5 conseils pour faire de la mobilité horizontale un vrai atout
27 févr. 2019
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Quand on parle de « mobilité », on ne peut pas s’en empêcher, on pense toujours davantage à la mobilité verticale. Une promotion, plus de management, plus de responsabilités, une équipe plus nombreuse… Car « faire carrière » dans une entreprise, c’est toujours en monter les échelons. Ça n’est pas changer de métier au sein de l’entreprise, passer du département des ressources humaines au département commercial, par exemple. Certes les programmes de « job rotations » existent dans les grandes entreprises, mais ils sont davantage pensés pour former les jeunes talents prometteurs que pour offrir des perspectives d’évolution aux employés qui ont fait le tour de leur poste et s’y ennuient.
Bien que les grandes entreprises aient les moyens d’offrir des opportunités de mobilité horizontale à leurs employés, force est de constater que, souvent, elles restent bien en deçà des attentes de travailleurs de « l’ère du Switch ». Offrir à ses employés de changer de métier, cela ne se fait pas encore à grande échelle. Et ça n’est pas (encore) pensé comme un moyen de garder les meilleurs talents. C’est bien dommage, car nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir changer de métier et nous serons de plus en plus nombreux à devoir changer de métier demain. Et si la mobilité horizontale était l’un des grands enjeux des ressources humaines au XXIe siècle ?
Comment manager des équipes dispersées ?
Une vision archaïque de la carrière
Nous avons été élevés dans l’idée qu’une carrière réussie, c’est forcément une « ascension ». (Comme si nous étions tous des alpinistes !) Et « monter les échelons », cela passe par le management de plus en plus de personnes, et une spécialisation de plus en plus poussée dans un seul domaine. Faire carrière, c’est devenir un expert puis devenir un manager. C’est donc forcément vertical.
Quelles que soient les compétences et appétences de l’employé en matière de management, c’est là que sont les perspectives de mobilité. On s’intéresse finalement assez peu à sa capacité à être inspirant(e) et à travailler en équipe. Progresser, c’est manager. Mais ne serait-il pas temps de remettre en question cette vision verticale de la carrière ?
On offre les positions managériales comme des « récompenses » pour bons services rendus, et on se retrouve donc souvent avec un management qui n’est pas à la hauteur. Car être un expert dans un domaine, ce n’est pas du tout la même chose qu’être un bon manager. Manager, ça n’est pas fait pour tout le monde. Il faut investir du temps et de l’énergie pour être un bon manager. Les meilleurs ont des compétences uniques : ils savent bien communiquer, savent être inspirants, ont de l’empathie, savent gérer les conflits… Il faut savoir être présent sans être omniprésent. Guider sans micromanager. Écouter.
Or de nombreuses personnes préfèrent éviter les conflits. À partir d’un certain âge, certaines personnes préféreraient au contraire avoir moins de responsabilités plutôt que davantage : parce qu’elles sont fatiguées, qu’elles veulent être moins stressées, ou qu’elles voudraient apprendre quelque chose de nouveau, par exemple. Pour Lucy Adams, l’ancienne DRH de la BBC qui a publié l’excellent HR Disrupted: It’s Time for Something Different (2017), « nous avons tous des besoins différents dans nos vies personnelle et professionnelle, et ces besoins sont évolutifs »,« la mobilité descendante (moins de management) et horizontale ne devrait pas être vue comme une infamie ». « Arrêtez de partir du principe que vos employés désirent tous gravir les échelons hiérarchiques jusqu’à leur retraite ! »
De nouveaux horizons
Dans un monde du travail en évolution rapide, l’intelligence artificielle, les robots et les plateformes numériques transforment les métiers et les manières de travailler. Pour un individu, cela veut dire qu’il est sans doute plus prudent de ne pas mettre tous ses oeufs dans un même panier professionnel. Mieux vaut apprendre à s’adapter au changement et apprendre sans cesse de nouvelles compétences, ajouter de nouvelles cordes à son arc. À l’inverse, rester sur une trajectoire professionnelle verticale, c’est faire le pari que cette verticale ne sera pas transformée (voir détruite) à l’avenir. Ce n’est plus un pari raisonnable.
Et si l’ajout de nouvelles compétences grâce à la mobilité horizontale était désormais la clé d’une progression de carrière réussie ? Offrir des opportunités de mobilité horizontale serait alors le meilleur moyen de garantir à ses employés leur employabilité future. Dans leur remarquable The 100-Year Life: Living and Working in an Age of Longevity, Lynda Gratton et Andrew Scott expliquent que la vie active des jeunes travailleurs d’aujourd’hui sera beaucoup plus longue que celle de leurs aînés (parce que nous vivrons plus longtemps et que nos systèmes de retraite ne tiendront pas longtemps sur le modèle du XXe siècle). Ces derniers pouvaient s’appuyer sur les compétences acquises pendant leurs années d’études pour rester sur une même verticale professionnelle pendant 40 ans. Les travailleurs d’aujourd’hui ne pourront pas rester sur une seule verticale pendant 50 ans : leurs compétences seront obsolètes bien avant et ils se lasseront de leur métier avant d’atteindre l’âge de la retraite.
Les vies actives seront faites de plus en plus de ruptures, de nouveaux commencements, de formation tout au long de la vie, et de multiactivité. Le moment où les travailleurs seront au « sommet » dans un domaine, c’est le moment où il leur faudra préparer une nouvelle phase professionnelle. En prenant de nouvelles responsabilités managériales, ils risqueraient au contraire de rester coincés, de ne pas pouvoir se former à de nouvelles compétences.
Dans un passionnant rapport Deloitte Insights paru il y a quelques années, Cathy Benko et Anne Weisberg affirment qu’il faut passer de l’image de l’échelle corporate à celle du treillis dans l’espace. « Nous voyons le modèle de la carrière en échelle céder du terrain à celui du modèle de la carrière en treillis. Sur un treillis, on peut se déplacer dans toutes les directions, pas seulement verticalement. » Les auteures suggèrent qu’on n’est encore qu’au début de la personnalisation des carrières à grande échelle.
Elles citent l’exemple d’une entreprise américaine de logiciels, basée en Caroline du Nord, SAS, où l’on a fait l’expérience de programmes innovants de mobilité soutenus par le paradigme du « treillis » (lattice, en anglais). Le turnover des employés y est beaucoup plus bas que dans les autres entreprises du secteur.
5 conseils aux entreprises pour faire de la mobilité horizontale un atout
- Développez une culture de la mobilité horizontale dans l’entreprise
La mobilité horizontale ne se résume pas à la mobilité interne, il peut aussi s’agir d’opportunités dans des entreprises partenaires, chez des clients, des fournisseurs, des “alumni”. Raisonner dans un paradigme d’écosystème, c’est multiplier les possibilités de garder un talent près de soi. Ensuite, pour l’institutionnaliser, il faut créer des outils (newsletter ou plateforme) pour diffuser les opportunités.
- Faites de la mobilité horizontale un atout précieux pour votre recrutement.
Avec la mobilité horizontale, votre vivier de recrutement est plus large que vous ne l’imaginez a priori. Votre culture de la mobilité horizontale sera aussi un atout pour votre marque employeur qui vous servira pour tous les recrutements. Que ce soit pour éviter l’ennui ou développer leur carrière, les perspectives de mobilité horizontale sont très appréciées des candidats.
- Facilitez la formation des employés mobiles
Changer de métier implique parfois une formation au préalable. Or peu d’entreprises semblent accorder toute l’importance qu’elle mérite à la formation. Plateforme de micro-formations et/ou organismes partenaires, votre offre de formation ambitieuse doit être connue de tous et largement utilisée.
- Mettez en place un programme de mentorat de la mobilité horizontale
Personne n’est capable d’aider un “switcher” comme un autre switcher. Et si vous mettiez en place un programme de mentorat de switchers ? Pour que ceux qui ont changé de métier dans l’entreprise (ou l’écosystème) puisse faire bénéficier ceux qui projettent une mobilité de leurs conseils avisés et retours d’expérience.
- Mettez en place des indicateurs
Souvent, les intérêts des individus et ceux de leurs managers ne sont pas alignés : le manager veut garder son talent dans son équipe et de pas perdre de ressources en recrutement et formation, tandis que l’individu voudrait évoluer voire changer de métier. Si la mobilité horizontale est mesurée et devient un objectif pour les managers, alors ces derniers deviendront des alliés plutôt que des freins.
Photos : WTTJ
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