Congé paternité : « iI faut le prendre. Pour soi, et pour les autres »
17 juin 2021
8min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Père de deux petits garçons, mari et entrepreneur Patrice Bonfy a cofondé Le Paternel, média de la nouvelle génération de pères et de parents, après sa deuxième expérience de congé paternité. Il nous explique aujourd’hui pourquoi l’allongement du congé paternité de 11 à 28 jours à partir du 1er juillet 2021 est une chance pour les pères, les mères, les enfants et toute la société. Pour lui, il n’y a pas de doute, tous les pères doivent s’en emparer.
J’ai eu beaucoup de chance.
En 2017, à la naissance de mon deuxième enfant, je n’avais pas encore saisi l’importance d’un long congé paternité. J’étais pourtant plutôt disponible et serein financièrement puisque je venais de quitter l’entreprise que j’avais vendue trois ans plus tôt. Bien sûr, je prévoyais de ralentir un peu, mais certainement pas de m’arrêter. Il fallait que je travaille sur mes ébauches de futures entreprises. Je considérais que c’était mon rôle.
Même si je m’occupais déjà de notre premier fils de deux ans les soirs de la semaine, je ne visualisais pas ce que ma disponibilité totale pourrait apporter dans le soin et l’éveil d’un nouveau-né.
Heureusement, ma femme a eu la brillante idée de proposer de passer son deuxième congé maternité en famille à la campagne. Dans le plan, il était vaguement prévu que je travaille « l’après-midi » sur mes projets… Mais, j’ai rapidement dû me rendre à l’évidence : deux adultes suffisent à peine pour prendre soin d’un enfant de deux ans et d’un bébé de quelques semaines. L’idée d’essayer de travailler m’est soudain apparue absurde alors que le simple fait de dormir un peu et de se laver de temps en temps était compliqué.
Je le pouvais. Je le devais. Alors j’ai décidé de tout reporter à la rentrée pour me mettre en congé paternité pendant deux mois. Et je ne l’ai jamais regretté. Cela a permis à toute ma famille de mieux traverser cette phase de vie bouleversante et potentiellement éprouvante qu’est l’accueil d’un nouvel enfant.
Lors de mon précédent congé, avec mes onze petits jours, j’avais très vite senti un fossé d’expérience se creuser entre la maman et moi
Je me souviens des nuits par exemple, si redoutées par les jeunes parents : j’ai pu assurer les tours de garde nocturnes sans m’inquiéter de ma vivacité du lendemain. Ma femme a profité du sommeil dont elle a en général davantage besoin que moi (et encore plus au moment de se remettre de l’accouchement). Ces nuits de veille m’ont appris à différencier les différents types de réveils du bébé (« Faut-il un “chuuut” prolongé, une main sur le ventre ou un biberon ? »), et lui, à s’accomoder de mes ronflements rassurants (qu’il sait d’ailleurs mieux apprécier que sa maman). Pour le grand frère, l’expérience potentiellement difficile d’accueillir un petit frère bruyant, accaparant ses parents, et pas encore très intéressant, a coïncidé avec une parenthèse en famille où il a gardé toute sa place.
Quelle différence avec mon premier congé paternité en 2015 ! À l’époque, je venais de passer d’entrepreneur à salarié. Personne ne s’était posé la question (ni moi, ni ma femme, ni mon employeur) d’un congé plus long que le congé minimum légal. Avec mes onze petits jours, j’ai très vite senti un fossé d’expérience se creuser entre la maman et moi. Je manquais d’empathie pour l’épuisement physique et moral engendré par ses journées passées seule avec le bébé. J’avais moins d’intuition des besoins de l’enfant (« Tu crois qu’il a les fesses rouges ? Mais il faut faire quoi alors ? ») et de la maison (« Il n’y a déjà plus de lait ?! »). Accaparé par mes impératifs professionnels, j’avais du mal à entrer en résonance avec le rythme lent de l’éveil du nouveau-né.
Mon second congé prolongé m’a fait prendre conscience de tout ce que j’avais manqué et, par chance et grâce à ma femme, au moins partiellement rattrapé.
J’en suis donc revenu avec la conviction qu’un tel “congé” (entre guillemets, parce que c’est tout sauf des vacances) ne devait pas rester une chance. Cela devait devenir un droit. C’est pourquoi, j’ai ajouté ma voix à la cohorte grandissante des femmes et des hommes engagé·e.s pour l’allongement du congé de paternité et d’accueil de l’enfant. La première pétition en France (à ma connaissance) demandant quatres semaines de congé paternité est sortie en 2017 à l’initiative de Naro Sinarpad, un jeune ingénieur, inspiré par la bande-dessinée Fallait demander de la blogueuse Emma, qui mettait en lumière la charge mentale des femmes. Quelques mois plus tard, le magazine féministe Causette prenait la suite avec une pétition “Pour un congé paternité digne de ce nom”, signée par quelques personnalités et des dizaines de milliers d’anonymes. Puis, des associations féministes comme le PA.F et Parents & Féministes en ont fait l’une de leurs revendications principales et ont multiplié tribunes et plaidoyers. La mobilisation a été importante.
Avec mon associé, nous avons profité de cet élan et de nos expériences personnelles pour lancer Le Paternel, un site sur la parentalité s’adressant aux pères pour les encourager à s’assumer comme impliqués et compétents. Une manière parmi d’autres de lutter contre le stéréotype encore vivace du père détaché et maladroit. Aussi, avec Le Paternel, on a commencé à accompagner les entreprises sur les sujets d’égalité vis-à-vis de la parentalité, avec des conférences et des ateliers. Parce que l’ambiance de travail est clé sur ce sujet, et la capacité d’influence des entreprises, immense. Cette expérience a été l’une des pierres fondatrices de Remixt, une solution innovante et efficace pour informer et donner la parole aux salarié·es sur les enjeux de diversité et d’inclusion (dont la parentalité, évidemment), que nous avons lancée en 2020.
Portés par une opinion nettement favorable des personnes concernées (plus de 60 % des moins de 35 ans et des parents d’enfants de moins de trois ans, contre moins de 20 % des plus de 50 ans), le consensus des expert·e.s et l’exemple d’entreprises précurseurs (comme Kering ou Aviva, qui proposent plus de dix semaines de congé à leur salarié·es, ou les 300 entreprises signataires du Parental Act qui se sont engagées à en proposer au moins quatre), nous avons obtenu en 2020 un premier allongement, qui prendra effet le 1er juillet 2021 !
De trois jours de congé de naissance et onze jours de congé de paternité et d’accueil de l’enfant, on passera à partir du 1er juillet 2021 à trois jours de congé de naissance, immédiatement suivis de quatre jours obligatoires de congé de paternité et d’accueil de l’enfant, puis de vingt-et-un jours supplémentaires à poser dans les six mois suivant la naissance.
Presque un mois de congé rémunéré autorisé : nous sommes désormais beaucoup plus nombreux à pouvoir saisir cette “chance”. J’ai néanmoins parfaitement conscience des freins psychologiques et pratiques qui peuvent subsister. Je les ai vécus ! Mais c’est le moment de prendre une grande respiration, de faire confiance aux expert·e·s, d’écouter celles et ceux qui sont déjà passé·e·s par là, et de plonger sans se poser trop de questions. On surnage mieux à deux que seule. Et n’oublions pas que les mères n’ont pas le choix, elles, de plonger ou pas.
Pourquoi prendre le plus long congé paternité possible ?
C’est bon pour la santé et le moral de toute la famille
Il est démontré que laisser la mère seule chez elle après son accouchement augmente les risques de mortalité infantile et de dépression post-partum. À ce titre, les sept jours de congé obligatoire post-naissance répondent à un impératif de santé publique.
Mais une semaine avec un nouveau-né, c’est très vite passé, et on est loin du bout du tunnel. L’allaitement, si c’est le choix de la maman, est encore en train de se mettre en place. Les nuits sont hachées (pour le dire poliment) et les journées pas plus reposantes. Elle aura plus de chance de garder la tête hors de l’eau en sachant que l’autre parent va rester présent pendant quelques semaines supplémentaires ou prendre le relais quand elle reprendra le travail.
Et puis ça fait du bien aussi au bébé, et au couple. Les expert·e.s du développement de l’enfant s’accordent sur le fait que leur petit cerveau en éveil ne reçoit jamais trop d’amour et d’attention. Aussi, le retour d’expérience de plus de 400 jeunes papas confirme qu’un congé prolongé non seulement renforce le lien avec le bébé (pour 62 % d’entre eux), mais facilite également l’adaptation du couple à cette nouvelle vie (48 %) ainsi que le partage des tâches (38 %) et de la charge mentale.
C’est bon pour la société
Le congé paternité prolongé, c’est comme un vaccin. On le prend pour soi, mais aussi pour le collectif.
Temps partiel, choix d’un poste moins rémunéré mais plus proche de la maison, biais limitants pour les promotions et les augmentations parce qu’on préjuge qu’elles ont « d’autres priorités maintenant » : la parentalité met statistiquement un frein à la progression salariale des femmes.
En prenant un long congé paternité, on ajoute son grain de sable à la multitude d’actions nécessaires pour combler cette inégalité : plus le nombre de pères qui partent longtemps du travail à la naissance de leur enfant sera important, meilleure sera l’intégration des contraintes parentales dans les entreprises (bizarrement, quand les hommes aussi devront régulièrement partir à 18h, il deviendra sûrement plus simple d’interdire les réunions tardives), et moins les femmes seront discriminées parce qu’elles sont mères ou parce qu’elles risquent de le devenir.
Pensons aussi aux grands frères et grandes sœurs qui, observant l’exemple de leurs parents pendant ce congé prolongé, intègreront que la répartition des rôles n’a pas à être genrée, à la maison comme dans la société, et seront plus libres de suivre leurs rêves, quels qu’ils soient.
Comment s’autoriser à prendre le plus long congé paternité possible ?
Ce n’est pas un coût, mais un investissement de couple
Malgré tout, on peut s’inquiéter de l’impact d’un long congé du père sur les finances de son couple : risque sur les primes à court terme, sur l’évolution salariale à moyen terme… La tête dans le guidon et dans les factures liées à l’arrivée du nouveau bébé, il y a de quoi hésiter. Mais si on interprétait plutôt cette relative prise de risque comme un investissement visant à optimiser, à moyen et long terme, la prospérité du couple ?
Dans les pays nordiques, on observe que plus le congé du père est long, plus les revenus futurs de la mère sont élevés. Il n’y a pas de doute sur le fait que le congé paternité prolongé facilite la reprise du travail de la mère. Il permet également une répartition plus flexible entre les parents du “qui gère quoi et quand pour les enfants ?” Avec cette flexibilité, le couple se place en position de saisir les opportunités professionnelles qui se présenteront aux deux parents, plutôt que de mettre tous ses œufs dans la même carrière (celle du père).
Ok pour miser un petit risque financier paternel contre un boost à long terme de la carrière maternelle ?
Sensibiliser ses collègues et sa hiérarchie
Et la crainte d’être oublié pendant notre absence ? 32 % des pères qui n’ont pas osé prendre un congé paternité prolongé évoquent des pressions de leur hiérarchie, souvent implicites. 28% se sont mis la pression tout seul en imaginant ce que leur boss et leurs collègues allaient en penser. Aussi, il peut être difficile d’imaginer que l’entreprise va pouvoir tourner sans nous, surtout en tant que manager. On préfère se penser irremplaçable. Pourtant, l’expérience du télétravail généralisé nous a montré que les meilleurs managers sont ceux qui savent déléguer et faire confiance. Et si un congé paternité prolongé vous permettait de progresser de ce côté ?
Pour lever cette peur du regard des autres dans l’entreprise, le mieux, c’est d’en parler avec ses collègues et sa hiérarchie. Diffusez cette tribune dans votre entreprise. Demandez à ce que la position de votre direction sur le sujet soit clarifiée. Discutez en bonne intelligence des éventuelles problématiques à résoudre selon votre secteur d’activité et vos projets en cours.
Comme je le disais plus haut, mon propre congé paternité prolongé m’a tellement transformé que j’ai décidé de faire de cette sensibilisation des entreprises mon métier. Alors, si vous souhaitez que la question du congé second parent prolongé soit abordée franchement dans votre entreprise, envoyez-nous les coordonnées de vos RH, ou de vos dirigeant·e·s : on leur proposera une solution (sans dire que cela vient de vous, si vous préférez).
Sur ce, j’ai des bricolages approximatifs de fête des pères devant lesquels aller m’extasier. C’est l’intention qui compte… Mais je soupçonne un peu d’ironie de la part de l’encadrement scolaire. Après trente-six sketchs d’humoristes, on peut peut-être arrêter le bracelet de coquillettes, non ?
Bonne fête des pères et, pour ceux qui attendent une bonne nouvelle après le 1er juillet, bon congé prolongé !
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Photo par WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
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