Être "indispensable" à son poste : un frein pour évoluer en entreprise ?
03 juin 2021
4min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste indépendante.
« Rends-toi indispensable», un conseil que vous avez déjà sans doute entendu de la part de personnes bien intentionnées. Et pourtant… Certains ont fait l’erreur de le suivre, et se trouvent aujourd’hui bloqués dans leur poste. Quelques années plus tard, alors qu’ils souhaitent changer d’équipe ou de métier, ils essuient les refus de leur manager. Comment se tirer de cette situation ? Témoignages et conseils.
Pourquoi avons- nous besoin de nous sentir indispensable ?
« Je crois que le besoin fondamental de l’être humain est le besoin d’être nécessaire, écrit Steve Rose, sociologue. Nous voulons avoir l’impression de jouer un rôle important, que ce soit dans une organisation, une famille ou dans la vie de nos amis. » Et cela se comprend : se rendre indispensable offre une certaine sécurité, flatte l’ego, rend notre existence moins vaine… Une enquête de l’American Psychological Association révèle d’ailleurs que le fait de se sentir valorisé au travail conduit à une meilleure santé physique et mentale, ainsi qu’un niveau d’engagement et de motivation plus élevé. Lorsque vous traversez une période de doutes, entendre votre manager et vos collègues louer vos compétences ne vous donne-t-il pas un sursaut d’énergie ? Mais s’il est tout à fait normal de vouloir se sentir essentiel, jusqu’où sommes-nous prêt à aller pour obtenir cette reconnaissance et à quel prix ?
Quand être indispensable empêche l’évolution professionnelle
Connaître votre poste sur le bout des doigts fait de vous une personne-clé dans une équipe. Si le plus souvent, une entreprise profitera de ce talent pour vous offrir des évolutions rapides, d’autres jugeront qu’il est plus simple de vous laisser à votre place. « J’ai postulé plusieurs fois en interne, j’ai eu des entretiens qui se sont bien passés… mais j’étais toujours recalé à la dernière étape, sans explication. J’ai fini par me poser des questions et insister auprès des RH jusqu’à ce qu’elles m’avouent que mon n+2 bloquait mes demandes. Car cela ne « l’arrangeait pas » de me remplacer », confie Loïc, ingénieur dans l’aéronautique et au même poste depuis sept ans.
Mais l’absence d’évolution professionnelle n’est pas le seul risque pour votre carrière. Se rendre indispensable, c’est aussi finir par faire toujours les mêmes choses. Souvent, en restant dans sa zone de confort. Fabrice, chargé de projet IT dans une banque, a réalisé trop tard que les départs progressifs de ses collègues faisaient de lui le seul à maîtriser un logiciel capital pour l’entreprise : « J’étais très content d’avoir la main sur cet outil et de n’avoir de comptes à rendre à personne. Jusqu’à ce que je vois des amis dans l’IT apprendre de nouveaux langages, de nouvelles façons de travailler,… J’ai accumulé un retard qui n’est pas impossible à rattraper, mais mon manager préfère clairement engager des jeunes pour les nouveaux projets », ajoute-t-il. « Invirable », mais inemployable, c’est la malédiction de quelques-uns qui sont devenus - volontairement ou non - indispensables à leur poste.
Problème : limiter son champ d’action, c’est aussi restreindre son réseau et les opportunités qui vont avec. Au même poste depuis des années, vous finissez par communiquer avec les mêmes intermédiaires et perdez l’opportunité de rencontrer de nouvelles personnes dans votre entreprise ou à l’extérieur. D’autant que moins de rencontres conduisent à moins d’opportunités professionnelles. Vous le voyez venir ce cercle vicieux ?
Comment reprendre la main sur sa carrière ?
Heureusement, être bloqué à son poste est rarement irrémédiable. Alors, comment éviter le piège d’être indispensable dans votre rôle actuel, et comment s’en libérer ?
1. Clarifiez la posture habituelle de votre manager
Pouvez-vous avoir confiance en votre supérieur ou non ? « Face à un manager que j’appelle « non éthique » qui n’a pas envie de vous voir évoluer, je recommande de mettre la pédale douce sur votre travail. Si vous êtes moins performant, vous lui serez moins utile, et vous augmenterez vos chances qu’il vous laisse partir », explique Isabelle Deprez, coach de dirigeant et expert en management.
2. Trouvez des alliés
Si votre manager vous explique qu’il ne peut pas se passer de vous, formez quelqu’un pour vous remplacer ou déléguez petit à petit vos tâches à d’autres. Isabelle Deprez recommande également de lister les acteurs de l’entreprise qui pourraient vous aider : « Identifiez des personnes qui ont des enjeux en lien avec les vôtres. Toute personne qui pourrait bénéficier de votre évolution peut être un allié dans votre négociation, ou vous ouvrir des portes », révèle-t-elle. Un jeune collègue de votre équipe qui aimerait prendre votre poste et accepterait avec plaisir que vous lui déléguiez votre travail, un manager d’une autre business units qui aurait tout intérêt de vous voir le rejoindre…
3. Demandez, insistez, négociez
Trop de collaborateurs n’osent pas demander à évoluer, ou s’arrêtent à un refus. Être franc et ferme avec votre manager sur vos besoins peut débloquer la situation. Mais parfois, un manager n’a simplement pas d’opportunité immédiate à vous proposer. Auquel cas, Isabelle Deprez recommande de négocier : « Passez un deal avec lui : des objectifs, contre une nouvelle opportunité. Et surtout, gardez une trace écrite ! Une réorganisation est vite arrivée, et un manager - même bien intentionné - est vite parti. »
4. Si vos efforts sont vains, escaladez
Malheureusement, le service RH est rarement décisionnaire des promotions et n’a pas toujours le pouvoir d’intervenir contre un manager. Même si celui-ci est nocif. Cependant, si vous êtes un collaborateur performant, d’autres solutions s’offrent à vous : « En dernier recours, contactez votre N+2 ou votre N+3. Mais attention, cela doit être vu comme la dernière alternative, car cela ne sera pas apprécié par votre manager », explique Isabelle Deprez.
5. Partez, avant de plonger
Quand vous avez tout essayé, la dernière option est encore de se résoudre à chercher un poste ailleurs. C’est la solution envisagée par Loïc : « La crise rend évidemment la situation plus délicate, mais j’ai des ambitions, je ne souhaite pas rester dans cette situation éternellement. Je vais sans doute chercher à changer d’entreprise, même si c’est dommage car je sais que j’aurais pu y rester et m’y épanouir », confie-t-il. Mais n’attendez pas de toucher le fond : « Gardez suffisamment d’énergie et de talent pour chercher ailleurs. Car le plus grand risque dans cette situation, c’est de perdre confiance en ses capacités… voire son estime de soi », conclut Isabelle Deprez.
Alors, plutôt que de devenir « indispensable », essayez de vous rendre « essentiel ». La différence entre ces deux adjectifs ? Celui qui est « indispensable » sait se rendre utile, il incarne son poste, il est souvent le seul à être capable de réaliser ses missions. Celui qui est « essentiel » doit chercher, au contraire, à se rendre inutile, en partageant son savoir-faire et ses connaissances autour de lui sans attendre en retour. On l’appréciera aussi pour la valeur qu’il apporte aux autres. Bref, celui qui sait se rendre essentiel réussit généralement à façonner une carrière à son image.
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Photo par WTTJ
Édité par Romane Ganneval
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