« Mon employeur me refuse sans cesse mes congés ! » : que faire ?
06 mars 2024
5min
Partira, partira pas ? En France, si tout salarié bénéficie de cinq semaines de congés payés dans son contrat de travail, il arrive que des patrons peu scrupuleux s’y opposent à répétition. En ont-ils le droit ? Et si oui, sous quelles conditions ? Analyse d’un cas d’école par une avocate experte en droits du travail.
Coupeur grossiste dans le secteur boucher, Ismaël(1) 35 ans, se voit régulièrement refuser ses dates de congés payés par sa patronne, manifestement peu à cheval sur le droit au repos de ses salariés : « Je bosse dans un entrepôt où je prépare et découpe des grosses pièces de bœuf, de veau et d’agneau, avant de les livrer à nos clients professionnels de la boucherie. Un métier physique qui comprend des horaires décalés et variables : on sait quand on commence le travail mais on ne sait jamais à quelle heure on va terminer ! Un job qui s’intensifie à l’occasion des fêtes importantes du calendrier comme Noël, Pâques, le Ramadan, l’Aïd… Autant de périodes cruciales pour le business, où il est tout simplement impossible d’envisager des vacances. De toute façon, nos patrons ne l’accepteraient jamais ! C’est comme un accord tacite entre les employeurs et les employés de notre secteur. Autant dire que si tu tiens à partir au ski à Noël, ce n’est pas la peine d’embaucher chez nous ! Bref, tout ça pour dire que, d’emblée, poser ses congés payés se fait uniquement lors des périodes creuses. Si je ne suis pas tatillon sur les dates (je n’ai pas encore d’enfant scolarisé), je tiens tout de même à poser mes congés auxquels j’ai droit, d’autant que mon métier est fatigant : on porte des charges très lourdes et mon corps a besoin de repos de temps en temps. Et c’est là que ça se corse ! La société qui m’emploie est une entreprise familiale, avec des patrons qui ont la fâcheuse tendance à oublier que les employés, eux, n’ont pas de billes dans leur affaire. Une boîte, où il est d’usage de poser ses cinq semaines de congés payés sur l’année en une fois. On doit les noter sur un document disponible dans la salle de repos, que tout le monde peut consulter. Cela permet à ma patronne d’établir un planning global à l’avance pour bien répartir les effectifs. Sauf que son jeu favori c’est de remanier les dates ! Et de prendre un air surpris en se fendant d’un : « Ah bon t’es en congés ? », le vendredi soir quand tu dois partir en vacances le lundi matin, avant de t’achever avec sa mauvaise foi : « Il doit y avoir une erreur, tu es bien noté présent lundi. » Franchement, j’ai beau être super flexible sur le sujet, elle pousse le bouchon un peu loin. Le pire étant la récurrence ce petit jeu qui n’amuse qu’elle. Résultats, soit tes dates sautent : « Non je n’avais pas validé tes jours ! », soit tes congés sont annulés quasi du jour au lendemain : « On a vraiment besoin de toi, il est impossible de faire autrement », quand elle ne joue pas carrément avec tes nerfs en inventant une autre réalité, comme cette fois où elle m’a dit un matin : « T’es pas censé être là aujourd’hui t’es en vacances ! » alors qu’elles étaient prévues la semaine suivante. En modifiant les dates de congés de ses employés au gré des trous à combler dans sa grille, elle nous empêche de nous reposer, nous fait perdre nos réservations de voyage, quand ce n’est pas nos conjointes qui, lasses de son petit manège, pètent un câble elles aussi face à ces annulations qui les impactent tout autant ! Mais à mon sens, elle se tire une balle dans le pied car les employés craquent, tombent malades ou veulent quitter l’entreprise. Et j’en fais partie ! Je ne supporte plus de devoir négocier sans fin pour prendre mes congés et je suis bien décidé à claquer la porte ».
Si le cas d’Ismaël est emblématique, nombreux sont les salariés qui doivent composer avec cette problématique de refus ou d’annulation de congés de façon intempestive de la part de leurs supérieurs. Mais alors, abus de pouvoir ou agissements légitimes de la part des employeurs ? L’avocate en droits du travail et associée au au cabinet Voltaire Avocats, Oliva Guilhot nous aide à y voir plus clair.
L’employeur a-t-il le droit de vie ou de mort sur nos congés ?
Au risque de vous décevoir, la réponse est… oui. En fait la règle est assez simple comme le rappelle l’avocate Olivia Guilhot : « La fixation de l’ordre des départs en congés payés relève du pouvoir de direction de l’employeur. » Tout simplement parce que, par définition, un salarié qui signe un contrat de travail, accepte de se soumettre à un lien de subordination avec son employeur. En revanche, « il ne peut pas non plus décider de tout arbitrairement, nuance la spécialiste en droit du travail, il existe des garde-fous. » En effet, d’après le Code du Travail, l’employeur doit informer le salarié des périodes de vacances - la période classique s’ouvrant à compter du mois de mai - et un mois avant, il doit avoir fixé l’ordre des départs en congé des employés. Et cela peu importe le statut du salarié (cadre ou non cadre) ou la convention collective de l’organisation. Un délai de prévenance que semble ignorer la patronne d’Ismaël, sans compter ses annulations discrétionnaires. Illégales encore une fois ? Oui et non, selon notre experte. Car il existe bien des situations où l’employeur peut faire marche arrière. « Des circonstances exceptionnelles peuvent exiger une annulation des congés payés, mais l’employeur devra alors justifier et prouver le caractère extraordinaire de la situation », insiste maître Guilhot. Un caractère exceptionnel qui revêt une réalité différente selon la taille des organisations. Ainsi, une petite structure devant honorer un contrat important ou la production d’une grosse commande de façon urgente, ou devant faire face au décès brutal d’un employé, pourra plus facilement démontrer en quoi la présence du salarié est vraiment requise : son absence peut mettre à mal la bonne marche de l’entreprise. Des arguments qui seraient en revanche irrecevables dans le cas d’une multinationale, qui dispose de plus de moyens et de latitudes pour pallier ce type de situation, si exceptionnelle soit-elle.
Ce qu’il faut retenir c’est « qu’à partir du moment où l’employeur ne valide pas les congés un mois avant leurs dates de début ou décide de revenir dessus, le salarié peut aller devant le conseil des prud’hommes pour contester cette décision », explique l’avocate. Typiquement, le cas d’Ismaël peut générer un contentieux, surtout vu la récurrence des pratiques fallacieuses de sa patronne. « Il y a un droit au repos qui est constitutionnellement reconnu ! L’employeur qui ne reconnaît pas ce droit se met en danger : le cumul des refus ou annulation de congés peut se plaider facilement, l’employeur est en faute », détaille-t-elle. Hélas, dans les faits, même avec la perspective de toucher des dommages et intérêts, rares sont les employés qui se risquent à de telles procédures, notamment pour préserver leur poste. Mais d’autres solutions existent : « On peut très bien solliciter les membres du CSE, qui peuvent aider à régler ce type de litige. Ou encore faire appel à l’inspection du travail qui pourra constater le manquement de l’employeur sur la question des congés, explique l’experte en droit du travail. Dans ce type de situation, bien souvent un simple rappel à l’ordre suffit à résoudre la problématique. » De même, il est inutile de rappeler que le droit à la déconnexion empêche l’employeur de joindre ses salariés pendant leurs congés payés pour leur demander de revenir travailler par exemple.
À noter que d’autres congés plus spécifiques sont régis par d’autres règles comme le congé sabbatique, le congé pour création d’entreprise, formation etc. Chacun dispose de conditions spécifiques (avec un délai pour les demander et un délai pour les valider ou non), précisées dans le Code du Travail. Par exemple, l’employeur peut refuser une demande de congé sabbatique, mais uniquement dans les entreprises de moins de trois cents salariés et seulement après avoir pris l’avis du CSE et il doit toujours motiver son refus.
Enfin, les congés liés à des événements familiaux spéciaux comme un décès, une naissance, une présence parentale requise pour un enfant gravement malade etc., ne peuvent tout bonnement pas être refusés. « Un congé pour votre mariage ou celui de votre enfant par exemple, ne pourra en aucun cas être annulé par votre employeur ! », appuie l’avocate. Avant de préciser : « Il s’agit de congés de droit d’accord, pour lesquels existe même une procédure accélérée. En cas de litige, un juge spécifique traitera l’affaire plus rapidement et en dernier
recours. »
(1) Le prénom a été modifié.
Article écrit par Aurélie Cerffond ; édité par Gabrielle Predko, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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