Diriger en toute transparence, la vraie clé du succès ?

23 mars 2023

5min

Diriger en toute transparence, la vraie clé du succès ?
auteur.e
Luc BretonesExpert du Lab

Consultant, auteur et conférencier spécialiste en innovation managériale

Sous la douche ou en train de pédaler, l'irruption d’une bonne idée déclenche souvent la même chose : l’envie de la garder secrète. Or, pour notre expert du Lab Luc Bretones, il s’agirait d’un biais qui empêche votre illumination de rayonner. Alors, la transparence devient un moyen de gouverner par le collectif et d’embarquer les équipes dans la réalisation d’un destin commun. Du coup, on lâche tout ?

« La meilleure façon de protéger une idée ? La crier sur tous les toits ! » Lorsque Franck Nouyrigat, entrepreneur multirécidiviste à succès, m’a partagé sa conception de la transparence, j’avoue ne pas y avoir cru tout de suite. Lancer un projet innovant publiquement était pour lui une façon d’embarquer les meilleurs profils et ainsi de lui donner toutes les chances de percer. Et pour cause, beaucoup des vainqueurs des Startup Weekend (des événements où des équipes, des coachs et des conférenciers se réunissent pour convaincre un jury d’experts, ndlr) ont développé des concepts très innovants de la sorte, les faisant émerger plus vite que le reste du marché en levant plusieurs dizaines de millions d’euros.

Benjamin Suchar, le vainqueur du second Startup Weekend parisien et actuel dirigeant de Worklife, start-up en hyper croissance, en est un bel exemple. Benjamin enchaîne les succès et les levées en criant au monde ses idées disruptives : CheckMyMetro, l’appli qui connecte les voyageurs du métro, Yoopies, pour trouver des baby-sitters et enfin Worklife, la fintech qui vise à révolutionner le métier des RH.

Depuis, je suis de plus en plus convaincu que la rétention d’informations est un mode secret par défaut. Et qu’en cela, elle gêne l’innovation. C’est pourtant contre-intuitif de penser qu’il vaut mieux livrer son idée de génie que de la garder pour soi. Alors, pourquoi promouvoir une transparence totale ?

Je sais donc que je suis

La dernière révolution industrielle, celle que nous vivons, celle de l’Internet, a rendu l’information abondante, accessible et ce, à coût marginal. Les entreprises et les particuliers qui souhaitent se différencier ou se faire connaître partagent leurs productions intellectuelles, leurs analyses, et accélèrent ainsi de façon inédite l’accès à un savoir sans limite, actualisé en temps réel. Par ailleurs, les fuites d’informations sensibles sont légion et tout finit toujours par se savoir, au grand dam des institutions et grandes organisations qui détenaient jusque-là le monopole de la diffusion.

Aujourd’hui, un simple individu peut ébranler une marque multinationale en révélant au monde, en un clic, un comportement inapproprié, ou tout simplement un processus client mal ficelé. Une simple excuse publique assortie d’une action correctrice peuvent rendre une marque internationale à la fois proche, humble et sincère.

Dans un monde plus que jamais ouvert, pourquoi tentons-nous encore de reproduire de vaines recherches de confidentialité ? Énormément d’entreprises multiplient les postures de rétention d’informations parce qu’elles adhèrent aux croyances qui y sont associées. Pour un dirigeant, savoir c’est dominer parce que l’accès à l’information a longtemps été l’apanage du pouvoir. « Je sais… donc je suis important. » Cette façon de penser convient parfaitement à une économie prévisible, largement planifiée et marquée par des processus de production de masse, hautement centralisés.

Or, notre contexte actuel appelle au contraire à l’ultra-personnalisation et l’adaptation en continu. L’information et son partage deviennent alors le carburant d’une activité qui cherche à maximiser la capacité de ceux qui produisent de la valeur. Cette transparence les aide aussi à décider à leur niveau, sans attendre les aller-retour délétères de la chaîne de commandement.

Face à la surabondance d’informations imputée à l’ère numérique – ce qu’on appelle « l’infobésité » –, l’enjeu ne semble donc plus d’accéder à l’information mais bien de pouvoir sélectionner, de manière efficace, celle dont nous avons besoin en temps réel. Si l’autonomie permet d’accélérer de manière drastique les capacités de décision et de réalisation de l’entreprise, elle implique alors la responsabilisation des équipes. Chaque membre devient responsable de trouver l’information dont il a besoin et de gérer ses émissions.

Les reflets de la transparence

Plus concrètement, mes vingts années d’expérience dans un grand groupe international puis dans des start-ups et des PME, m’ont permis de dégager trois grands avantages liés à la transparence :

  1. Donner tout à voir, c’est mettre les membres de l’entreprise sur le même piédestal en créant une sorte d’équivalence dans le collectif. Dit autrement, la transparence va avoir pour effet de mettre de l’huile dans les rouages. Plus personne n’est dépositaire de quoi que ce soit, donc plus personne ne peut créer de frottement dans la transmission et la gestion des droits à l’information. Plus encore, chacun devient responsable avec une mission : celle de trouver et de partager son info pour que chacun puisse développer ses talents.

  2. Si la transparence rend tout le monde responsable, elle règle du même coup les frustrations de celui ou celle qui n’avaient pas accès à l’information. Et permet à tout le monde de se sentir partie prenante d’un projet ou d’une mission.

  3. La transparence appelle naturellement à travailler la cohérence entre ce que l’on fait et ce que l’on dit. Être transparent, c’est aussi adopter un comportement communicatif exemplaire. Une aubaine (et un devoir) pour les chef·fes.

Travailler sur la propriété des informations, des idées et des connaissances en entreprise implique aussi d’apposer un cadre. Il ne s’agit pas de tout lâcher d’un coup et de commencer à tout partager, à tout le monde, en permanence. Cela dit, ne serait-ce que poser la question provoque des effets vertueux. Prenons l’exemple de la transparence des salaires. C’est sans doute un des exemples les plus connus et les plus traités. Aujourd’hui, plusieurs sociétés comme PNY Burger dans la restauration, Buffer dans le logiciel, Alan dans l’assurance ou encore Shine dans la finance vont jusqu’à partager leur politique salariale voire même leur grille de rémunération.

Ces organisations répondent aussi à un enjeu sociétal important. Aujourd’hui, un des plus grands reproches imputés au capitalisme et au patronat concerne justement l’écart indécent des salaires dans une boîte, ainsi que son manque de transparence. Nul doute que les organisations qui donnent à voir leur politique salariale ne craignent pas de différence gênante et qu’elles ont réfléchi au préalable pour cheminer vers des grilles de rémunération justes et équitables.

C’est toujours la meilleure idée qui gagne

Nous l’avons beaucoup dit, les salaires en France représentent le tabou ultime. Aussi, je pense qu’il y d’autres sujets plus simples à travailler comme les résultats financiers, un tableau de bord intégral, les informations clients, marchés, produits…. Pour savoir ce qui mérite d’être partagé, posez-vous une seule question : « Qu’est-ce qu’un·e employé·e ou un·e collaborateur·ice ne pourrait pas comprendre ou accepter ? » Vous verrez que beaucoup de digues tombent et que ce qui ne peut être partagé ne peut souvent pas l’être pour une bonne raison, personnelle ou sociale. Surtout, vous responsabiliserez d’autant plus vos équipes qui se plairont à évoluer dans une relation d’égal à égal - oserais-je dire « d’adulte à adulte » - avec une description précise des rôles et des responsabilités de chacun.

Actionner le levier de la transparence, c’est permettre à une organisation de privilégier un management par les rôles au détriment des organigrammes hiérarchiques traditionnels. C’est définir les exceptions qui favorise la théorie de « C’est la meilleure idée qui gagne » plutôt que d’enfermer son équipe dans des fiches de postes à l’obsolescence programmée. C’est permettre à une entreprise d’actualiser en permanence sa gouvernance plutôt que de figer une organisation monolithique incapable d’innover. C’est enfin permettre l’impulsion de l’ensemble du corps social plutôt que de favoriser le malaise des interprétations et de la politique.

En conclusion, j’ai envie de le dire clairement : arrêtons de prendre nos collègues et collaborateurs pour des enfants, indignes de notre confiance, irresponsables et incapables d’innover et de trouver des solutions.
Abreuvons la curiosité et donnons abondamment l’information qui permettra aux plus créatifs de nos collaborateurs de réussir, et de s’éclater dans leur quotidien professionnel. Gageons que la dynamique de la transparence amorce un cycle vertueux d’engagement et que la prochaine fois que vous aurez une idée de génie sous la douche, vous serez deux fois plus heureux quand vous la partagerez.

Article édité par Mathieu Amaré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ