Télétravail : 4 bonnes idées venues du Portugal
17 nov. 2021
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Le Portugal est-il en passe de devenir le pays le plus attractif et avant-gardiste en matière de travail à distance ? Depuis le printemps 2020, de nombreux·euses nomades ont remplacé Bali par Lisbonne et ont élu domicile dans cette petite république ibérique de 10 millions d’habitants. Mais le Parlement portugais entend anticiper le futur du travail et être pionnier en matière de droit du travail. En novembre 2021, une nouvelle loi prévoit le droit des salarié·e·s à la déconnexion et oblige les employeurs à prendre en charge les frais domestiques du télétravail. Cette loi est l’une des plus avant-gardistes sur le sujet.
Le Portugal est depuis longtemps l’un des pays européens où j’aime le plus passer mes vacances. J’envisage même parfois d’aller y vivre en famille. Mais depuis quelque temps, c’est pour son positionnement sur le sujet du travail qu’il attire le plus mon attention. Voici 4 idées portugaises intéressantes en matière de télétravail dont vous pouvez vous inspirer:
Bye-bye les mails des employeur·es en dehors des heures de travail
L’idée de protéger le droit à la déconnexion n’est pas nouvelle. Le principe a été introduit dans le droit français dès 2017. Et une entreprise comme Volkswagen avait déjà eu l’idée en 2011 de bloquer les serveurs d’emails après les heures de bureau pour mieux protéger les salarié·e·s d’une surcharge de sollicitations. Mais après presque deux ans de pandémie, une croissance exponentielle du stress et du burnout au travail, il fallait aller plus loin. Le gouvernement socialiste d’Antonio Costa a fait passer des nouveaux amendements au Code du travail pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Le télétravail est devenu si banal qu’on ne peut plus se contenter de responsabiliser uniquement les individus. Les questions qui se posent aux gouvernements comme aux syndicats sont celles-ci : Comment réinventer les protections du Code du travail à l’ère du travail hybride ? Comment protéger les travailleurs / travailleuses sans les priver des bienfaits d’une flexibilité qu’ils/elles plébiscitent ? Comment avoir la flexibilité sans le burnout ?
Le Code du travail portugais interdit désormais explicitement aux employeurs de contacter leurs employé·e·s en dehors de leurs heures de travail : ni mails, ni coups de fil, ni messages d’aucune sorte après l’heure. Ceux/celles qui transgressent l’interdit s’exposent à des grosses amendes (jusqu’à 9 600 euros pour une infraction).
L’avantage de cet interdit, c’est qu’il prend acte de l’asymétrie de pouvoir entre un·e salarié·e et son/sa manager : le stress engendré par un message d’une personne au-dessus de vous dans la hiérarchie (et la pression qui s’exerce pour y répondre) est bien plus important que celui qui vient d’un·e collègue ou d’un·e subordonné·e. Du coup, les meilleurs systèmes de protection sont ceux qui permettent aux salarié·e·s de travailler aux heures de leurs choix, tout en empêchant les employeurs d’ajouter des sollicitations nouvelles en dehors des heures contractuelles.
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Interdire la surveillance de ses collaborateurs·rices et favoriser le télétravail pour les jeunes parents
La possibilité de travailler à distance ne suffit pas à garantir aux salarié·e·s des conditions de travail flexibles et respectueuses de leur intimité. Certaines entreprises imposent des réunions incessantes pour reproduire à distance leur culture du présentéisme de bureau. D’autres ont mis en place des mécanismes de surveillance pernicieux. Beaucoup de travailleurs / travailleuses ont l’impression de travailler davantage à distance. Pour les jeunes parents, le télétravail était plein de promesses d’un meilleur équilibre. Hélas, quand il est mal organisé, le télétravail n’allège en rien la charge mentale et les défis organisationnels.
La nouvelle loi interdit aux entreprises de surveiller les travailleurs à domicile de quelque manière que ce soit. Elle établit aussi un droit automatique au télétravail pour les parents d’enfants de moins de 8 ans et l’égalité des droits pour les salarié·e·s, quel que soit le lieu où ils/elles travaillent. En télétravail, les salarié·e·s ne peuvent pas être moins payé·e·s que celles/ceux qui vont au bureau.
La combinaison de tous les éléments cités — droit à la déconnexion, interdiction de la surveillance, droit au télétravail pour les parents de jeunes enfants, égalité de traitement à distance et sur site — marque une avancée notable dans la réflexion sur les conditions de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle à l’ère du travail hybride.
L’hybridation requiert aussi de penser l’articulation entre les différents espaces de travail. C’est pourquoi le texte évoque les contacts directs et présentiels qu’il s’agit d’entretenir avec l’entreprise, à une fréquence d’au moins une fois tous les deux mois, afin d’éviter l’isolement excessif et de cultiver les liens sociaux. Mais la loi ne peut tout prévoir. Dans certaines équipes et cultures, cette fréquence peut être jugée très insuffisante. Et la loi ne dit pas comment on organise le travail hybride…
Les frais de télétravail (éléctricité, internet) pris en charge par l’employeur·e
Au début de la pandémie, de nombreuses entreprises se sont demandé quels avantages elles allaient proposer à leurs salarié·e·s en télétravail : équipement, chaises ergonomiques, abonnement internet… Les syndicats ont d’ailleurs imposé le sujet des frais domestiques dans les négociations collectives. En 2020, les Pays-Bas se sont illustrés en incluant le café et le papier toilette domestique consommé sur les heures de travail dans les coûts pris en charge par les entreprises. Mais globalement, même si certains pays et entreprises ont mis le sujet sur la table, le gros des frais supplémentaires assumés par les salarié·e·s n’a pas été pris en charge par les employeurs.
À l’heure où les prix de l’énergie flambent, de nombreux individus réalisent que le coût principal sera cet hiver celui du chauffage. Le contexte actuel a donc sans doute incité les législateurs portugais à imposer la prise en charge par les employeurs d’une partie des factures d’électricité et d’internet de celles/ceux qui travaillent à domicile. À cela s’ajoute l’entretien du matériel nécessaire à l’activité exercée.
Certaines personnes (notamment des avocat·e·s) ont exprimé leur inquiétude quant à la manière dont ces coûts seront calculés. Le montant finalement remboursé fera l’objet de négociations. En tout cas, aucune entreprise ne pourra faire mine d’ignorer les coûts liés au travail domestique. Demain, on devrait pouvoir y inclure d’autres choses encore : une partie du loyer, les services de ménage, l’ameublement… ?
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Miser sur l’attractivité du télétravail, à l’échelle nationale
Les travailleurs/travailleuses nomades ont longtemps été vu·e·s comme un groupe marginal composé de quelques jeunes développeurs et autres graphistes célibataires, attiré·e·s par les plages thaïlandaises. Mais la période de pandémie nous a fait voir que le nomadisme avait de nombreux visages. Aujourd’hui, à l’échelle européenne, les nomades sont suffisamment nombreux/nombreuses pour pousser à la hausse les coûts de l’immobilier et redessiner la géographie du travail. Ce sont parfois des familles entières qui font des arbitrages nouveaux sur leur lieu de vie parce qu’ils/elles peuvent travailler à distance pour leur employeur·e.
Ce qui est sûr, c’est que le nomadisme de masse est plus lent et calculé. Depuis la pandémie, les nomades restent plus longtemps dans les lieux où ils/elles élisent domicile. Ils/elles cherchent aussi davantage à développer un ancrage local et à réduire leur empreinte carbone. Le Portugal a bien compris depuis des années que les travailleurs / travailleuses mobiles pouvaient être une aubaine pour le pays et apporter des recettes fiscales supplémentaires. La cible de ces travailleurs / travailleuses mobiles pèse d’autant plus lourd que le secteur du tourisme n’a pas retrouvé son niveau d’avant pandémie. Ainsi l’île de Madère, par exemple, a ouvert le premier village numérique d’Europe pour séduire les nomades.
L’Europe est fragmentée. La réalité de la vie des nomades se heurte souvent aux obstacles administratifs et fiscaux. Ayant quitté la Grande-Bretagne juste avant la mise en œuvre du Brexit pour m’installer en famille en Allemagne, je vis ces obstacles administratifs dans ma chair au quotidien ! Au Portugal et en Estonie, on essaye désormais de leur rendre la vie plus facile. Aux avantages fiscaux s’ajoutent des visas temporaires spéciaux. Pour la ministre du travail portugaise, Ana Mendes Godinho, il s’agit de faire du Portugal LE pays phare du télétravail. « Nous considérons que le Portugal est l’un des meilleurs endroits au monde pour ces nomades numériques », a-t-elle déclaré. Si la réalité des démarches administratives n’est pas encore à la hauteur de cette ambition (et est sans doute loin de ce qu’elle est déjà en Estonie), il ne fait pas de doute que le Portugal attire de plus en plus de nomades…
Photos par Thomas Decamps pour WTTJ
Texte édité par Héloïse de Montety
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