Être “Parent au foyer” sur LinkedIn : c’est okay ou risqué ?

08 juil. 2021

6min

 Être “Parent au foyer” sur LinkedIn : c’est okay ou risqué ?
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Anais Koopman

Journaliste indépendante

Le 8 mars dernier, la journaliste et maman américaine Heather Bolen poussait un coup de gueule à l’encontre de la plateforme LinkedIn, elle reprochait d’alimenter des “préjugés implicites sur les femmes”, notamment en ne permettant pas aux parents au foyer - en majorité encore des femmes -, de mettre un nom sur leur situation, et d’ainsi réintégrer plus facilement le marché du travail. En réponse au déferlement de cette tribune, le réseau social professionnel annonçait le 12 avril un changement important dans ses paramètres : il est désormais possible de choisir le statut “parent au foyer” sur son CV LinkedIn. Mais si cette initiative signifie que les mondes de la parentalité et du travail se rapprochent davantage, il semblerait que tout le monde ne soit pas du même avis concernant cette nouvelle fonction…

Wendy Glémet, elle, y croit à 100%. Chargée de mission RH, elle s’inspire du mode suédois du travail, très engagé dans la parité, avec une stratégie très ancrée en faveur de l’égalité femmes-hommes. Face à elle, Trish Foster, Directrice Exécutive du Centre pour les Femmes au Travail à l’Université de Bentley, met davantage en garde. Si elle aimerait que les parents se sentent libres d’adopter ce statut, elle a conscience que celui-ci demeure dangereux pour eux, et plus particulièrement… pour les femmes. Débat ouvert.

“Que sa durée soit de trois mois ou trois ans, qu’il s’agisse ou non d’un congé parental, une telle période mérite d’être rendue visible, d’être créditée”

Wendy Glémet, chargée de mission RH chez Alfa Laval (France)

“En tant qu’employée d’une entreprise suédoise très inspirée par la culture scandinave et tout ce que ça implique en termes d’équilibre vie professionnelle - vie personnelle (et donc de parentalité), je suis à 100% pour le statut LinkedIn de parent au foyer. En Suède, le rôle parental est naturellement partagé entre les deux parents. Le congé parental y est de 480 jours (16 mois), à répartir entre les deux parents, avec minimum 60 jours réservés à chaque parent. Le résultat ? Une implication plus forte des deux parents dans l’éducation de l’enfant, et davantage d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Régulièrement, mes collègues scandinaves hommes troquent le bureau pour les biberons et les langes, parfois pendant 9 ou 12 mois, sans que cela ne soulève de commentaire !

En Suède ou ailleurs, qu’elles soient choisies - pour s’offrir une plus grande proximité avec ses enfants - ou plutôt subies - pour éviter de payer un mode de garde par exemple -, les périodes de “pause” professionnelle pour s’occuper de ses enfants sont courantes… et peuvent concerner n’importe qui ! Les pères ne s’en privent plus : selon une étude de l’IRES, ils étaient 45% à recevoir l’allocation parentale en 2013, contre 38% en 2000.

Pour moi, communiquer sur cette situation de parent au foyer est primordial. Ce nouveau statut “parent au foyer” donne de la visibilité et accorde davantage de crédit à une activité tout à fait naturelle : prendre soin des siens. Au lieu de critiquer un moment de vie durant lequel on place sa famille au centre de ses préoccupations, on préfère désormais se poser la question de l’équilibre vie pro-vie perso. Où est le mal ? Ces périodes font partie de notre vie, donc de notre carrière… Et c’est long, une carrière ! Ce n’est pas pendant ces quelques mois ou années de “pause” que notre performance professionnelle en pâtira !

Inutile, donc, de chercher à cacher ou à masquer son statut de parent au foyer. Ce serait même dommage : en entretien, cela peut être une chose très positive. En tant que RH, nous recrutons des personnalités, et non uniquement des compétences et des diplômes ! Lorsque je vois que quelqu’un recherche un poste et qu’il·elle n’a pas travaillé pendant deux ans, je vais forcément lui demander ce qu’il·elle a fait pendant cette période. Pas pour la juger, mais pour apprendre à la connaître. Est-ce qu’elle a eu un enfant ? Fait un tour du monde ? Monté une entreprise ? Si la réponse est : “Je me suis occupé.e de mon ou de mes enfants”, elle est aussi pertinente qu’une autre ! C’est pour cette raison que ce statut, directement visible en ligne, permet de justifier des périodes que l’on pourrait considérer comme “vides” alors qu’elles ne le sont absolument pas !

Car qu’on l’écrive haut et fort : être papa ou maman à temps plein n’est pas une période de non-productivité. Nous ne sommes pas “actif·ve·s” que lorsque nous sommes au travail ! Cela reviendrait par exemple à considérer le travail associatif comme une non-activité, alors que cela demande du temps, de l’organisation, la capacité à mobiliser, à manager des personnes qui en plus ne sont pas payées… En tant que parent au foyer, on peut très bien monter son projet - personnel ou professionnel -, se former, apprendre à utiliser les réseaux sociaux, développer des soft-skills telles que la créativité… Ou juste, ne rien faire qu’apprendre à être parent ! Le plus dur des apprentissages…

Enfin, saluons qu’un réseau professionnel tel que LinkedIn, incontournable en termes de recrutement, nous amène à nous questionner sur ce genre de problématiques, bien plus courantes que l’on pense. Cette initiative, couplée à la récente réforme sur l’allongement du congé paternité en France, devrait permettre de normaliser cette situation et d’amener davantage de parents à faire ce choix sans avoir peur d’être stigmatisés.”

“C’est encore risqué de faire apparaître ce statut : la discrimination envers les parents au foyer est encore bien ancrée”

Trish Foster, Directeur Exécutif du Centre pour les Femmes au Travail à l’Université de Bentley (Etats-Unis)

“Dans un monde parfait, je pense évidemment que nous devrions tous et toutes pouvoir adopter ce statut si nous sommes concerné·e·s. En démocratisant le fait que des professionnel.le.s fassent une pause dans leur carrière pour s’occuper de leurs proches, quels qu’ils soient, on renforce l’importance des notions de soin et d’aide dans l’économie globale… et dans toutes les familles !

Néanmoins, malheureusement, j’ai conscience que c’est encore risqué de faire apparaître ce statut sur son profil LinkedIn : la discrimination envers les parents au foyer est encore bien ancrée. Cela révèle souvent un biais inconscient : celui selon lequel les parents qui s’arrêtent professionnellement parlant pour prendre soin de leurs enfants seraient forcément moins dévoués à leur carrière ou à leur employeur.

J’ai moi-même vécu cette situation : je suis restée chez moi pendant une quinzaine d’années pour élever mes enfants. Quand j’ai voulu revenir sur le marché du travail, les employeurs me posaient tout un tas de questions sur ce trou dans mon CV. J’avais le sentiment de devoir me justifier à outrance… et parfois même de devoir m’en excuser ! C’est là que j’ai réalisé que la maternité est encore vue comme un suicide professionnel par un grand nombre de personnes… Alors que la paternité, assez rarement finalement.

Les stéréotypes négatifs qui visent celles qui font une pause dans leur carrière sont plus répandus dans la société que ceux qui visent les hommes. D’après un sondage du Center for American Progress (CAP) datant de 2018, les mères sont 40% plus nombreuses que les pères à affirmer avoir personnellement ressenti un impact négatif sur leur carrière, après avoir décidé de prendre du temps pour s’occuper de leurs enfants. Il y a même un mot pour cela : la “mommy penalty”. Lorsque les femmes réintègrent l’entreprise, nombreuses sont celles que l’on prive de projets challengeants, ou encore de promotions…

Il faut dire que l’image de l’actif.ve idéal.e est encore bien enracinée dans les esprits : il s’agit d’une personne qui est 24h/24, 7j/7 au téléphone ou devant son ordinateur. Si on pousse un peu le cliché, c’est généralement un homme, dont la femme reste à la maison pour prendre soin des petits… Ce, même si les entreprises tournées vers l’avenir ont bien conscience que les structures familiales ne ressemblent plus vraiment à ça et que chacun·e, a besoin de dispositions plus flexibles - en termes d’horaires, par exemple - et de cultures d’entreprise solidaires. Cela vaut pour les mères, comme pour les pères, à condition que ces derniers aient l’intention de s’occuper de leurs enfants, au même titre que leurs homologues féminins.

Alors, pour accompagner les nouvelles parentalités de leurs talents, les employeurs devraient avant tout se questionner sur les raisons qui ont pu pousser certains parents à quitter leur emploi. En effet, une étude menée par le Center for Work-Life Policy prouve le fait que plus de ⅔ des femmes des femmes très qualifiées qui ont quitté le marché du travail ne l’auraient pas fait si leurs employeurs leur avait permis d’accéder à des conditions de travail plus souples. Il peut s’agir par exemple d’un manque de conditions favorables à l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, ou bien d’un manque de flexibilité, dans les horaires ou les congés parentaux par exemple. Enfin, il faudrait aussi aider les parents à revenir sereinement dans le monde professionnel après avoir pris un congé : a posteriori, les entreprises devraient pouvoir les accueillir sans les pénaliser pour les choix qu’ils ont fait !

En attendant, les parents au foyer devraient choisir ce statut LinkedIn si et lorsqu’ils sont prêts à le faire et en ayant conscience que cela pourrait leur porter préjudice… sans hésiter à mettre en valeur les nouvelles compétences qu’ils auront pu tirer de cette période en dehors du monde strictement professionnel. Cela pourrait en effet limiter les possibles dommages liés à leur statut de parent au foyer !”

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Article édité par Clémence Lesacq

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