Comment améliorer la transmission des savoirs au sein d'équipes dispersées ?

12 févr. 2021

7min

Comment améliorer la transmission des savoirs au sein d'équipes dispersées ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Les impacts de la crixe du Covid sur l’environnement de travail sont immenses : mise en place du travail à distance, renouveau managérial, digitalisation… Une nouvelle expérience collaborateur s’est improvisée entraînant une succession de changements de nombreux repères organisationnels et comportementaux. Les équipes, en première ligne, ont dû apprendre à travailler autrement et à manipuler une panoplie d’outils digitaux. Si l’activité a pu se poursuivre grâce à la résilience et l’adaptabilité de nombreuses organisations, la pratique du télétravail demeure toujours en rodage. Notamment sur un point : *celui de la transmission des savoirs et de l’information. Dans quelle mesure existe-t-il une déperdition ? Peut-elle être limitée grâce aux outils ? Ou est-ce une question de pratiques internes et de culture d’entreprise ? Décryptage.

Télétravail : pourquoi existe-t-il une déperdition de l’information ?

Télétravail : un obstacle au partage d’informations et de savoirs ?

Emmanuelle Joseph-Dailly, Directrice du Lab Recherches et Prospective Julhiet Sterwen et autrice du livre « Les talents cachés de votre cerveau au travail » (éditions Eyrolles) explique que, lorsque nous sommes loin les uns des autres, le rapport à l’autre évolue. En conséquence, « la distance nous prive d’une immense quantité d’informations sur l’autre : son humeur, son bien-être, son état d’esprit. Autant d’informations que l’on captait par le non-verbal ». La virtualisation des échanges nous coupe de tous ces signaux qui enrichissent, presque inconsciemment, les projets.

De plus, «tout ce qui relève de la construction par arborescence disparaît. Ces fameuses idées qui nous viennent, par hasard, parce que cela fait écho à quelque chose d’autre, n’ont plus d’espace. Les discussions non-prévues qui enrichissent notre créativité n’ont plus de place non plus car tout est planifié ». En effet, à distance, peu de conversations sont improvisées ou sans objectif fixé en amont. Cette hyper prévisibilité amenuise les chances de sérendipité : la capacité ou aptitude à faire par hasard une découverte inattendue qui souvent se produit lors d’un échange. Pour encourager la sérendipité, les organisations doivent favoriser la curiosité des collaborateurs et encourager les interactions fortuites, un alliage qui favorise l’émergence de nouvelles idées et l’innovation.

Les enjeux de la transmission de savoirs à l’heure du télétravail

Laurent Taskin, Docteur en Sciences économiques et de gestion, Professeur de management à la Louvain School of Management met en garde sur le risque de désocialisation lié au télétravail : moins il existe d’interactions, plus le langage et les codes communs disparaissent. Or, ce sont les garants de la collaboration et des échanges de savoirs. Les risques ? Une montée des « îlots d’information » menant à une perte de productivité. Selon une étude du MIT/Deloitte, les entreprises les plus performantes ont un point commun : elles ont engagé un changement majeur dans leur manière de faire « vivre » la connaissance au sein de leur organisation.

Anne-Julie Le Serviget, Product owner et Talent acquisition manager chez Betomorrow, agence de création, design et développement, souligne également que « le lien au collectif est au cœur des préoccupations, notamment pour les nouveaux arrivants, mais aussi pour les plus jeunes. L’enquête @WorkAnyWhere réalisée par Choose My Company en plein confinement a mis en lumière ce sentiment d’isolement renforcé chez les plus jeunes d’entre nous. L’appartenance au collectif et le développement de l’entraide sont ainsi des enjeux forts ».

Le manque de transmission peut engendrer une fracture sociale au sein des entreprises qu’il faut combler via différents moyens facilitant la circulation des savoirs explicites (compétences métiers par exemple) mais aussi tacites (savoir-être, soft-skills…).

Transmettre les différents savoirs à distance : quels sont les leviers clés ?

Choisir le bon outil : intuitif, communautaire et collaboratif

Pour transmettre les savoirs et entretenir le knowledge management, il existe pléthore d’outils collaboratifs que les entreprises ont largement utilisés lors de la pandémie : intranet, réseaux sociaux d’entreprises, forums de discussions, partage de fichiers, visio… Pour entretenir le processus de documentation de la connaissance en continu, les outils doivent aider à repérer les informations utiles, les hiérarchiser, les partager et les actualiser. C’est un vecteur de transmission clé pour les collaborateur·rice·s qui peuvent prendre la parole, échanger facilement des données, s’entraider et partager leurs connaissances ou expériences en centralisant les ressources de l’entreprise.

SkillAgora, par exemple, est une application web et mobile développée par Betomorrow qui favorise la rencontre autour des échanges de savoirs en entreprise. Son pari ? « Faire se rencontrer les personnes et circuler les connaissances. Sur l’application, chacun peut s’inscrire aux sessions qui sont proposées, suivre son parcours de progression mais aussi proposer des sujets et animer des sessions », explique Anne-Julie Le Serviget. L’application se positionne comme un Netflix de la formation, qui propose les sessions au programme, les sujets les plus aimés et les tendances en fonction des données collectées en temps réel. « Il n’est donc pas nécessaire d’avoir une forte maturité digitale pour l’utiliser. L’ergonomie a été conçue pour s’aligner avec des codes devenus universels dans nos usages. »

Le volet communautaire est cardinal dans la transmission de savoirs car comme l’explique Anne-Julie Le Serviget, « chacun est libre de créer une Agora pour son équipe et de tester l’application : l’espace conçu est sécurisé. ». L’ensemble des savoirs est donc véhiculé par les acteurs de l’entreprise eux-mêmes : les salarié·e·s qui sont à la fois « consommateurs » et créateurs des savoirs internes. Chacun peut soutenir les sujets qui l’intéressent et, ainsi, avoir le choix : une forme de responsabilisation engageante.

Créer une dynamique apprenante

Emmanuelle Joseph-Dailly préconise de mettre en place une organisation apprenante régie par la confiance « dans laquelle chacun porterait une intention résolument positive vis-à-vis de son organisation et de la diffusion des savoirs. Le partage ne peut pas être une injonction, pas plus que le lien entre collaborateurs d’une même équipe. Ainsi, pour que l’information circule, les gens doivent se parler ». Les pistes d’action ? « On peut ritualiser les temps d’échanges informels en se disant que tous les jours, on se garde 1h sans réunion pour pouvoir être appelé ou appeler ses collègues, juste pour échanger de manière informelle ».

Anne-Julie Le Serviget souligne que le digital facilite justement la mise en place d’une entreprise apprenante. « La dynamique générée par les échanges, les soutiens et l’appartenance à une réelle communauté apprenante participent à créer ce lien fondamental au collectif ». SkillAgora par exemple permet d’uniformiser les pratiques et de créer des rituels formatifs qui donnent un rythme de rencontre (en présentiel ou à distance) avec ses pairs. Concrètement ? Des créneaux disponibles sont posés dans l’agenda des salarié·e·s et chacun peut choisir d’y participer.

Structurer des rituels autour des savoirs et savoir-être

Emmanuelle Joseph-Dailly propose quelques rituels pour accélérer la transmission des savoirs : « garder quelques plages horaires dans la semaine pour reconstituer un semblant d’open space. Ainsi, une même équipe se connecte au même moment, et travaille, tout en restant connecté. Cela permet d’échanger en direct, quand une idée nous vient, un peu comme dans un espace de travail partagé ». Une manière de créer un environnement favorable à la sérendipité… à distance ! Mais les savoirs tacites ou savoir-être associés à un métier ou une mission restent périlleux à transmettre. Pour cela, le digital peut y contribuer selon Anne-Julie : « Les outils tels que SkillAgora favorisent la dynamique d’échange nécessaire pour la transmission de tous les savoirs : qu’il s’agisse de connaissances liées à la culture d’entreprise ou de l’innovation, compétences métiers, techniques ou transverses, échanges de pratique ou retours d’expérience. Il est possible d’organiser des sessions en one shot ou de réels parcours de formation. ».

Impulser le changement culturel grâce aux managers

Emmanuelle Joseph-Dailly insiste sur le rôle du/de la dirigeant·e : « il/elle a un rôle de soin, de « care », pas forcément de manière opérationnelle au quotidien mais par la politique qu’il met en place dans cette période trouble pour sécuriser les salariés. Pour qu’un.e collaborateur/ collaboratrice partage les infos à distance, il/elle doit savoir quoi partager : quelles sont les informations susceptibles d’intéresser les autres ? ». De manière plus opérationnelle, les managers doivent co-construire avec leurs équipes les règles autour du partage des savoirs :

  • Utiliser les erreurs comme des leviers d’apprentissage collectif afin de trouver des solutions. D’après une étude CrossKnowledge, 90% des acquis seraient liés à de l’information expérientielle, notamment grâce à son entourage et à son expérience concrète.
  • Créer un espace réservé à son équipe sur les outils collaboratifs et programmer des réunions ou échanges au sein d’espaces collaboratifs.
  • Encourager la visibilité et le partage d’expérience au sein de son équipe. Pour cela, les managers doivent être eux-mêmes transparents sur leurs réalisations et apprentissages.

Créer des communautés métiers ou d’experts

Afin d’infuser les compétences clés et transversales, de plus en plus d’entreprises encouragent la création de communautés métiers ou d’expert•e•s en interne. Il s’agit de bâtir tout un écosystème autour des compétences qu’elles soient techniques, métiers ou encore comportementales. L’organisation se structure alors autour de collectifs ou de pôles de compétences facilitant le partage d’expériences et de bonnes pratiques. Ceci facilite l’apprentissage continu et encourage l’intelligence collective.

Dans cette configuration, Anne-Julie Le Serviget explique qu’il est essentiel que les sujets de formation soient poussés par les salarié·e·s. Sur SkillAgora par exemple, « chacun peut montrer son intérêt pour le sujet et le soutenir. Il est ainsi possible de suivre les tendances propres à son Agora. C’est un outil qui favorise le développement d’une culture du collaborative learning et une réelle communauté apprenante. Ainsi, cela permet de mettre en relation, les experts, les compétences internes et favorise le développement du peer-to-peer learning ».

Instituer des bonnes pratiques autour du knowledge management

Pour instituer une philosophie d’entreprise plus « collaborative », quelques pratiques autour du knowledge management doivent être aussi diffusées et maîtrisées en interne :

  • Documenter au maximum les projets : chaque projet ou mission doit être renseigné et explicité via un template à remplir afin d’avoir une lecture simplifiée.
  • Encourager les équipes à réaliser des bilans de leurs projets ou missions avec les chiffres clés, les apprentissages et les pistes d’amélioration.
  • Adopter le réflexe communication : poster et partager les réalisations, ouvrir les documents sur lesquels les collaborateur·rice·s travaillent, encourager la visibilité au sein des groupes de travail
  • Organiser régulièrement des sessions en ligne de partage d’expérience ou d’ateliers de réflexion. Des outils tels que SkillAgora facilitent l’organisation de telles sessions de partage : « l’outil propose différents formats d’échanges laissant la possibilité à chaque Agora de les personnaliser : démo, retour d’expérience, atelier pratique, blended learning, one to one, débat, open innovation, flash talk (un format court de 30 minutes pour aller à l’essentiel)… La diversité des formats, des durées, mais aussi la mesure de l’intérêt contribuent aussi à une gestion optimale du temps investi », insiste Anne-Julie Le Serviget.

Photo by Thomas Decamps pour WTTJ

Observatoire des Rythmes du Travail

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