Entretien d'embauche : évitez à tout prix la fausse modestie !
11 mai 2023
5min
Journaliste @Welcome to the jungle
En entretien d’embauche, pour valoriser son profil sans passer pour une personne prétentieuse, certains candidats font le pari d’opter pour la fausse modestie. Par exemple, ils n’hésitent pas à prétendre que leur plus gros défaut est leur perfectionnisme… erreur ! Ce modus operandi agace vraiment les recruteurs.
« C’est fatiguant d’être la personne qui présente le mieux nos solutions » ou « je ne sais vraiment pas pourquoi mes collègues me demandent tout le temps des conseils… », entendons-nous parfois de la part de certains. Or, derrière une plainte ou une apparente humilité, se cache bien souvent… de la fausse modestie. Si l’intention est de provoquer la sympathie ou l’admiration de la part de son interlocuteur, ce type de formule peine surtout à masquer une forme de vantardise. Ce procédé que l’on utilise tous au quotidien ne plaît pas du tout aux recruteurs comme l’a révélé une étude de l’Université d’Harvard. Pour les chercheurs américains, le humblebragging (le fait de se vanter humblement, en français) nuirait même fortement à l’image renvoyée par les candidats. En effet, dans le cadre de cette étude où ils ont simulé des situations d’entretien d’embauche, les recruteurs fictifs ont jugé plus négativement les candidats qui indiquaient comme défaut leur côté trop perfectionniste, trop travailleur ou trop serviable, leur préférant ceux qui exprimaient des défauts véridiques, comme l’intransigeance, le manque d’organisation ou la procrastination. Leur conclusion : la fausse modestie ferait paraître hypocrite et peu crédible aux yeux des autres.
Juliette Naji-Dumas, recruteuse qui partage cet agacement, reconnaît que si elle n’y est pas confronté tous les jours, elle a déjà constaté cette attitude chez certains cadres supérieurs : « Ce sont plutôt des profils expérimentés, conscients de leurs forces qui font usage de fausse modestie. » Et dans ce cas précis, elle confirme que cela n’augure rien de bon pour la suite : « Un manager qui a du mal à dire sans détour qu’il est bon dans un domaine questionne sur sa capacité à reconnaître ses erreurs quand il sera en poste. » Une impression de “malhonnêteté” peut alors émaner de la part du candidat. « Je pense que ce n’est pas mal intentionné, c’est juste maladroit. Un peu comme les personnes qui appuient sans cesse sur le fait qu’elles ont beaucoup de travail et de responsabilités pour montrer qu’elles sont importantes. Un procédé qui agace l’entourage pro plus qu’il ne valorise. » S’il semblerait que jouer les faux-modestes pour parler de soi soit hautement contre-productif, comment expliquer que nous soyons encore si nombreux à le faire ?
« On ne sait pas parler de nous en bien… »
Selon Aude Fraïoli Marçal, experte et enseignante en personal branding, en France, on ne nous apprend pas à parler de nous positivement. « En classe, lorsque je demande à mes étudiants de lister spontanément les choses qu’ils savent bien faire, on entend les mouches voler. À l’inverse, si je leur propose de me citer ce pour quoi ils sont mauvais, pas besoin d’attendre une seconde pour voir une forêt de doigts se lever. » Le constat de notre experte est sans appel : il est presque plus facile d’assumer ses mauvais côtés que ses bonnes capacités. Et dans tous les cas, on essaie toujours de passer pour quelqu’un de modeste, ce qui explique pourquoi on prend des pincettes pour vanter ses mérites. Une caractéristique qui nous différencie de nos homologues américains, beaucoup plus enclin à afficher ouvertement leurs forces. « En France on baigne dans un esprit de “ce n’est jamais assez” qui file le syndrôme de l’imposteur à beaucoup de candidats, confirme Juliette Naji-Dumas. J’ai plutôt le sentiment de rencontrer des personnes modestes tout court, voire même parfois trop modestes ce qui est aussi un problème d’ailleurs. »
Qu’elle soit fausse ou bien réelle, si on essaie de faire preuve de modestie en entretien d’embauche, c’est souvent parce qu’on pense que c’est ce qu’attendent les recruteurs. « Il y a tellement de codes sociaux à respecter dans cet exercice quand on a tendance a endossé un rôle, tant côté candidat que côté recruteur d’ailleurs, continue la spécialiste. De plus, il est vrai que certains pros attendent des personnes qui postulent qu’elles fassent preuve d’humilité et peuvent être déstabilisées si ce n’est pas le cas. » Sur le sujet, il semblerait donc que les deux parties de chaque côté du bureau, aient à progresser pour favoriser des échanges plus spontanés.
« Seul un échange honnête permet de faire matcher la culture du candidat avec celle de l’entreprise. »
« … tout comme on ne sait pas bien écouter les autres. »
À moins que ce ne soit notre culture française qui nous rende très critique à l’égard de celui qui parle de lui de façon positive ? « D’office, on juge négativement celui qui prétend être le meilleur dans ce domaine, explique Aude Fraöli Marçal. Notre premier réflexe sera de se dire : “comment il se la pète celui-là !” » Résultat, quand c’est à notre tour de parler de nous, on en est presque à s’excuser d’être bon. « Typiquement, si le recruteur affiche un sourire un brin moqueur au moment où l’on expose ses réussites, la seconde d’après on se noie dans les explications pour prouver par A + B qu’on est bien expert de notre sujet, encore plus quand on est une femme. » L’enseignante milite pour que nous apprenions toutes et tous à mieux nous raconter, mais aussi à mieux nous écouter les uns les autres. Une double compétence que nous aurions tous besoin de développer, peu importe notre poste, et qui pourrait bien être la clef pour rendre les échanges plus fluides et sincères en entreprise et en entretien d’embauche.
La recruteuse Juliette Naji-Dumas, en quête de toujours plus d’authenticité dans le recrutement s’inscrit dans cette démarche. « Seul un échange honnête permet de faire matcher la culture du candidat avec celle de l’entreprise. Et c’est bien tout l’enjeu d’un recrutement. Un candidat qui joue au modeste alors qu’il ne l’est pas, son manager risque de rompre sa période d’essai si ce n’est pas ce qu’attendait et inversement. » Selon elle, tous les profils ont leur place dans l’entreprise, il faut juste adapter l’environnement de travail aux besoins de chacun. Et pour bien les comprendre, elle n’aimerait ne pas avoir à trouver un décodeur. « Les salariés éprouvent encore beaucoup de difficultés à exprimer leurs attentes en entretien. Les recruteurs ont leur part de responsabilité bien sûr, ils ne posent pas toujours les bonnes questions, ne mettent pas forcément à l’aise… , concède t-elle. Pourtant, on veut tous la même chose : comprendre quelles sont les forces et les axes d’amélioration du candidat et ce qui est important pour lui. Par exemple, je n’ai aucun problème à ce quelqu’un me dise que le salaire est important. Au contraire, je sais tout de suite que le montant de la rémunération est un critère déterminant pour lui quand d’autres personnes donneront la priorité à d’autres sujets. Cela fait gagner un temps fou à tout le monde ! » Finalement, pour Aude Fraïoli Marçal, au delà d’un gain de temps, c’est également un gage de bonheur puisqu’en osant affirmer dès le début qui on est, on augmente les chances de s’engager durablement avec l’entreprise : « Un salarié à qui on permet de se positionner en tant qu’individu a plus de chances de s’épanouir sur le long terme. »
De là à ce que les codes très feutrés de l’entretien d’embauche changent ? Lentement mais sûrement, portés par les jeunes recrues comme en témoigne l’experte en personal branding. « La jeune génération a moins de gêne à évoquer ses points forts, limite sans filtre, ce qui peut perturber leurs interlocuteurs plus âgés. Ils osent dire de but en blanc : j’ai trois ans d’expérience, je veux 40K parce que je le vaut bien ! » Un aplomb et une sincérité qui font bouger les lignes du monde du travail petit à petit et qui permettront peut-être un jour d’enterrer la langue de bois en entretien d’embauche dont la fausse modestie n’est qu’un moyen d’expression parmi d’autres.
Article édité par Romane Ganneval ; Photo de Thomas Decamps
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