La semaine de 4 jours, ce n’est pas travailler moins pour gagner moins

06 déc. 2018 - mis à jour le 05 janv. 2023

8min

La semaine de 4 jours, ce n’est pas travailler moins pour gagner moins
auteur.e
Cécile Nadaï

Fondatrice de Dea Dia

contributeur.e

Depuis la crise Covid, la culture du présentéisme s'affaiblit. La France est-elle pour autant prête à passer à la semaine de 4 jours ? Qu'implique ce nouveau rythme ? Quels sont les résultats obtenus par ceux qui la pratiquent déjà ? Tour d’horizon.

La semaine de 4 jours a le vent en poupe. Selon un sondage de Franceinfo, 64 % des salariés français sont prêts à sauter le pas.

Mais dans les faits, à quoi correspond ce modèle ? Il s’agit de travailler 4 jours par semaine au lieu des 5 jours communément admis, et cette organisation peut se traduire de 2 manières…

  • Une baisse du nombre d’heures de travail hebdomadaire (30 à 34 heures), avec une rémunération inchangée et des journées de travail maintenues à 8 heures.
  • Un maintien du nombre d’heures hebdomadaires mais avec augmentation des amplitudes horaires quotidiennes, de sorte que toutes les heures à effectuer (soit 39 ou 35 heures en France, selon le secteur d’activité) soient réparties sur 4 jours et non sur 5. Les salariés travaillent ainsi jusqu’à 10 heures par jour, 4 jours par semaine.

Dans un cas comme dans l’autre, la semaine de 4 jours, ce n’est pas travailler moins pour gagner moins. Les employés conservent le même salaire tout en bénéficiant de 3 jours de repos hebdomadaires.

4 expérimentations autour de la semaine de 4 jours

D’après l’Organisation internationale du travail, le fait de réduire son temps de travail hebdomadaire est plus naturel pour certains pays que pour d’autres.

En Suède, la semaine de 30 heures booste la croissance

Plusieurs structures suédoises ont déjà testé la semaine de 30 h réparties sur 4 jours, avec une rémunération équivalente à ce que les salariés touchaient lorsqu’ils travaillaient 40 h. C’est notamment le cas à Göteborg, une ville du sud de la Suède, où un concessionnaire Toyota a décidé en 2002 de passer à la semaine de 30 heures. Preuve que la démarche est concluante, les profits de Toyota ont augmenté de 25 % depuis 2002, alors même que les salaires y sont plus élevés que la moyenne dans le secteur. Pour Martin Banck, directeur de l’usine : « Le personnel se sent mieux, il y a moins de turn-over et le recrutement est plus facile ».

Aux Pays-Bas, il est possible de décider soi-même de son emploi du temps

Réduire son temps de travail et pouvoir l’organiser librement est une philosophie de vie en Hollande. Ainsi, si la loi prévoit une durée de temps de travail hebdomadaire pouvant aller jusqu’à 60 h, en réalité, la plupart des Hollandais travaillent en moyenne 30 h par semaine. Il est par ailleurs très courant de voir des personnes occupant des postes à grandes responsabilités travailler à temps partiel. Pour les salariés à plein temps, la durée maximum de travail journalier est fixée à 10 h et il est possible de décider soi-même de son emploi du temps. Ils peuvent donc répartir leurs horaires de travail à leur convenance et réaliser un temps plein en 4 jours ou un temps partiel en 5. Cette grande liberté semble avoir des effets positifs puisque d’après une étude de l’Expert Market établissant un classement mondial de la productivité en 2017, les Pays-Bas arrivent en 8e position des nations les plus productives.

« En passant le rythme hebdomadaire à 4 jours, on a moins le temps de se laisser distraire »

Au Royaume-Uni, la semaine de 4 jours est synonyme de concentration

Depuis juin 2022, 70 entreprises britanniques et leurs 3300 salariés testent la semaine de quatre jours sans diminution de salaire. Les premiers retours sont largement positifs, d’après un sondage de l’association 4 Day Week Global, à l’initiative de cette expérimentation à grande échelle. 88 % des personnes interrogées affirment ainsi que cette semaine de 4 jours fonctionne « bien » à ce stade, 46 % que la productivité de leur entreprise s’est « maintenue à peu près au même niveau », tandis que 34 % déclarent qu’elle s’est « légèrement améliorée » et 15 % qu’elle s’est « considérablement améliorée ». Voilà qui permet de montrer qu’en passant le rythme hebdomadaire à 4 jours, on a moins le temps de se laisser distraire. La concentration, l’organisation et la productivité s’en trouvent gagnantes !

Au Japon, on remet en question le surinvestissement au travail

Face au fléau du burn-out et à la culture dominante qui valorise un surinvestissement au travail, le gouvernement japonais encourage les travailleurs à trouver un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Ainsi, d’après une étude du ministère du travail japonais, en 2018, 6,9 % des entreprises comptant plus de 30 salariés ont introduit la semaine de 4 jours sous une forme ou une autre. Et l’idée que l’on travaille mieux quand on est plus reposé fait son chemin au Japon

Et la France, dans tout ça ?

Dans l’Hexagone, quelques entreprises ont déjà adopté la semaine de 4 jours.

Welcome to the Jungle : une productivité intacte malgré la semaine de 4 jours

C’est le cas chez nous depuis 2019 ! Après une phase d’expérimentation de 5 mois, ce nouveau rythme de travail a été définitivement approuvé. Le test s’est en effet avéré convaincant tant sur le plan financier que sur celui du bien-être des équipes. « La réduction du temps de travail de 20 % ne s’est pas accompagnée d’une baisse équivalente de la performance au sein des différentes équipes. Si l’expérience ne s’est pas faite sans quelques accrocs, des ajustements ont été trouvés suffisamment tôt pour que la productivité soit préservée », explique-t-on dans l’ebook que nous avons rédigé sur le sujet. Chacun a la possibilité de choisir son jour off parmi ces deux options : le mercredi ou le vendredi, profitant d’une pause au milieu de la semaine ou d’un week-end prolongé.

Chez Yprema, les collaborateurs choisissent eux-mêmes leur 3e jour de congé

De son côté, cela fait déjà 21 ans que l’entreprise Yprema pratique la semaine de 4 jours. Spécialisée dans le développement durable, elle emploie 80 salariés répartis sur 9 sites en France. En 1997, le PDG Claude Prigent a décidé de passer de 39 à 35 heures de travail hebdomadaire, devançant ainsi la loi Aubry. Il affirme que c’est ce qui lui a permis d’embaucher 14 personnes en CDI, passant de 42 à 90 salariés en 10 ans. Dans une interview du Nouvel Obs, il admet que cette décision a été motivée par les exonérations de charges allant de pair avec ce dispositif, mais explique aussi que pour une entreprise de son secteur, il était normal de lutter contre la pénibilité au travail. D’après lui, cette nouvelle organisation a largement augmenté la capacité de production de l’entreprise. Aujourd’hui, tous les salariés travaillent 35 heures par semaine et 80 % d’entre eux effectuent ces heures sur 4 jours. Ce sont les collaborateurs eux-mêmes qui choisissent leur 3e jour de congé, dans la mesure du possible, bien que certains se voient imposer un jour qui ne correspond pas forcément à leur souhait initial, mais ceci reste aménageable en cours d’année si besoin.

Travailler moins pour travailler mieux, le pari de la semaine de 4 jours

Travailler moins permet en toute logique d’avoir un meilleur équilibre de vie et de se préserver des nombreuses maladies liées au stress et au surmenage, mais cela aide aussi à être plus performant dans son travail. Selon une étude menée par Charles J. Hobson de l’Université d’Indiana Northwest, le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée entraîne du stress, des maladies liées à l’anxiété, et provoque plus de conflits dans la vie personnelle, qui conduisent à davantage de divorces et à des lacunes dans l’éducation des enfants. Paradoxalement, les effets négatifs se ressentent aussi dans le cadre du travail : baisse de la productivité, de la motivation et de la satisfaction à aller travailler, employés moins investis, arrêts maladie à gogo et absentéisme…

De son côté, Jean-Emmanuel de Neve, professeur d’économie à l’Université d’Oxford, a réalisé une étude sur le bonheur au travail en se basant sur l’expérience de 5000 personnes travaillant 4 jours par semaine chez British Telecom. Il a mesuré leur degré de satisfaction et de productivité durant 6 mois et est parvenu à cette conclusion : le fait de travailler 4 jours par semaine améliorait la productivité de l’entreprise. Avec ce rythme, les salariés étaient plus détendus, plus heureux, ils prenaient plus d’appels, avec une meilleure satisfaction client. Selon Laetitia Vitaud, experte du Lab Welcome to the Jungle, autrice et conférencière sur le futur du travail, « l’écrasante majorité des salariés aspirent à plus de liberté et d’autonomie dans l’organisation de leur travail pour pouvoir mieux intégrer leur vie privée et leur vie professionnelle ».

La semaine de 4 jours pousse à mieux s’organiser

Travailler 4 jours au lieu de 5, c’est partir du principe que la qualité vaut mieux que la quantité d’heures de travail fournies. Pour le PDG de Basecamp : « Supprimer une journée chaque semaine et passer à la semaine de 4 jours vous oblige à hiérarchiser le travail qui compte vraiment et à laisser le reste de côté. Il ne s’agit pas de travailler plus vite, mais d’apprendre à travailler plus intelligemment et de réévaluer vos priorités ».

Le semaine de 4 jours requiert ainsi une organisation efficace qui passe par des outils permettant de rationaliser et d’automatiser certaines tâches pour gagner du temps. En effet, « la modification de la semaine de travail n’est pas neutre en matière de productivité. Les salariés peuvent être plus efficaces s’ils sont reposés et avoir éliminé le gaspillage lié aux réunions inutiles, ou au contraire être moins performants parce que plus stressés, plus fatigués ou bloqués dans leur travail par l’absence d’un collègue », explique Laetitia Vitaud. Et de rappeler que pour parvenir à une meilleure organisation, il faut mener une véritable réflexion sur la productivité, sur la charge de travail et sur sa répartition. Une étude du Lawless Research va dans ce sens : les cadres des grandes entreprises consacreraient 30 % de leur travail à des tâches administratives routinières. En les rationalisant ou en les automatisant, on peut facilement réorganiser les semaines de travail. Au-delà de l’optimisation, certaines entreprises ont mis en place des process spécifiques. Chez Yprema, par exemple, des postes polyvalents ont été créés, ainsi que des binômes et des trinômes, permettant d’assurer un suivi des dossiers lors des jours de congés des salariés.

Une motivation en hausse chez les collaborateurs

Les salariés travaillant 4 jours par semaine sont plus reposés donc plus efficaces. Motivés par l’idée de pouvoir profiter d’un week-end de 3 jours, ils sont plus productifs et s’acquittent de leurs différentes missions plus rapidement, sans temps mort. Il va sans dire qu’il vaut mieux passer 4 jours à travailler efficacement, plutôt que 5 jours en s’adonnant à la procrastination pour cause de fatigue ou de manque de motivation.

Mais attention, pour Laetitia Vitaud, cette sacro-sainte productivité a ses limites. Dans son livre En finir avec la productivité, critique féministe d’une notion phare de l’économie du travail, elle rappelle que cette dernière doit être mesurée de manière juste et réaliste. « Il ne devrait pas y avoir un mais plusieurs indicateurs à prendre en compte pour déterminer les bienfaits de la semaine de 4 jours sur la motivation. Et ces derniers doivent avant tout être au service du bien-être, car une économie efficace est une économie en bonne santé. »

Et demain, la semaine de 4 jours pour tous en France ?

Selon Pierre Larrouturou, économiste et grand défenseur de la semaine de 4 jours depuis les années 90, la réduction du temps de travail est la solution pour faire baisser durablement le chômage, à condition qu’elle ne soit pas uniformisée et qu’elle soit mise en place sur la base du volontariat. C’est également un excellent moyen de lutter contre les maladies liées au stress et au surmenage.

La pandémie a renforcé l’intérêt pour cette nouvelle organisation du travail. Mais si de plus en plus d’entreprises se portent volontaires pour tester la semaine de 4 jours, la France ne semble pas encore tout à fait prête à passer le cap. En effet, selon le secteur d’activité, la taille de l’entreprise ou l’importance du poste, les investissements humains et financiers restent non négligeables. Un état de fait que le PDG d’Yprema a du mal à comprendre : « Moi, je suis prêt à payer une étude pour rencontrer toutes les entreprises qui utilisent la semaine de 4 jours afin de montrer aux sceptiques que tout est possible ».

Gageons qu’à l’avenir, la nécessité de répartir le temps de travail et de lutter contre les maladies socio-professionnelles encouragera les entreprises à adopter cette nouvelle organisation du travail basée sur la qualité plutôt que sur la quantité !

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Article mis à jour par Daphnée Breytenbach et Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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