Quand les indicateurs vous obsèdent : découvrez « l'effet McNamara »

18 févr. 2020

2min

Quand les indicateurs vous obsèdent : découvrez « l'effet McNamara »
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

NOUS SOMMES TOUS BIAISES - C’est un fait : nous sommes tou·te·s victimes des biais cognitifs. Vous savez ces raccourcis de pensée de notre cerveau, faussement logiques, qui nous induisent en erreur dans nos décisions quotidiennes, et notamment au travail. Dans cette série, notre experte du Lab Laetitia Vitaud identifie les biais à l’oeuvre afin de mieux comprendre comment ils affectent votre manière de travailler, recruter, manager… et vous livre ses précieux conseils pour y remédier.

Explication

Ce que les Américains appellent la McNamara Fallacy est un phénomène bien connu dans les entreprises : dans des situations complexes, on a tendance à se focaliser exclusivement sur certains indicateurs, aux dépens de la vision d’ensemble et des objectifs réels.

Robert McNamara (1916-2009) était secrétaire à la Défense sous les présidences Kennedy et Johnson entre 1961 et 1968, au plus fort de la guerre du Vietnam. Avant d’être recruté par John F. Kennedy, il faisait partie du groupe des Whiz Kids (« les petits génies»), dix vétérans de l’armée de l’air ayant ensuite rejoint la Ford Motor Company en 1946. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce groupe s’était fait connaître en mettant en place une approche dite de « contrôle statistique » afin de coordonner toutes les informations opérationnelles et logistiques nécessaires à la conduite de la guerre. Ils ont ainsi contribué à la révolution de la logistique qui, dans les décennies suivantes, a transformé la plupart des grandes organisations.

Devenu secrétaire à la Défense, McNamara a cherché à répliquer les processus et indicateurs qui lui avaient si bien réussi en tant que dirigeant de Ford Motor. Aujourd’hui, cependant, cet héritage est controversé car l’indicateur choisi à l’époque pour mesurer l’efficacité des opérations au Vietnam était… le nombre de morts vietnamiens. L’usage d’armes chimiques, comme le tristement célèbre « agent orange », était mis au seul service de cet indicateur. Obsédé par l’idée qu’il fallait tuer le plus de Vietnamiens possibles, les militaires américains ont fini par oublier les objectifs stratégiques de l’engagement au Vietnam, la détermination croissante de l’ennemi et de la situation politique américaine (la guerre du Vietnam devenait de plus en plus impopulaire aux Etats-Unis).

Conséquences pour les ressources humaines

La focalisation sur un indicateur plutôt que sur les objectifs stratégiques de l’organisation est bien connue des départements des ressources humaines. D’ailleurs, ces derniers sont eux-mêmes le produit de la révolution managériale incarnée par les Whiz Kids de la Ford Motor Company. C’est en mettant en place des nouveaux indicateurs que le champ des « ressources humaines » s’est professionnalisé. Hélas, cet effet représente aujourd’hui un frein à l’agilité et à l’innovation. Il installe les DRH dans des logiques bureaucratiques.

Ce ne sont pas seulement les grandes entreprises qui en sont victimes. On peut citer les startups en croissance, qui font de l’embauche de X centaines de personnes en un temps limité un objectif premier. Comme si la croissance des effectifs et celle des utilisateurs était parfaitement corrélée, ces startups se focalisent sur un indicateur (les effectifs) en lieu et place d’objectifs comme la croissance du chiffre d’affaires ou celle du nombre des utilisateurs. C’est d’autant plus paradoxal qu’une startup est censée viser la « scalabilité », c’est-à-dire la capacité à servir un nombre toujours plus grand d’utilisateurs avec des ressources limitées.

L’obsession des startups pour le nombre de personnes recrutées s’explique aussi par le fait qu’on pense que des effectifs considérables signalent l’importance d’une startup à d’éventuels investisseurs.

Comment y remédier

Il est essentiel que les objectifs des DRH ne soient pas déconnectés des objectifs de l’organisation. Lorsque c’est le cas, l’effet McNamara n’est que trop courant. Selon Patty McCord, ancienne DRH de Netflix, tous / toutes les salarié.e.s, particulièrement ceux / celles qui travaillent dans les RH, doivent avoir une vision d’ensemble en matière de stratégie. Ils / elles doivent être formé.e.s aux enjeux. On pourrait ajouter que le système d’incitations doit refléter les objectifs réels de l’organisation.

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