Les phrases les plus humiliantes que vous avez entendues en entretien
03 mars 2022
6min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Il y a parfois de quoi en douter, mais les recruteurs sont bien des êtres humains comme les autres. Seulement, il arrive qu’ils se laissent aller et osent faire des blagues limites ou des remarques méchantes, voire même illégales. En entretien d’embauche notamment, les réflexions discriminantes, intimidantes ou dévalorisantes de la part d’une entreprise ne sont pas rares et peuvent faire des ravages sur l’estime de soi des candidats.
Sur Instagram, vous nous avez raconté les remarques humiliantes dont vous avez été l’objet. La parole est à vous !
« Je sais que je n’ai pas le droit de vous poser la question, mais vous avez un, deux, trois ou dix enfants ? » Nawel, assistante exécutive
Je passais un entretien dans un gros cabinet de finance pour un poste d’office manager quand le CEO m’a sorti cela. J’avais le souffle coupé, mais je n’ai pas perdu mes moyens et je lui ai demandé pourquoi il me posait la question dans le but de le prendre à son propre jeu. Il a répondu que c’était « juste pour savoir si ça pouvait compliquer les choses concernant mon futur emploi du temps ». Heureusement, j’avais suivi une formation d’une RH quelques mois plus tôt qui aidait les personnes à se défendre face à ce genre de remarques en entretien d’embauche. Je suis restée vague mais ferme en lui expliquant que je n’allais pas lui répondre, tout en soulignant l’importance pour moi d’un bon équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Je n’ai laissé aucune porte ouverte.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en tant que femme d’origine maghrébine, ces questions fourbes sous fond de racisme ne sont pas rares en entretien d’embauche. Ce même recruteur m’a aussi cuisinée quand je lui ai dit que je comprenais l’arabe, parmi d’autres langues que je maîtrisais… On me demande aussi souvent, certainement pour me sonder sur mes origines, d’où vient mon prénom… Dans ce cas là, je reste vague et je dis que ça vient du sud de la France. Un jour, une recruteuse m’a même dit que mes cheveux bouclés étaient “marrants” en me demandant d’où ça venait. Je n’ai pas compris pourquoi c’était marrant, ce sont des cheveux qui sortent de mon crâne quoi ! Alors je lui ai répondu que ça venait de ma maman. Le problème quand on est une personne racisée en entretien d’embauche, c’est qu’on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangée : à la discrimination négative ? Positive ? Alors forcément, quand on nous pose des questions suspectes, déplacées voire carrément illégales, on est obligés de répondre poliment, même si on bout de l’intérieur.
« Quand on vous voit, vous faites très superficielle, mais quand vous ouvrez la bouche en fait ça va ! » Cécile, 28 ans, cheffe de produit
J’ai entendu cette phrase, il y a quatre ou cinq ans, lors d’un entretien pour un poste de cheffe de produit dans le luxe avec une chasseuse de tête qui avait des opportunités à me proposer dans les cosmétiques. Encore junior à l’époque, j’ai eu du mal à rebondir après cette pique ! Puis, il faut se remettre dans le contexte, en tant que jeune sur le marché de l’emploi qui galère à trouver des offres, on se sent totalement vulnérable en entretien d’embauche. À part se taire et sourire (gênée), on ne peut pas faire grand chose ! Et c’est d’ailleurs, ce que j’ai fait. Le pire, c’est qu’elle s’est enfoncée encore un peu plus en pointant du doigt mon “tie & dye” blond qui, selon ses dires, était : « too much et pas luxe ». Elle m’a également reproché d’être trop maquillée. Ces remarques étaient injustifiées d’abord parce que j’avais opté pour un maquillage très sobre et puis, je suis cheffe de produit dans ce secteur, c’est normal que je m’intéresse et teste le maquillage… Pour enfoncer le clou, elle m’a bien fait comprendre que personne ne m’attendait, que je n’avais pas fait HEC et qu’il me serait donc impossible d’intégrer un grand groupe (ce qui s’est avéré être totalement faux par la suite). En sortant de l’entretien d’embauche, j’étais désespérée : je n’avais aucun avenir et je ressemblais à Bozo le clown.
Avec le recul, je trouve cette attitude très représentative de l’état d’esprit dans le luxe. C’est un milieu où le conformisme est très valorisé, où il faut tout le temps être tiré à quatre épingles si on ne veut pas être soumis aux critiques. Je l’ai vraiment constaté quand j’ai quitté ce secteur récemment, ça m’a fait une bouffée d’air frais !
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« Vu ton profil, tu n’arriveras jamais à rien » Denis, 36 ans, spécialiste des applications informatiques
C’est le CEO d’une SSII (Société de services et d’ingénierie en informatique, ndlr) qui m’a lâché cette réplique lors d’un entretien pour un poste en support informatique. J’étais arrivé bien préparé, plutôt serein. Si le début de l’échange s’est bien passé, les choses se sont compliquées quand il m’a posé des questions très techniques qui n’étaient pas du tout de mon niveau. Ma détresse s’est confirmée quand il m’a soumis à un cas pratique à faire dans la foulée, dans une petite salle. Les questions étaient beaucoup trop complexes et éloignées de mon domaine, c’était plutôt du ressort d’un ingénieur système ! La goutte au front, je lui ai rendu mon travail avant de lui faire part de mon étonnement quant à la difficulté du test. C’est à ce moment-là qu’il s’est révélé : « Oui bah moi je vais te dire ce que j’en pense : vu ton profil, tu n’arriveras jamais à rien ». Sympa ! Je ne me suis pas démonté et je lui ai dit que nous allions en rester là. Il était clair pour moi que je n’avais aucune envie de travailler avec un type comme ça. Mon ego n’a même pas pris un coup. Je savais qu’il avait tort. À cette période, j’avais travaillé dans l’IT dans la gendarmerie pendant cinq quand, je travaillais aussi dans une SS2I au même moment et on ne m’avait jamais fait ce genre de retour…
Il aurait pu simplement me dire : « Désolé, mais ton profil ne colle pas à nos attentes », j’aurais totalement compris. Non, il a préféré me prendre de haut. Si c’était le patron de Google à la limite… Mais là, c’est une SS2I de trois employés inconnue au bataillon ! Sa prédiction était en plus totalement à côté de la plaque parce qu’après, j’ai travaillé en Suisse et aujourd’hui je suis à Monaco dans de grandes banques. La vie est belle. J’ai bien fait de ne pas l’écouter.
« Oui bon, vous avez fait une grande école, comme tout le monde quoi » Lana, 33 ans, directrice de clientèle
En 2012, après des mois de recherche d’emploi et de déprime, j’ai enfin décroché un entretien dans une petite agence de RP. L’entretien s’est déroulé normalement : parcours, expérience, motivations…Classique. Mais sorti de nulle part, le directeur d’agence m’a lancé, blasé : « Bon, vous avez fait une grande école, comme tout le monde quoi. » J’ai trouvé cette remarque vraiment cassante. Sur la défensive, j’ai embrayé du tac au tac en livrant des informations plus personnelles : mes vingt ans de basketball, mon travail en association… Puis l’entretien a repris son cours “normalement”, même si l’atmosphère était assez froide.
Cette réflexion m’a quand même bien fait cogiter par la suite. J’ai établi plusieurs hypothèses pour expliquer son comportement. Soit il s’agit d’un énième directeur d’agence qui se croit meilleur que tout le monde (et surtout des jeunes nanas fraîchement diplômées). Ou peut-être était-il réellement lassé de recevoir des candidats qui se ressemblent tous ? Il est vrai qu’en études supérieures, il y a une forte uniformisation des discours : on nous explique comment se présenter, quelles informations mettre en avant… C’est un peu aseptisé finalement. Une ancienne maître de stage qui avait reçu l’appel d’un recruteur d’une entreprise pour laquelle j’étais en process de recrutement m’avait même rapporté qu’il lui avait demandé si j’avais des émotions ! Pourtant, ça ne correspond pas du tout à ma personnalité. Je suis quelqu’un d’assez expressif et enthousiaste. Cette histoire m’a fait réaliser qu’on avait souvent un peu de mal à sortir des clous en entretien quand on est jeune. Et c’est normal, il est tellement difficile de trouver un job qu’on prend très peu de risques.
Quoi qu’il en soit, ça n’était en aucun cas une bonne manière de m’inciter à me dévoiler. Si c’était arrivé aujourd’hui, je ne me serais jamais laissée faire. Je lui aurais ri au nez et lui aurais demandé de développer. Quel toupet quand même ! De la part d’un directeur d’agence de RP comme il y en a des centaines d’autres. J’avais envie de lui demander : « Et toi, qu’est-ce que tu as à m’offrir ? »
« On renouvelle toujours la période d’essai, car en deux mois on verra à peine si tu sais faire les cafés » Carla, 24 ans, ergothérapeute
C’était l’année dernière, j’avais passé des entretiens téléphoniques dans un centre de rééducation et tout se passait très bien. Pour le dernier entretien, j’ai demandé à venir visiter le centre pour rencontrer mes futurs collègues et découvrir le plateau technique. Et c’est là que mon enthousiasme est tombé net. Au cours d’un échange avec le directeur sur la période d’essai, il m’a expliqué qu’ils avaient pour habitude de la renouveler avant d’ajouter : « Au bout de deux mois, on verra à peine si tu sais faire un café. » Très drôle. À un autre moment, il m’a dit qu’il n’avait pas de livre des modèles conceptuels (un livre incontournable qui récapitules les concepts fondamentaux d’ergothérapie) mais que s’il en avait un, il pourrait me remplacer. Ses réflexions humiliantes m’ont mis la puce à l’oreille, mais tout le reste était attrayant : l’équipe, le matériel, l’endroit… Alors, j’ai quand même pris le job en me disant que je ne bosserais pas beaucoup avec lui et surprise, ça s’est évidemment mal passé. En le voyant au quotidien, j’ai réalisé qu’il ne comprenait absolument pas en quoi consistait mon métier, qu’il devait se dire que j’étais une potiche et que comme j’étais jeune, il pouvait m’humilier tranquillement. Heureusement, j’ai fini par mettre les voiles et il est tombé des nues !
Article édité par Romane Ganneval
Photo de Thomas Decamps
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