5 situations déstabilisantes vécues en tant que recruteuse (et comment j'y ai réagi)

13 mai 2024

6min

5 situations déstabilisantes vécues en tant que recruteuse (et comment j'y ai réagi)
auteur.e
Céline MéchainExpert du Lab

DRH freelance, spécialiste du travail en 100% remote, des équipes multiculturelles et de l’hypercroissance

contributeur.e

En tant que recruteur, les multiples entretiens qui jalonnent le processus de recrutement font figure d’exercices bien connus, rapidement maîtrisés sur le bout des doigts. Du moins, jusqu’à ce qu’une rencontre ne fasse vaciller cette promenade de santé, vous projetant dans une situation inédite, voire carrément troublante. Notre experte Céline Méchain nous dévoile cinq cas de figure singuliers auxquels elle a fait face au cours de sa carrière, ainsi que ses conseils pour y réagir si vous deviez, vous aussi, en faire l’expérience.

Étudiant·e, vous optez pour la voie RH par attrait pour les gens. Enthousiaste, vous quittez les bancs de l’école en ayant appris que votre rôle consiste à trouver et cultiver les talents.
Fort·e de l’adage « chaque recrutement est une occasion de construire une équipe brillante », vous attaquez votre carrière. Vient alors la rencontre avec des candidats : tous différents, souvent intéressants, parfois étonnants. À tel point que l’exercice polissé des deux côtés de la table qu’est devenu l’entretien d’embauche, peut être amené à se muer en une scène insolite. Ainsi, un recruteur sur cinq aurait déjà été confronté à un moment embarrassant en entretien d’embauche. Qu’elle soit gênante, drôle ou inquiétante, comment réagir lorsqu’on se retrouve dans une situation déstabilisante lors de ce temps fort du métier de recruteur ? Je vous livre cinq anecdotes vécues au cours de mon parcours de DRH, qui ont agi pour moi comme un rappel de notre humanité au cœur de nos environnements professionnels standardisés, renforçant l’attrait pour l’humain qui m’a poussé à adopter cette voie professionnelle.

Anecdote n°1 : l’agent 007 en mission

Le candidat en mode : « Mon nom est Bond, James Bond »
Le contexte : je viens d’ouvrir un poste au sein de notre équipe. Un candidat, qui navigue depuis plusieurs années dans notre industrie et travaille alors pour un concurrent direct, postule à l’offre. Sur le papier, il est pleinement qualifié pour le poste. Je le reçois donc pour le traditionnel entretien RH, destiné à valider l’alignement avec la culture de l’entreprise et nos projets professionnels respectifs. L’échange se déroule normalement, à l’exception près que toutes ses questions sans exception sont tournées sur nos projets en cours, notre feuille de route produit, nos spécificités techniques et notre politique sur l’innovation.
Pourquoi c’est insolite : les candidats sont bien entendu encouragés à poser des questions lors de l’entretien, et selon une étude Indeed, 71 % des recruteurs estiment que ces derniers n’osent pas encore suffisamment le faire. Pire, 67 % ont la sensation d’avoir fait une ou plusieurs erreurs de recrutement pour ce motif. Mais celles-ci portent le plus souvent sur la culture de l’entreprise, l’organisation du travail, les rituels de cohésion d’équipe… moins sur les secrets de fabrication de l’entreprise !
Mon conseil : bien que rare, ce type de rencontre met en lumière la réalité de la concurrence dans certaines industries. Pour éviter toute fuite d’informations sensibles, il est important que vous sensibilisiez à la confidentialité l’ensemble des intervenants du processus de recrutement dans l’entreprise. La sécurité n’est pas qu’une affaire d’informatique, c’est tout autant une affaire de comportements humains. Il est donc essentiel d’accompagner les candidats dans les locaux de l’entreprise et de veiller à ne pas partager d’informations sensibles comme les projets innovants à venir par exemple.

Anecdote n°2 : le serial lover

Le candidat en mode : « Vous habitez chez vos parents ? »
Le contexte : j’étais jeune et j’avais sensiblement le même âge que le candidat. Je m’attendais au traditionnel échange professionnel, mais j’ai dû vite me rendre à l’évidence : l’attitude de mon interlocuteur était totalement inappropriée. Dès le début de la conversation, ses regards étaient particulièrement appuyés, son sourire enjôleur. Bien que l’échange soit resté courtois, il m’était impossible de passer à côté de ses œillades ! Gênée, j’ai expédié l’entretien, le nez collé à mon écran. Le décalage entre le décor de la salle de réunion et l’intention de mon interlocuteur était perturbant.
Pourquoi c’est insolite : l’amour au travail est, certes, une réalité : d’après certaines études, un français sur quatre serait déjà tombé amoureux au travail et 62 % des salarié·es de l’Hexagone auraient entretenu une relation amoureuse avec un·e collègue. Si le bureau peut donc être un terrain de drague, reste que le contexte de l’entretien d’embauche n’est pas des plus appropriés pour tenter une première approche !
Mon conseil : dans de telles circonstances, il est essentiel de rester ferme et professionnel·le. C’est le recruteur qui anime l’échange, il ne doit donc pas hésiter à recentrer la conversation sur les compétences et l’expérience requises pour le poste. Si le comportement persiste ou devient trop intrusif, il est tout à fait acceptable de mettre fin à l’entretien.

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Anecdote n°3 : l’hyper stressé

Le candidat en mode : « J’y vais mais j’ai peur »
Le contexte : au premier regard dans la salle d’attente, je me doute que le candidat n’est pas serein : sa main est moite et son front trempé de sueur. Je fais semblant de ne rien remarquer, et passe plus de temps que d’habitude à tenter de le mettre à l’aise avant de commencer. J’imagine alors que le pauvre a dû courir pour être à l’heure à notre rendez-vous ! Après l’avoir invité à poser ses affaires, être allés ensemble chercher des boissons et visité les locaux, l’entretien commence. Mais au fil des questions, sa sudation devient si abondante, qu’il me donne l’impression de se trouver sous un pommeau de douche invisible… Gênée pour lui, je lui propose de faire une pause, afin d’aller lui chercher des mouchoirs.
Pourquoi c’est insolite : sans surprise, l’entretien d’embauche est l’une des pires sources de stress pour 61 % des Français, allant jusqu’à provoquer une peur certaine pour 34 % d’entre eux, selon un sondage Indeed de 2019. Chaque candidat parvient plus ou moins bien à le gérer, la plupart tentant de dissimuler leur nervosité pour donner une impression plus professionnelle. Mais pour certains, le trop plein d’émotions génère parfois des réactions intenses qui peuvent surprendre, voire même perturber le recruteur, et affecter par conséquent le déroulement du rendez-vous.
Mon conseil : gardez à l’esprit que le stress est une réaction naturelle et que cet état est induit uniquement par l’entretien. Certaines personnes en surévaluent l’enjeu ou ne sont tout simplement pas à l’aise avec l’exercice. En tant que recruteur, il vous appartient de rester calme et empathique, en offrant au candidat l’environnement susceptible de lui permettre de se détendre autant que faire se peut… et d’éviter de le positionner sur un poste soumis à un stress continu !

Anecdote n°4 : la girouette

Le candidat en mode : « Jamais sans mes alloc’ ! »
Le contexte : sur le papier, tout se déroule au mieux avec cette candidate : elle enchaîne les entretiens avec brio si bien que l’entreprise me charge de lui faire une offre pour rejoindre l’équipe. Une nouvelle qui la réjouit autant que moi lors de l’annonce, jusqu’à sa question fatidique : « Je dois donc démissionner de mon poste actuel, mais si mon contrat avec vous est rompu, vais-je toucher le chômage ? Et que deviennent mes avantages acquis ? » Un peu prise au dépourvu, je tente malgré tout de la rassurer entre le taux (extrêmement bas) de ruptures de période d’essai dans notre société, ou encore en tablant sur les différents scénarios possibles et sur ses droits dans chaque éventualité. Mais le couperet tombe : elle retire sa candidature, ne voulant pas perdre les avantages accumulés auprès de son employeur actuel, grâce à son ancienneté.
Pourquoi c’est insolite : après avoir investi du temps et des ressources dans le processus de recrutement, voir un candidat qualifié se retirer à la dernière minute pour des raisons purement administratives est déconcertant. Davantage, cela soulève des questions sur la compréhension des candidats quant aux implications de leur décision et met en lumière l’importance, pour eux, de clarifier leurs objectifs avant d’entamer une telle démarche. Une tendance qui s’observe d’ailleurs à la hausse : aujourd’hui, un candidat sur cinq se rétracterait après avoir accepté un job, selon une enquête menée par Robert Half en 2022.
Mon conseil : cette situation montre soit un manque de compréhension des enjeux professionnels liés au changement d’emploi, soit une volonté de ne prendre aucun risque ou de ne perdre aucun droit même si le changement en induit de nouveaux. En tant que recruteur, il vous appartient de valider les motivations d’un candidat sur un poste. Même chez les candidats en recherche active, la décision de changer d’entreprise n’est pas toujours mûrement réfléchie.

Anecdote n°5 : le fils à maman

Le candidat en mode : « Allô maman bobo »
Contexte : je reçois la candidature d’un jeune homme pour un poste en sortie d’école. Quelques jours plus tard, je reçois un appel téléphonique me relançant sur cette fameuse candidature. Rien d’anormal en soi sinon que l’appel provient… de la mère dudit candidat ! Tandis qu’elle me vante tous les mérites de sa progéniture, j’apprends que c’est elle aussi qui a rédigé son CV et sa lettre de motivation : « Vous savez, mon fils a des qualités qui ne démériteraient pas dans votre entreprise. Il est très ponctuel par exemple… » Tout à coup, je me retrouve avec l’étrange impression d’avoir accidentellement ouvert la porte à une réunion de parents d’élèves. Mais au lieu de discuter de devoirs, j’en viens à parler de perspectives professionnelles.
Pourquoi c’est insolite : la situation était à la fois hilarante et déroutante. Bien que je comprenne l’implication parentale dans la recherche d’emploi de son enfant, cela soulève malgré tout des questions quant à l’autonomie et la maturité du candidat. L’intervention directe d’un parent dans le processus de recrutement est déplacée : la parole d’une relation non professionnelle ne saurait être objective. La seule prise de références possibles pour mettre en avant les qualités et compétences du candidat sont d’anciennes relations professionnelles. Une pratique populaire chez les recruteurs, qui le réalisent souvent (29 %), voire de façon systématique (19 %), selon une étude menée par Hellowork en 2017.
Mon conseil : en restant professionnel·le et poli·e avec le parent trop impliqué, rappelez-lui que le processus de recrutement est une étape importante pour évaluer l’autonomie et la motivation du candidat lui-même, et que, bien que la démarche soit bienveillante, elle dessert son objectif !

Article rédigé par Céline Méchain et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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