Faut-il bannir le téléphone au travail ?

12 sept. 2024

7min

Faut-il bannir le téléphone au travail ?
auteur.e
Sylvain Guillet

Journaliste web

contributeur.e

Il est partout, tout le temps, et vous suit même jusqu’aux toilettes. On ne parle pas de votre manager toxique, mais de votre smartphone. Cet objet personnel, normalement cantonné à la sphère privée, nous suit jusqu’au bureau, où son usage est parfois problématique. Lorsqu’il impacte votre productivité, il peut être source de conflit avec votre manager. Pour mieux comprendre le phénomène du téléphone au travail, nous avons passé en revue le cadre légal et les études consacrées à ce sujet.

Interdiction du téléphone au travail : que dit la loi ?

Vous avez tendance à avoir le téléphone scotché à la main toute la journée, même au travail. Et voilà que votre boss s’approche de vous, l’air sévère : « Encore avec votre téléphone ! Dorénavant, je vous prie de le laisser dans votre sac jusqu’à la fin de la journée. » Même si la sentence paraît justifiée, a-t-il réellement le droit de vous interdire l’usage de votre mobile ?

De manière générale, l’employeur ne peut pas interdire complètement l’utilisation du téléphone personnel à un salarié : « une interdiction générale et absolue d’utilisation du téléphone portable personnel, sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail, peut être considérée comme abusive », affirme Maître Xavier Berjo dans un article publié sur Juritravail.com.

La raison à cela ? L’article L1321-3 du Code du travail, qui affirme que le règlement intérieur d’une entreprise ne peut contenir «des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Votre boss ne peut donc pas vous interdire à 100% de montrer à vos collègues les photos de votre chien sur votre smartphone. Néanmoins, dans certaines situations, les restrictions peuvent être « justifiées et proportionnées ». C’est notamment le cas si votre sécurité ou celle des autres salariés est en jeu (ex : conducteur d’engin), ou si votre téléphone peut interférer avec des appareils électroniques présents sur votre lieu de travail (par exemple dans le milieu médical). On peut alors vous obliger à mettre votre portable en mode avion ou attendre la pause pour passer vos appels.

Dans les cas extrêmes (vous êtes constamment sur votre téléphone au détriment de votre job), vous pouvez être licencié pour insuffisance professionnelle. C’est cependant assez rare, car pour en arriver là vous devez faire preuve d’un véritable manque d’investissement. Faites preuve de bon sens au travail : une utilisation modérée du téléphone est acceptable, mais cela ne doit pas impacter votre capacité à exécuter correctement vos tâches.

Téléphone au travail et productivité, un impact pas si évident

À première vue, pas besoin d’avoir un doctorat en Sciences Économiques pour reconnaître que la présence du téléphone au travail impacte négativement notre productivité. Mais la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.

Entre addiction et distraction, les dommages réels du téléphone sur la productivité

Première évidence : le smartphone est une source de distraction supplémentaire au bureau ; au même titre que Didier de la compta’ qui partage avec vous toutes les pensées qui lui traversent l’esprit, ou les 14 onglets que vous avez ouverts sur votre navigateur Web.

Le téléphone n’est donc pas le seul ennemi de la productivité. Mais là où il se montre plus vicieux, c’est dans son caractère addictif. Près de 6 personnes sur 10 n’arrivent pas à s’en passer, révèle une étude de l’Observatoire Santé PRO BTP, en partenariat avec le Centre de Recherche de l’Institut Rafaël.

Au fil des années, le téléphone est devenu comme une extension de nous-même, au point qu’on ne le perd jamais de vue. Si bien que sur le lieu de travail, il repose naturellement sur notre bureau, prêt à nous distraire de nos tâches à la moindre notification. Or, il faut souvent plusieurs minutes pour se recentrer sur une activité après une interruption.

Le problème, c’est qu’entre le moment où je me suis levé ce matin et l’heure où j’écris ces lignes (il est 13h), mon smartphone m’a déjà envoyé 280 notifications (des chiffres obtenus grâce à une application). Autant d’emails, messages WhatsApp, pop-ups, invitations, mises à jour et autres rappels intempestifs qui polluent l’esprit et perturbent la concentration. On peut donc aisément deviner les conséquences de ces distractions à répétition sur la productivité au travail.

Pour mesurer objectivement les effets du téléphone au travail, une équipe de chercheurs allemands a analysé les réponses de 379 participants à un questionnaire en ligne, visant à évaluer leur addiction au smartphone et les conséquences sur leur vie privée et professionnelle.

Les résultats de l’étude mettent en lumière la perte de productivité liée à l’usage du téléphone au travail, ainsi que la diminution du nombre d’heures effectives travaillées. On note aussi une baisse de la durée des phases de concentration sans interruption.

Par ailleurs, l’enquête fait ressortir un constat plus accablant : les participants ont conscience que leur comportement vis-à-vis de leur téléphone a des effets négatifs sur leur vie, dans une sorte d’acceptation passive. Ici, l’effet addictif du téléphone se confirme : il provoque un comportement impulsif et dommageable (perte de négativité), mais difficilement contrôlable.

Vous voulez savoir si vous êtes nomophobe (accro au téléphone) ? Faites le test élaboré une psychologue et un chercheur en interaction homme-machine de l’université d’État de l’Iowa, et relayé par Sciences et Avenir.fr. Alors, quelle place votre téléphone portable tient-il dans votre vie ?

Ne diabolisons pas le téléphone au travail

Les nouvelles technologies sont rarement perçues positivement par la société. À chaque nouvelle avancée c’est la fin des haricots, et nous, pauvre espèce humaine, sommes voués à l’aliénation. Mais comme toujours, la vérité se trouve au milieu.

Certes, le téléphone est une occasion supplémentaire de faire autre chose que son travail. Mais soyons réaliste : même dans les années 30, lorsque les écrans n’existaient pas, une personne qui n’avait pas la tête au boulot trouvait une manière de se distraire de ses obligations. Sauf qu’au lieu de faire défiler le fil d’actualité de son compte Instagram, elle fabriquait des avions en papier ou rédigeait discrètement sa liste de courses.

Il faudrait donc prendre le problème dans l’autre sens : si l’on passe trop de temps sur son téléphone au travail, c’est peut-être lié à un problème de motivation, à une mauvaise répartition des tâches, voire à un certain laxisme (aussi bien du côté salarié que managérial). Dans ce cas-là, la cause n’est pas le comportement en lui-même (usage excessif du téléphone), mais l’environnement de travail ou la personne elle-même.

Quant à l’incidence du téléphone au travail sur la productivité réelle des salariés, elle est loin d’être si négative. Dans un sondage réalisé en 2021, 68,5 % des répondants considèrent que l’usage du smartphone augmente leur productivité, alors que seulement 31,5 % d’entre eux pensent qu’il la réduit.

Ce gain de productivité obtenu grâce aux téléphones serait lié à divers facteurs : un meilleur accès à la connaissance, des applications utiles, une facilitation de la communication, etc. De nombreux aspects positifs, donc !

On peut même se demander si de temps en temps, se couper quelques minutes de son travail pour traîner sur son téléphone ne nous offrirait pas un break mental, aux vertus régénératrices. Ce culte moderne de la perfection - être constamment productif à 100 % - n’est ni possible, ni souhaitable. Nous ne sommes pas des robots. Et si on lâchait du leste pour accepter qu’il n’y a parfois rien de mal à perdre son temps sur son téléphone ? En revanche, on peut questionner le choix du téléphone pour se couper du travail. Un écran, encore un écran. Et si on choisissait plutôt un bouquin, une balade, une discussion avec un collègue ?

Comment faire du téléphone un allié au travail ?

Maintenant que le téléphone est entré dans nos vies et qu’il n’en sortira pas de sitôt, autant en faire un atout professionnel. Votre smartphone regorgent d’outils et d’applications qui peuvent vous aider à être plus efficace au travail. En voici quelques exemples :

Pour la gestion du temps

Les applications de planification : utilisez des applications comme Google Calendar, Trello, ou Todoist pour organiser vos tâches et rendez-vous. Ces outils permettent de fixer des rappels et de structurer votre journée, ce qui augmente votre productivité.
Le minuteur Pomodoro : travaillez en segments de temps définis (la technique Pomodoro étant la plus connue) afin d’améliorer la concentration et la productivité.

Pour une communication efficace

Les applications de messagerie : des applications comme Slack, Microsoft Teams ou WhatsApp permettent une communication rapide et efficace avec vos collègues. Cela réduit les délais et facilite la collaboration.

Pour la formation continue

Les applications de e-learning : des applications comme Coursera, LinkedIn Learning ou Khan Academy vous permettent de suivre des cours en ligne et d’améliorer vos compétences professionnelles.
Les podcasts et audiobooks : profitez des trajets ou des moments d’attente pour écouter des podcasts ou des livres audio sur des sujets pertinents en lien avec votre travail.

Pour la productivité et le bien-être

Les applications de méditation et de bien-être : il existe de nombreuses applications comme Headspace ou Calm pour réaliser des séances de méditation rapide, réduisant le stress et augmentant la concentration.
Les applications de suivi d’activité physique : téléchargez des applications comme Fitbit ou Apple Health pour suivre votre activité physique et votre sommeil, ce qui influence positivement votre performance au travail.

Les outils de collaboration

Les outils de gestion de projets : collaborez sur des projets avec votre équipe, assignez des tâches, et suivez l’avancement des projets en temps réel directement depuis votre mobile. Asana et Monday.com sont les deux apps les plus connues.

Des applications mobiles… pour moins utiliser le téléphone au travail ?

Si vous n’arrivez pas à réguler votre durée d’utilisation du téléphone au travail, c’est que vous êtes probablement (un peu) accro aux écrans. Mais rassurez-vous, vous êtes loin d’être la seule personne dans cette situation. Si bien qu’on voit émerger de plus en plus d’applications mobiles qui visent à vous aider à mieux réguler l’usage de votre mobile.

Voici 3 applis à tester :

Forest : pour rester concentré en vous encourageant à ne pas utiliser votre téléphone. Vous plantez un arbre virtuel qui pousse tant que vous n’utilisez pas votre téléphone. Si vous quittez l’application, l’arbre meurt. Au bout de 30 minutes sans interruption, un nouvel arbre pousse et peu à peu, une forêt apparaît, symbole de vos moments de concentration ininterrompus et de vos progrès.
Moment : cette application suit votre temps d’écran quotidien et fournit des statistiques précises pour vous donner une idée précise de votre niveau d’usage. Elle propose des défis pour réduire votre temps d’utilisation ainsi que des formations pour mieux gérer l’utilisation des écrans.
RescueTime : cette app’ fonctionne en arrière-plan pour suivre votre utilisation d’applications et de sites web. Elle fournit des rapports détaillés et vous permet de fixer des objectifs pour réduire votre temps d’écran. Sa particularité, c’est qu’elle offre une analyse approfondie de votre productivité, en identifiant les applications et sites web qui vous distraient le plus. Elle propose également des alertes pour vous avertir lorsque vous dépassez vos limites de temps d’écran.

En outre, rappelez-vous que le téléphone au travail c’est comme la clope : pour réduire, c’est la volonté qui compte ! Toutefois, si vous avez lu cet article sur votre smartphone alors que vous êtes au bureau, on vous pardonne, c’est pour la bonne cause.

Article rédigé par Sylvain Guillet, édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps

Les thématiques abordées