« Le télétravail forcé a allongé mon congé paternité ! » Des papas témoignent

31 juil. 2020

7min

« Le télétravail forcé a allongé mon congé paternité ! » Des papas témoignent
auteur.e
Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

Devant son ordinateur, Sébastien se tient prêt. Dans quelques minutes, il aura une réunion sur Zoom avec l’équipe qu’il chapeaute. Des pleurs viennent percer le silence de son appartement parisien. Bavoir sur l’épaule, le commercial tente d’apaiser sa fille de trois mois, mais le bout de chou renvoie son bib’ sur sa chemise jusqu’alors… immaculée. Le jeune papa s’empresse d’aller se changer, avant que la visio ne commence. C’était sans compter sur la couche manifestement pleine de son rejeton. Sébastien s’y colle sans rechigner, puis s’installe devant l’ordinateur, la petite dans les bras. Ce jour-là, il fera toute sa réunion sur “mute” pour épargner à ses collègues des petits bruits, un peu hors propos.

Pas évident de s’occuper de son bébé à l’ère du télétravail forcé, et pourtant, Sébastien, comme beaucoup de pères, s’estime chanceux d’avoir pu vivre cela. Rencontre avec trois papas, ballottés entre leur nourrisson et leur vie professionnelle pendant le confinement. Une situation assez exceptionnelle, qui leur a permis de réfléchir au congé paternité, et à ce à quoi il devrait ressembler demain.

Table à langer et pain sur la planche

« Je pouvais faire mes visios en donnant le biberon, ça ne dérangeait personne ! L’occasion était trop belle pour être vraie… » - Benjamin, 29 ans, responsable de programme et papa

Alors que le congé paternité en France s’élève à 11 jours consécutifs (en plus des 3 jours de congé naissance), les seconds parents télétravailleurs ont pu s’offrir un semblant de rab. Dès l’annonce du confinement, certains se sont réjouis de pouvoir se retrouver en huis clos avec leur nouveau-né. Benjamin, 29 ans, responsable de programme dans le secteur de la promotion immobilière, était aux anges : « J’ai tout de suite vu ça comme une belle opportunité de pouvoir profiter de ma fille ! En plus, à ce moment-là, Agathe avait deux mois : pile le moment où l’on commençait à pouvoir interagir un peu avec elle. Un pur bonheur ! » Rapidement mis au chômage partiel, il s’est occupé seul de son bébé pendant que sa femme, infirmière libérale, était elle, plus mobilisée que jamais. Il l’admet, le télétravail n’a pas été biberonné à la productivité : « J’étais interrompu toutes les 20 minutes : le repas, la couche, la sieste… Heureusement, mes collègues savaient que ma compagne était infirmière donc ils ont été bienveillants. Je pouvais faire mes visios en donnant le biberon, ça ne dérangeait personne ! » Bilan : le papa ne regrette rien : « L’occasion était trop belle pour être vraie… »

Les visios avec bébé, Sébastien, ça le connaît. Commercial de 33 ans et papa depuis le 1er mai d’une petite Lily, il a continué son activité en télétravail pendant et après le confinement : « La naissance a eu lieu en plein remaniement stratégique de la boîte. À ce moment-là, je devais accueillir deux nouvelles personnes dans mon équipe ! Mon congé paternité est tombé comme un cheveu sur la soupe, mais j’ai pu déconnecter totalement, comme ça ne m’était jamais arrivé auparavant. “Gmail” et “Slack” : inconnus au bataillon. » Si la reprise en télétravail a mis fin à l’idylle, le trentenaire est retombé sur ses pattes et a rattrapé le travail “en retard”. « J’ai réintégré des pauses régulières dans mes journées pour aller gazouiller avec ma fille, changer sa couche ou la réconforter quand elle pleurait, raconte-t-il. Mon équipe a été hyper compréhensive… et mes prospects aussi ! Une cliente m’a même donné une liste de conseils pour gérer les tâches administratives qui attendent les nouveaux parents ! Je ne dirais pas que mon bébé m’a aidé à signer des deals, mais ça n’a posé de problèmes à personne ! (rires) »

« Je ne dirais pas que mon bébé m’a aidé à signer des deals, mais ça n’a posé de problèmes à personne ! (rires) » - Sébastien, 33 ans, commercial et papa

Plus fusionnels, plus rapidement

Si l’expérience fut magique malgré les quelques tracas logistiques et d’organisation, c’est qu’elle a permis au second parent de nouer rapidement un lien fort avec son bébé à un moment important de son développement. Alexandre, consultant freelance en marketing digital, se souvient de ces instants qu’il avait manqué avec son premier fils, né en 2017 : « À l’époque, j’étais encore en CDI. J’avais pris mon congé paternité et à mon retour en entreprise, même si j’aménageais au maximum mon emploi du temps, je me rendais bien compte que je passais à côté de temps forts. Heureusement que ma femme m’envoyait des vidéos de Lucas pendant la journée. Mais j’ai quand même le souvenir d’avoir été triste de louper son premier fou rire, alors que ma compagne jouait avec une peluche. » Cela n’a pas empêché ce “papa-poule” qui place la paternité au premier plan, de nouer une forte relation avec son premier, mais il s’estime tout de même bien chanceux d’avoir vu les premiers mois de son benjamin, né en plein confinement.

« Même si j’aménageais au maximum mon emploi du temps, je me rendais bien compte que je passais à côté de temps forts. » - Alexandre, consultant freelance en marketing digital et papa

Pour Benjamin et Sébastien, le lien avec son bébé s’est également intensifié grâce au travail à distance. Rien de surprenant lorsqu’on s’intéresse aux effets de l’allongement de la durée du congé paternité et donc de la présence du second parent dans le domicile sur la relation père-enfant. D’après une étude qualitative réalisée en 2012 en Norvège par le département de sociologie et de sciences politiques, le fait d’avoir un congé paternité de 12 semaines, contre 10 à l’époque (il est de 15 semaines actuellement dans le pays, ndlr) montrait que les papas arrivaient mieux à décoder la communication non verbale de leur enfant et à davantage cerner leurs émotions.

Ne pas oublier de penser à soi

« Ma mère m’a expliqué qu’elle avait eu un congé maternité de cinq mois quand elle m’a eu et qu’elle avait fini par trouver le temps long vers la fin, tempère Benjamin. Sur le coup, je n’avais pas vraiment compris pourquoi. Maintenant, si ! » Si le papa, seul à la maison a apprécié ces instants avec sa fille, il ne cache pas son envie de retourner au bureau. « Passer 24h/24 avec un bébé, c’est épanouissant, mais à un moment, on a quand même envie d’échanger avec des gens qui ne bavent pas en parlant, rigole-t-il. J’ai hâte de retrouver mes collègues ! »

Sébastien reconnaît également avoir mis du temps à trouver un bon équilibre vie pro et vie de famille : « Les premières semaines, avec ma femme, on n’avait plus le temps de faire quoi que ce soit et l’atmosphère était assez étouffante. Alors dès que la barrière des 100 km a été levée, on a plié bagage en famille pour rejoindre un collègue et sa femme dans le sud. Là, c’était génial. Au travail, j’étais en forme olympique et en même temps, j’ai pu profiter de ma famille et de mes amis. Ça m’a ragaillardi pour la suite et m’a aidé à trouver mon équilibre. » Pour les parents, retrouver une vie sociale et professionnelle est une étape indispensable pour ne pas s’oublier et retrouver une vie, hors de la parentalité.

« Passer 24h/24 avec un bébé, c’est épanouissant, mais à un moment, on a quand même envie d’échanger avec des gens qui ne bavent pas en parlant, j’ai hâte de retrouver mes collègues ! » - Benjamin

Une meilleure répartition des tâches entre parents

Les autres qui se sont réjouis de cette situation : ce sont les nouvelles mamans. En tout cas, lorsque les seconds parents s’investissent dans les tâches parentales ! Aux yeux d’Alexandre, qui a pu comparer ses deux expériences de congé paternité, le soutien de la compagne n’a pas de prix : « Quand j’ai eu mon premier enfant, je me sentais impuissant de ne pas pouvoir suffisamment aider ma femme qui était très fatiguée. Seule, elle n’avait pas pu suivre le processus de rééducation post-partum. Aussi, quand on reprend le travail après le congé paternité, on peut se dire que la maman peut se reposer à la maison et que tout va bien, alors que pas du tout : s’occuper d’un enfant en bas âge, c’est très fatigant ! » Pour Alexandre, un second parent à la maison lors des semaines qui suivent l’accouchement, c’est aussi l’assurance de se faire la main plus rapidement sur les gestes liés aux soins du bébé. « Si le papa retourne trop rapidement au travail, il aura moins l’occasion d’apprendre à donner le bain, à le moucher, ou même à changer les couches par exemple. Ce sera presque toujours la maman qui s’en chargera, ce qui à termes créera un déséquilibre. En télétravail, j’ai non seulement pu m’investir, mais en plus, ma compagne a pu se présenter à tous ses rendez-vous médicaux ! »

Cette meilleure équité qu’a pu observer Alexandre en télétravail pourrait également devenir la norme avec un allongement du congé paternité. Une étude allemande menée par le German Socio-Economic Panel Study en 2018, révélait que plus le père consacrait du temps à ses enfants, moins la mère s’encombrait des tâches familiales… Encourageant, non ?

« Quand j’ai eu mon premier enfant, je me sentais impuissant de ne pas pouvoir suffisamment aider ma femme qui était très fatiguée » - Alexandre

Congés pater’ 0 - Papas 1

Avec un peu de recul, le télétravail a fait émerger une réflexion plus globale sur le congé paternité. Les trois papas interrogés s’accordent à dire que l’étirer tombe sous le sens, un sentiment renforcé par leur expérience. « C’était tellement important pour aider ma femme, pour me rapprocher de mon bébé et apprendre à m’en occuper, observe rétrospectivement Sébastien. Je ne sais même pas comment on aurait fait si j’avais dû retourner au bureau au bout de quelques jours. » Pourtant, le commercial fait partie des papas les plus veinards de France : son entreprise, comme 334 autres, avait signé le Parental Act en février dernier, un dispositif qui offre un mois de congé rémunéré à 100% au second parent.

Un engagement qui laisse Alexandre rêveur : « Je suis bien en freelance, mais si j’étais en processus de recrutement dans une entreprise signataire du Parental Act, c’est sûr que ça pèserait dans la balance. Pour moi, c’est un signe que la boîte a bien compris l’enjeu capital que ça représente. » Lui qui a fait une croix sur le salariat déplore le manque d’implication des entreprises sur ces questions : « Quand j’ai eu mon premier enfant, le premier de l’entreprise, je venais d’être embauché. Je sentais que ma hiérarchie sous-estimait le bouleversement que ça allait représenter dans ma vie personnelle, comme professionnelle. Résultat, ça ne m’encourageait pas à demander du télétravail ou à prendre mon congé paternité. Je l’ai quand même pris mais je me suis dit que beaucoup de parents devaient ressentir cette gêne. Je pense que c’est pour ça qu’autant de papas ne prennent pas leur congé paternité… (en 2018, seuls sept pères sur dix en profitaient, ndlr) »

C’était tellement important pour aider ma femme, pour me rapprocher de mon bébé et apprendre à m’en occuper. Je ne sais même pas comment on aurait fait si j’avais dû retourner au bureau au bout de quelques jours. » - Sébastien

Le jour de la fête des pères, dix papas engagés ont pris la plume le temps d’une tribune dans le Huffington Post, exhortant un mois de congé paternité. Leur demande pourrait bien avoir été entendue, puisque le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance et des familles, Adrien Taquet se montre favorable à une telle avancée sociale : « Une des hypothèses sur laquelle nous travaillons, c’est de doubler le congé actuel et de passer à un mois de congé parental global, c’est-à-dire intégrant à la fois le congé paternité stricto sensu et les congés de naissance », confiait-il au micro de Franceinfo. De quoi ravir tous les futurs papas gaga ? L’avenir nous le dira…

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