BADASS : N’attendez pas d’avoir un problème pour vous intéresser à vos droits !
18 mai 2021
6min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Tout allait bien au royaume Travail. Vous étiez bien ancrée dans votre routine pro, vous vous entendiez bien avec les collègues, avec votre N+1. Comme la plupart des salariés, vous poussiez des hurlements de Nazgûl à l’évocation du droit du travail et pour vous, les syndicalistes étaient d’inquiétantes créatures auprès desquelles il ne fallait pas s’attarder plus de trois minutes sous peine d’y être amalgamée. Jusqu’au jour où… Discriminée, harcelée, dévaluée, le vent s’est mis à tourner. Mais c’était trop tard. Comme beaucoup, vous ne connaissiez pas grand-chose à vos droits en tant que travailleuse et vous pensiez que cette ignorance était le gage de la solidité de votre relation avec votre employeur. Sauf qu’elle n’en était rien. Pire : elle a pu nuire à votre progression. Je vous explique pourquoi et comment s’informer.
Quand la flemme vous fait opter pour la confiance
Avant, le droit du travail était synonyme de cauchemar procédurier où tournait en spirale les mots Prud’hommes, CGT, et emmerdes, un magma obscur dans lequel vous ne vouliez même pas vous risquer à glisser un orteil. Vous aviez confiance en votre entreprise, pensant que ça marche un peu comme dans un couple : pour avoir la paix, on ne prépare pas la guerre, contrairement aux recommandations de Jules César.
Vous êtes loin d’être une exception : en tant que femmes, nous sommes nombreuses à nous estimer chanceuses d’être là où nous sommes, et à ne pas vouloir s’attirer des ennuis en soulevant le tapis (ça s’appelle le déni). D’autant plus que, si moins de femmes sont présentes dans les forces syndicales que d’hommes, c’est parce qu’elles n’ont pas le temps (ça s’appelle la double journée).
Sauf qu’il suffit parfois d’un rien pour que votre vie pro s’embrase : un changement de chef, de direction, de politique interne, de collègue, une pandémie mondiale, la nomination d’un rival à votre poste rêvé. Soudain, les promesses ne sont pas tenues, vous devez faire plus avec moins, ou bien vous vous estimez dévaluée, discriminée, harcelée. Bref, il y a un problème et celui-ci prend soudainement toute la place. Et vous ne savez pas par quel bout commencer pour rétablir l’équilibre.
L’ignorance vous pénalise
Pourtant, en gratant le vernis et en vous intéressant à vos droits, un monde merveilleux risque d’apparaître sous vos yeux : vous apprendrez qu’il est tout à fait anormal de vous faire régresser de poste à votre retour de congé maternité, de vous proposer un abandon de poste soit-disant « arrangeant pour tous » (suivez mon regard), de modifier vos dates de congé moins d’un mois avant, de répondre aux mails le week-end et le soir, de vous donner de nouvelles missions pour le même salaire, de vous demander de ne pas partir avant 18h alors que vous êtes arrivée à 8h, de vous contacter au cours d’un arrêt de travail, de vous blâmer pour quelque chose que votre N+1 avait validé, de ne pas faire d’enquête interne après un signalement de cas de harcèlement sexuel, de ne pas avoir réalisé un rattrapage de votre évolution de salaire après un congé maternité ou de vous demander de travailler alors que vous êtes en chômage partiel… Entre autres.
Bref, vous découvrirez les limites rassurantes du droit du travail, mais aussi combien votre ignorance-amulette-protectrice vous a pénalisée : si Kevin a été préféré pour la promotion, c’est parce que lui a utilisé son CPF (« son quoi ??? ») pour monter en compétences.
Ce qui est dommage, c’est d’avoir attendu si longtemps pour découvrir tout ça (ne vous auto-flagellez pas : cette ignorance est souvent savamment cultivée). Parfois, il est trop tard pour vous défendre (notamment quand vous n’avez engrangé aucune preuve factuelle pour faire valoir votre point de vue), mais jamais pour se repentir.
Vous savez désormais que s’informer, ce n’est pas partir en guerre mais mieux comprendre comment le monde tourne, mieux poser ses limites au nom du professionnalisme (« Je ne suis pas joignable le week-end, en respect au droit à la déconnexion, et de cette façon, je suis mieux investie la semaine ») et tirer les bonnes ficelles pour avancer. En plus, ce n’est pas si compliqué.
Comment s’informer ?
Faites une visite tout sourire aux RH
Qui parle d’une visite hostile où vous tapez du poing sur la table pour connaître et réclamer vos droits ? Arrivée hier ou il y a trois ans dans l’entreprise, vous pouvez toujours prendre rendez-vous avec un responsable des ressources humaines pour vous faire expliquer le processus naturel d’évolution, le barème des salaires, la convention collective de référence, les abondements vers votre compte personnel de formation (CPF, c’était donc ça), les dispositions pour un congé sabbatique ou parental, les mesures adoptées pour favoriser l’articulation des temps de vie…
Aussi, vous pouvez (devez) évidemment trouver et lire par vous-même votre contrat de travail ainsi que la convention collective qui s’applique dans votre boîte, mais en cas d’incompréhension, n’hésitez pas à demander la traduction de ce langage parfois cryptique aux RH (ils ne mordent pas et sont même parfois bienveillants et gentils, si si).
Le tout étant de présenter votre démarche comme une initiative positive : « Je me sens bien ici, je me projette sur le long terme », « J’aimerais savoir ce que je peux faire pour évoluer », « Je souhaiterais savoir comment l’entreprise accompagne les salariés dans leur évolution de vie ». Évidemment, rappelez-vous tout de même que les RH ne sont pas neutres : c’est leur devoir de vous informer, mais ils travaillent avant tout pour la main qui les nourrit (pas vous, donc). Mieux vaut éviter de leur dire franco que vous voulez partir en année sabbatique asap.
Informez-vous via les podcasts et comptes Instagram
Aujourd’hui, par la grâce d’Internet, le droit du travail n’est plus un savoir obscur uniquement compréhensible pour une élite : une belle entreprise de vulgarisation et démocratisation est aujourd’hui à l’oeuvre avec des podcasts nécessaires comme Vos droits au travail de l’avocate Elise Fabing du cabinet Alkemist ou Droit Devant de sa consoeur Marylaure Méolans du cabinet Victoire Avocats (j’ai été invitée il y a peu à y parler de la négociation de salaire), ou encore les comptes Instagram comme @MypocketRH, @travailecoute, @un_instant_de_droit parmi la masse d’informations qui découle du hashtag #droitdutravail.
Arrêtez d’éviter le CSE comme la peste
Prenez votre courage à deux mains et faites connaissance avec les représentants syndicaux et les élu.e.s du CSE, le conseil social et économique de votre entreprise qui représente, entre autres, les intérêts des salariés (si vous travaillez dans une entreprise de plus de onze salariés, il doit y en avoir un). Ils pourront vous informer sur les dispositifs et les bénéfices dont vous pouvez jouir, mais aussi sur les velléités et demandes actuelles faites au nom des salariés à la direction.
Ou bien, vous pouvez aussi lire les compte-rendus des réunions entre le CSE et la direction, c’est toujours très instructif sur ce qui se joue en ce moment dans votre entreprise (projet de déménagement du siège, craintes autour d’un futur plan de départ volontaire, nouvelles acquisitions…)
N’ayez plus peur de parler Prud’hommes
En cas de gros conflit, notre premier réflexe est de vouloir éviter à tout prix la case Prud’hommes, qu’on imagine longue, onéreuse, psychologiquement et financièrement. L’avantage, c’est qu’en général la partie adverse craint autant les Prud’hommes, si ce n’est plus, que vous. Évoquer ce nom et d’un coup, le processus de négociation s’accélère (si vous avez des preuves solides, évidemment).
Sachez également que nombre de cabinets d’avocats acceptent de réaliser une première consultation gratuite pour évaluer à la louche votre situation et voir comment organiser la partie si besoin. Rien ne vous engage. Parfois, ça fait juste du bien d’en parler et de voir que l’on n’est pas si seul.
S’informer sur vos droits ne signifie pas partir sur un mode Kung-fu Panda avec votre employeur. Le premier bénéfice, c’est déjà de prendre conscience que vous pouvez dire non à certaines choses, que le rapport de force n’est pas toujours pot de terre contre pot de fer. Et ça, ça donne de la confiance pour mieux faire valoir ses limites et ses intérêts. Surtout, vous découvrirez que des gens - que vous respecterez d’autant plus - ont œuvré pour vous, dans le passé et au présent, pour que votre carrière puisse avancer plus naturellement, plus justement. Et prendrez conscience que l’entreprise dans laquelle vous travaillez est aussi un lieu ouvert qui vous appartient, et dans lequel vous pouvez, vous aussi, vous impliquer (notamment aux prochaines élections professionnelles, mais pas que !) pour créer de nouvelles dynamiques, pour le bénéfice de tous.
Photo by WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
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