« Plus c’est gros, plus ça passe » : gonfler son salaire en entretien, ça marche ?
19 mars 2024
5min
Dans un processus de recrutement vient toujours le moment délicat où le recruteur demande ce que vous gagnez. Deux options s’offrent généralement à vous : vous pouvez jouer la carte de l’honnêteté au risque de passer à côté d’une revalorisation salariale, ou bien, vous pouvez mentir et gonfler vos revenus et peut-être voir le poste vous échapper parce que vous êtes trop cher. Relativement courant, ce petit coup de poker, comporte-t-il de vrais risques pour le candidat ?
« La question n’est pas de savoir si j’ai déjà gonflé mon salaire en processus de recrutement, mais plutôt : est-ce qu’il y a des fois où je ne l’ai pas fait ?, lance Nina (1), 31 ans, product owner. Le maximum, c’était de rajouter 7 000 euros à mon salaire brut annuel. J’étais à 36K, j’ai annoncé à l’employeur que je touchais 43K et que je ne partirais pas pour moins de 45K. On m’a pris à 44K : c’est 1 000 de moins que ce que je demandais, mais pour moi le gap était déjà intéressant. » Face à une politique salariale bien souvent opaque, Nina est loin d’être la seule à bluffer en entretien. Ce petit mensonge peut faire partie du jeu de négociation qui s’instaure avec le recruteur, puisqu’un candidat aspire généralement à un salaire plus élevé lorsqu’il change d’employeur. « Gonfler son salaire est presque un passage obligé, parce que si on ne le fait pas, on risque de se voir proposer le même salaire avec juste la promesse que ça sera mieux chez eux. Tout cela sans compter qu’on doit se refaire une période d’essai de plusieurs mois », poursuit la product owner.
Un mytho protégé par… la loi
À l’instar de Nina, Théo (1) a toujours ajouté quelques milliers d’euros à son salaire quand il était en processus de recrutement. S’il s’est déjà fait chopé ? « Jamais, et j’ai fait ça au moins trois fois. » Une situation qui n’a pas de quoi étonner quand on sait que le futur employeur n’est pas autorisé à demander les fiches de paie, au vu des informations confidentielles que celles-ci contiennent, comme le numéro de sécurité sociale ou les possibles renseignements sur un arrêt maladie, explique la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Un candidat peut bien sûr décider de transmettre ses fiches de paie à un recruteur insistant, mais il reste conseillé de flouter certaines données.
Toujours est-il que le candidat est en plein droit de refuser de fournir ses fiches de paie et c’est d’ailleurs ce qu’a fait Anne-Isabelle (1), qui travaille dans les ressources humaines, en préférant couper court à sa candidature. « J’avais ajouté quelques milliers d’euros à mon salaire quand on a abordé ma rémunération actuelle avec le recruteur. Quand il m’a demandé ma dernière fiche de paie, j’ai tout suite pensé au fait que ça allait jurer avec le chiffre que je lui avais annoncé. Le job ne me plaisait pas tant que ça, donc j’ai préféré mettre un terme à nos échanges. » Si en théorie, un candidat risque peu de choses à gonfler son salaire annuel de 5, 10 ou 15K, en pratique, mieux vaut prêter attention à quelques détails plutôt que se montrer trop gourmand.
Gonflez votre salaire dans les règles de l’art
1. Analysez les prix du marché
Avant de vous jeter corps et âme dans un mytho un brin trop aventureux, prenez la température. « Quand on postule à un nouveau poste, il est important de regarder les salaires pratiqués pour des missions et échelons hiérarchiques équivalents et pas seulement ceux pratiqués dans l’entreprise dans laquelle vous postulez, avance Sophie Ronen, DRH chez Nextories. Regarder différentes offres vous permettra de déterminer la valeur de vos compétences sur le marché. »
Le célèbre adage « plus c’est gros, plus ça passe » ne s’applique pas vraiment quand il s’agit de mentir à un recruteur. « Dans les ressources humaines, il faut savoir qu’on a un réseau et qu’on connaît les rémunérations de beaucoup d’entreprises. On sait donc plus ou moins où se situe un candidat », ajoute la spécialiste du recrutement. Autrement dit, sonder vous permettra de gonfler « consciemment » votre salaire et surtout, vous évitera de vous griller bêtement.
2. Alignez-vous à l’entreprise et à sa grille de rémunération
Ajouter 20K à votre salaire annuel peut sembler déconnecté de la réalité du marché et pourrait perdre le recruteur en chemin, ce qui est loin d’être l’effet escompté. « Les candidats ont malheureusement tendance à surévaluer leur rémunération, et il arrive que l’on ressente un vrai décalage entre leur positionnement sur le marché et la valeur de leur compétence, par rapport à ce que nous avons à offrir en interne. C’est dommage, parce que ça peut empêcher le candidat d’avoir de belles opportunités », poursuit Sophie Ronen. À trop tirer votre supposé salaire vers le haut, vous pouvez finir hors du tableau. Il est donc fondamental de prendre en compte les grilles de rémunération qui servent à affiner la rémunération selon le profil, l’ancienneté et les compétences du salarié. « Si un candidat surévalue trop sa rémunération et tombe en dehors de notre grille, il sera forcément écarté », conclut la DRH.
3. Restez cohérent
Pour éviter les couacs sur le salaire, pensez que vous êtes en train de créer un lien de confiance avec votre futur manager et qu’il est primordial d’agir comme si vous étiez droit dans vos bottes. « Ce que j’aime dans la question de la rémunération actuelle et de la prétention salariale, c’est qu’elle permet de créer une relation de confiance. Partir sur ce lien de confiance dès le début permet d’instaurer des bases saines », avance la spécialiste des ressources humaines. Un salaire embelli pourrait potentiellement briser ce lien, surtout si vous vous trahissez au moment d’annoncer le chiffre tant attendu. « Si l’on sent un flottement, une hésitation, ou une modification du langage non verbal du candidat, on peut penser que le candidat est un peu confus. » Même chose si lors du premier échange avec le recruteur, vous lui annoncez votre salaire, puis quelques jours plus tard, lors de votre rencontre IRL, votre salaire a pris un zéro en plus. Pour que ça passe, restez cohérent dans vos propos et ayez l’air sûr de vous : pensez au chiffre que vous allez annoncer en amont, et tenez votre meilleure poker face.
4. Attendez-vous à négocier
Pour le poste qu’elle occupe actuellement, Nina avait initialement dit au recruteur qu’elle ne quitterait pas son poste pour moins de 45k, elle a finalement été débauchée pour 1k de moins par an. Puisque vous jouez un coup de bluff, n’oubliez pas que vous vous engagez dans un rapport de négociation avec le recruteur. Dans un tel cadre, il est préférable de garder une certaine souplesse quant à vos prétentions salariales. « Quand on comprend que le candidat est en train de gonfler son salaire, on sait qu’on a une marge de négociation derrière, explique Sophie Ronen. L’augmentation du salaire fait partie des critères pour lesquels les candidats changent d’entreprise, et on sait très bien qu’ils modifient leur rémunération. Ça fait partie du jeu. » Un peu comme quand vous demandez un rabais sur Vinted : vous n’aurez peut-être pas l’article au prix voulu, mais vous parviendrez peut-être à trouver un juste milieu avec le vendeur. Petit conseil : restez flexible.
État des lieux du marché, cohérence et marge de souplesse : telles sont les clés d’un salaire gonflé raisonnablement et avec l’assurance d’éviter le faux-pas. Ces petits bluffs en entretien pourraient toutefois être amenés à se raréfier d’ici 2026, puisqu’une directive européenne sur la transparence salariale engagera les entreprises à communiquer aux candidats une rémunération initiale ou une fourchette de salaire. Disposant de plus d’informations quant aux salaires pratiqués, les candidats pourront se projeter plus aisément, sans avoir à naviguer en eaux troubles au moment d’annoncer leur prétention salariale.
(1) Le prénom a été modifié
Article écrit par Pauline Allione ; édité par Romane Ganneval ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ
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