vos valeurs personnelles. Si vous pouvez choisir un travail qui contribuera vraiment à votre bien-être, pourquoi vous priver ? Si vous hésitez sur votre réponse ou que vous n’en avez pas, tout va bien. Si vous ne cochez pas toutes les cases pour le poste, ce n’est pas grave non plus. Prenez-le comme une occasion d’apprendre quelque chose, d’évoluer, ou même de chercher des offres d’emploi et des postes qui correspondent finalement mieux à vos compétences et centres d’intérêt. Souvenez-vous qu’il existe plein de postes différents à pourvoir, et que chaque personne a des compétences qui lui sont propres. » Vous trouverez le job en accord avec vos besoins et vos capacités.
En entretien, les questions dichotomiques peuvent vous servir d’arme de précision et booster l’échange. Elles donnent lieu à des réponses concises, permettent d’engager la suite de l’entretien sur des sujets plus recentrés et peuvent vous servir à mettre en évidence les points les plus importants pour vous – à ce stade et une fois une poste.
Il n’en demeure pas moins essentiel de ne pas se cantonner à un jeu de questions/réponses fermées. Empêchez-vous de vous en tenir à une réponse basique (oui/non) et de passer directement à autre chose. Au contraire, laissez ces questions vous guider vers un échange plus riche, ciblé et profond. C’est le meilleur moyen de donner et recueillir de précieuses informations.
Article traduit par Sophie Lecoq ; article édité par Gabrielle Predko ; Photo par Thomas Decamps.
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