Syndrome de l’imposteur : 3 conseils pour aider un salarié qui en souffre
02 mai 2023
4min
Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse
Plus d’une personne sur deux a le sentiment de ne pas mériter la place qu’elle occupe, notamment au travail. Alors, managers, comment réagir face à un salarié souffrant de ce « syndrome de l’imposteur » ? Voici nos conseils.
Le chiffre est éloquent : 70 % de personnes dans le monde souffrent du « syndrome de l’imposteur » à un moment de sa vie, selon le Journal of Behavioral Science. Formalisé à la fin des années 70 par les psychologues américaines Pauline Rose Clance et Suzanne A. Imes, ce « syndrome » entraîne un profond sentiment d’illégitimité et exprime un malaise chronique, un doute obsédant, susceptible de générer un stress puissant. Par peur d’être démasquées, les victimes peuvent alors se réfugier dans la procrastination : « Je ne vais pas y arriver, je rends les armes ». D’autres, se jeter à corps perdu dans un travail acharné, mais risquer ainsi le burn-out. Dans tous les cas, ce sentiment ou cette expérience empêche de s’épanouir et peut même conduire à saboter sa carrière.
Quand on sait que tout salarié peut, avec plus ou moins d’intensité, traverser une période transitoire de « syndrome de l’imposteur », que ce sentiment renforce l’investissement, au risque du sacrifice de son bien-être, il semble essentiel que les organisations et les managers puissent développer des compétences et des outils qui permettront d’en prendre conscience et d’aider leurs collaborateurs à le dépasser. Fondatrice du cabinet « Sens et Travail », Daphnée Breton est psychologue du travail et des organisations. Elle intervient dans les entreprises pour réaliser des diagnostics en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail. Voici ses conseils pour accompagner un collaborateur victime du syndrome de l’imposteur.
1 - Porter une attention particulière aux salariés en phase de transition
Laisser le temps aux nouveaux de prendre leurs marques est essentiel
Le « syndrome » de l’imposteur n’est pas une maladie. Ce n’est pas non plus un phénomène isolé. D’ailleurs, Daphnée Breton préfère parler de sentiment ou d’expérience caractérisés par des tendances chroniques de doute de soi, de sensation de fraude intellectuelle, d’incapacité à intérioriser ses réussites. « Cette situation peut surgir autant dans la sphère professionnelle que dans la sphère personnelle, notamment quand on devient parent. Elle surviendrait aussi bien chez les hommes que chez les femmes, avec une prédominance dans les groupes minoritaires, et souvent lors d’une période de transition, comme une première expérience professionnelle, un premier stage, une promotion importante », souligne-t-elle.
Le manager a ainsi tout intérêt à porter une attention particulière à celles et ceux qui démarrent. Mais, le plus souvent, les entreprises attendent que les nouveaux venus soient opérationnels à 100 % dès le premier jour. « Leurs compétences académiques ont été reconnues par un diplôme. Pourtant, la mise en pratique opérationnelle de ces connaissances, à savoir la maîtrise de la transformation du travail prescrit, présenté dans la fiche de poste et le travail réel peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années. L’expertise professionnelle s’acquiert au fur et à mesure et se construit dans le temps. Or, on attend de ces nouveaux embauchés, appelés également « juniors » sur le marché du travail, qu’ils soient productifs tout de suite, comme leurs collègues plus expérimentés. Au-delà des stratégies de compensation individuelles telle que l’hyperactivisime, cette situation peut générer des sentiments profonds de remise en question de ses compétences », assure Daphnée Breton.
Le tutorat pour créer les conditions de la confiance en soi
Pour accompagner les nouveaux venus, Daphnée Breton préconise aux organisations de mettre en place des systèmes de tutorat, de définir des périodes d’accompagnement, de suivi et de moments d’échanges avec les nouveaux arrivants. « Le tutorat a également l’avantage de créer des liens entre les salariés, d’organiser le transfert de compétences et de savoir-faire, de favoriser leur intégration dans les équipes, et donc de limiter cette situation d’imposture et le sentiment d’isolement qui en découle. En clair, le tutorat peut éviter aux nouveaux venus d’être jetés dans le grand bain sans brassards alors qu’ils ne savent pas encore nager tout seul », précise-t-elle.
Ce tutorat, tout comme la formation professionnelle, reste valable tout au long de la carrière, notamment lors des montées en responsabilité, car le management ne s’improvise pas non plus. Il peut s’inscrire dans le dispositif de « Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels » et doit participer de la stratégie globale de l’entreprise : « Les obligations de préservation de la santé physique et mentale des travailleurs reposent sur les employeurs, non sur les managers, dont l’autonomie et les moyens pour assurer leurs responsabilités sont limités », rappelle la spécialiste.
2 - Construire des possibilités d’évolution alternatives
En 2011, le rapport Gollac et Bodier sur les risques psychosociaux identifiait déjà la question de la reconnaissance au travail comme un vecteur important de santé, un élément fort de motivation et de sens. Mais cette reconnaissance ne passe pas seulement par une prime, une augmentation ou un changement de statut. Tous n’ont pas vocation à gravir les échelons, à devenir manager. Or dans notre société où la culture de la bonne note reste profondément enracinée, la reconnaissance passe trop souvent par une promotion verticale, « sans pour autant avoir été formé et accompagné à manager comme il le faut », glisse Daphnée Breton. « Les managers peuvent également ressentir un sentiment d’imposture et l’on se questionne rarement sur les moyens dont ils devraient disposer pour faire un travail de qualité. » Au-delà des résultats, la reconnaissance des compétences et des efforts mis en œuvre pour atteindre les objectifs est aussi à prendre en compte. Elle peut se concrétiser par des missions confiées aux collaborateurs. Missions qui sanctionnent leur expertise sur tel domaine et leur permettent de s’épanouir.
3 - Favoriser le collectif pour sortir de l’isolement
« La politique de la porte ouverte ne fonctionne pas », assure notre experte. « Si le manager ne va pas à la rencontre de ses équipes, les salariés ne passeront pas dans son bureau pour parler de leurs doutes. Cela pourrait en effet être perçu comme un aveu de faiblesse, un risque dans l’appréciation de leur travail, et pour la suite de leur carrière. » Le manager a pour mission de soutenir les personnes de son équipe pour que le travail soit fait, mais il doit aussi veiller à ce que ses collaborateurs aient les moyens de l’accomplir.
« Les échanges spontanés et informels se font. Ils favorisent la construction du collectif de travail et du travail collectif. Le rôle du manager consiste à organiser ces échanges pour qu’ils puissent se formaliser. Parler de façon collective du travail permet de questionner les moyens humains, techniques, matériels dont on dispose ou pas, mais aussi d’aborder la question de la qualité et du sens du travail. Mais dans la réalité, les managers manquent souvent de temps pour organiser et légitimer ce type d’échange. Et si la direction générale n’a pas la volonté de s’interroger sur l’état des conditions de travail et les moyens organisationnels alors, le risque de développement de situation de souffrance au travail est accru », détaille la psychologue. Dans les raisons qui expliquent les situations de souffrance au travail, la psychologue pointe également les indicateurs chiffrés. Trop souvent déconnectés de la réalité du travail, ils instaurent une ambiance de compétition, sont la source de conflits entre les salariés et peuvent favoriser le développement de sentiment d’imposture… contribuant à dégrader l’estime de soi.
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Article édité par Ariane Picoche,
Photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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