Le monde du bureau vous fatigue ? La newsletter « CDLT » aussi !
22 janv. 2024
8min
« Ils ne savaient pas que c’était impossible. Alors ils ont fait un burn-out. » Si le monde du travail vous amuse autant qu’il vous révolte, la newsletter « CDLT » et ses punchlines devraient vous parler. Sa co-fondatrice, Séverine Bavon, y signe des articles aussi caustiques que cinglants, et a même récemment ouvert un shop spécial “Secret Santa” pour faire plaisir (ou pas) à vos collègues bien-aimés. On a cordialement papoté.
Ta newsletter CDLT est présentée comme du « Hater-generated content bi-mensuel sur le monde du travail ». Ton côté « hater », tu l’assumes totalement ?
Cette newsletter se veut vraiment caustique et décalée, mais elle est née de la colère et se nourrit de la colère. Le point de départ de CDLT - qui s’appelait au départ “Time to fuck off”, c’est pour dire ! - c’était une envie de parler sans filtre des dysfonctionnements de notre secteur : celui du marketing et de la communication. Mais rapidement, il y a avait tellement de choses « drôles » à raconter que c’est devenu une réflexion sur le travail en général. Après, le but n’est pas que de critiquer ou de rire, j’essaie vraiment de formuler une pensée, voire de proposer des pistes de solutions.
Parmi tes récents coups de gueule, je me trompe où le retour au bureau forcé des salariés est pour toi le sujet prio du moment ?
Clairement ! La première chose qui m’agace, c’est cette injustice d’avoir promis quelque chose aux employés, avant de leur retirer. Énormément de gens ont embrassé le télétravail. Ça leur a permis de faire plein de choses positives dans leur vie : comme de déménager dans des endroits qui leur convenaient mieux, loin des clapiers à lapins et de la ligne 13, par exemple ! Et tout à coup, les règles changent à nouveau et on leur demande d’abandonner un acquis qui n’était pas juste du “confort” mais qui leur a permis une nouvelle relation à leur travail, et à la vie elle-même ! L’autre chose qui m’agace, c’est qu’on avance aussi beaucoup de choses à propos du soi-disant impact négatif du télétravail sur la créativité et la productivité, alors que rien n’est prouvé !
Tu évoques le rapport des gens au travail qui a changé. Ces derniers mois, on a pas mal entendu parler d’une prétendue vague de « désengagement » des salariés… Toi qui a écrit sur la question, tu penses que les Français détestent le travail ?
(Rires) Je suis contente que tu évoques ce billet d’humeur parce que c’est un de mes préférés ! Pendant la réforme des retraites, certains ont affirmé que les Français étaient des flemmards, qui n’attendaient que la retraite et détestaient le travail. Et moi, je me suis penchée sur beaucoup d’études qui sont sorties à ce moment-là et je me suis rendu compte que la relation des Français au travail est beaucoup plus complexe qu’un simple rapport amour ou haine. Les Français aiment leur travail dans la mesure où celui-ci leur permet certaines choses dans la vie. Le travail en France est davantage considéré comme un moyen plutôt qu’une fin en soi ! Je ne crois donc pas qu’il y ait de « valeur travail », d’amour en soi pour le travail, mais une appréciation pour ce qu’il permet. Par exemple, dans l’étude que je cite, on voit que les Français insistent sur le fait que le travail doit être « intéressant », mais parce que ça nous rend intéressants.
« Il y a beaucoup de crises que l’on croit personnelles - nos doutes, nos envies de reconversion… - qui sont en fait éminemment structurelles ! » - Séverine Bavon, co-fondatrice de « CDLT »
Aussi, tu rappelles que le fait d’aimer son travail est souvent un luxe de certaines catégories socio-professionnelles !
Bien sûr ! C’est quand même fou qu’on ait besoin de redire ces choses-là, non ?! Je cite une étude qui souligne que 77 % des Français se disent contents au travail, et bizarrement, les indépendants ou les professions libérales sont vachement plus heureux que les ouvriers ! C’est marrant !
Cet article m’a aussi permis de traiter d’une question qu’on a posée aux Français lors de la réforme des retraites : est-ce que vous êtes prêts à travailler plus pour gagner plus ? Bon, 31 % sont chauds, et c’est deux fois plus que ceux qui disent être prêts à travailler moins quitte à gagner moins… Mais en revanche, si tu changes un peu les termes de l’équation, si tu leur demandes s’ils sont prêts à gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre, 61 % disent oui ! Ça montre bien que le travail est vraiment une relation d’échange : c’est ce je donne et ce que j’ai en retour.
Le sujet de la semaine de quatre jours, ça te parle alors ?
Je crois que c’est le sujet le plus intéressant du moment. Aujourd’hui, le temps gagné à côté du travail est sûrement la valeur la plus précieuse pour beaucoup d’entre nous. Il y a eu une large étude au Royaume-Uni, et ce que j’ai aimé c’est que chacune des 60 entreprises a vraiment adapté la semaine de quatre jours à son propre fonctionnement, et qu’à la fin les résultats sont ultra probants : hausse de la productivité, du bien-être, etc. ! Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est la solution à tout, ou que c’est facile à mettre en place - je suis bien placée pour le savoir en tant que cheffe d’entreprise - mais je trouve que ça touche une question absolument clé dont il faut parler : comment rendre du temps aux gens, sans que ça n’impacte la performance ?
« J’ai réussi à remettre le travail dans ses cases, à sa place, pour qu’il ne déborde plus sur ma vie. Avant ça, comme beaucoup de monde, j’ai eu des périodes compliquées. » - Séverine Bavon, co-fondatrice de « CDLT »
Toi qui écris des « hater-generated content » sur le monde du travail, tout en jonglant avec une vie d’entrepreneuse qu’on imagine prenante, c’est quoi ton rapport au travail ?
Il s’est beaucoup apaisé… Et ça, c’est depuis qu’on a créé la boîte dans laquelle on avait envie de bosser avec mes associés. Chez acracy (une plateforme de mise en relation de freelances créatifs, ndlr.), on s’applique les règles qu’on souhaite pour nos salariés : ne pas travailler après 18h - 19h, débrancher le week-end et pendant les vacances… Même si c’est dur en tant qu’entrepreneur ! J’ai fait un gros travail de compartimentation : j’ai réussi à remettre le travail dans ses cases, à sa place, pour qu’il ne déborde plus sur ma vie. Avant ça, comme beaucoup de monde, j’ai eu des périodes compliquées…
Tu as tellement de temps aujourd’hui que tu peux prendre du temps pour CDLT d’ailleurs !
(Rires) Oui ! Ça me prend une bonne demi-journée pour chaque article, mais je kiff tellement que je ne compte pas arrêter !
Tu comptes CDLT dans ton temps pro ou dans ton temps perso ?
(Silence) Ouah, bonne question ! (Rires) C’est un peu les deux ! Au début, c’était un vrai attrait personnel et finalement, ça s’est mêlé avec le pro. Au quotidien, je suis une ancienne employée, devenue cheffe d’entreprise, qui s’adresse tous les jours à des freelances ! J’ai donc une source d’inspiration quotidienne. Et ça me paraît intéressant dans mon métier de faire évoluer ma pensée et de prendre la parole sur ce qui est finalement notre sujet à acracy : l’évolution du travail.
2023 a été une année de développement pour CDLT puisque tu as ouvert des comptes Instagram et LinkedIn, et surtout… Un improbable shop de cadeaux pour les Secret Santa entre collègues ! Ça ira jusqu’où tout ça ?
(Rires) C’est marrant, mais en fait c’est parti du fait que j’ai pris conscience de mon syndrôme de l’imposteur - j’ai écrit dessus d’ailleurs - et que je me suis dit : « Tu as le droit de vouloir plus pour ce truc que tu aimes faire ! » J’ai donc ouvert un compte LinkedIn dont je ne sais pas encore quoi faire, un Insta qui me permet de livrer des citations pseudo-inspirationnelles et aussi oui, ce shop Secret Santa dont tu parles ! L’idée étant d’y trouver des super cadeaux passif-agressifs ! Notre best-seller d’ailleurs, si ça t’intéresse, c’est le mug « Sauf erreur de ma part ». Et qui sait, CDLT pourrait devenir un podcast ou un bouquin ?
« Un burn-out, ce n’est pas juste du surmenage. C’est pousser au-delà du surmenage parce qu’on croit que tout va s’effondrer si on arrête. Alors que c’est nous qui allons nous effondrer, et que nous sommes remplaçables. » - Séverine Bavon, co-fondatrice de « CDLT »
Quant à ton article qui a le plus cartonné, il s’appelle Les Millennials, génération de la lose… On est vraiment si mal lotis ?!
(Rires) En fait, je me suis rendue compte à force de discuter avec mes amis qu’on est une génération où tout le monde se trouve au milieu du gué. On est arrivé sur le marché du travail avec les codes d’avant, qui étaient : « Fait de bonnes études, t’auras un bon travail » « Trouve un CDI et travaille bien comme ça tu auras plein de choses en retour ! » Sauf que ça, c’était valable jusque-là mais, nous, on est arrivés sur le marché du travail pile avec la crise, et plus rien ne fonctionne ! Donc le but avec cet article, c’était de dire : « Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas seuls à être perdus », et aussi qu’il y a beaucoup de crises que l’on croit personnelles - nos doutes, nos envies de reconversion… - qui sont en fait éminemment structurelles ! C’est n’est pas juste un petit rapport de moi à moi qui n’ait pas fait les bonnes études, c’est pas un caprice de trentenaire, c’est juste qu’on a choisi un taf pour des raisons qui n’ont plus cours ! Au moins, la génération d’après nous, elle sait que c’est pété, elle… Ils savent qu’il ne faut pas trop attendre du travail et compter que sur eux-mêmes !
Tu écris aussi dans cet article : « On leur avait promis que ça valait le coup, trois burn-outs après, ça valait pas le coup ». Tu penses qu’on est aussi la génération burn-out ?
Malheureusement, le burn-out touche toutes les générations, mais c’est sûr qu’il est le signe d’une époque. Parce qu’un burn-out, ce n’est pas juste du surmenage. C’est pousser au-delà du surmenage parce qu’on croit que tout va s’effondrer si on arrête. Alors que c’est nous qui allons nous effondrer, et que nous sommes remplaçables. Et tout ça, c’est le signe d’un rapport au travail qui est assez terrible, où on échange ce que l’on a de plus précieux - notre santé - pour… Pas grand chose. Et c’est horrible hein, mais aujourd’hui pour beaucoup de monde, le burn-out est devenu le « avant-après ». J’adorerais qu’on n’en arrive pas là mais le burn-out, c’est le moment où les gens se trouvent forcés à questionner des choses qui leur paraissaient évidentes, comme leur rapport au travail, mais qui ne le sont pas en réalité…
Ça ne te rend pas aigrie ou déprimée de parler de tout ce qui ne va pas ?
En fait, ce que j’essaie de faire à chaque fois, c’est d’être constructive. Ça part de la haine, mais le but, c’est : 1) De mettre des mots 2) D’arriver à des solutions ou, au moins, des réflexions constructives. Donc, pour moi, c’est un exercice qui est éminemment positif. Parce que le pire, quand on a un problème au travail, c’est de ne pas le comprendre ou de ne pas pouvoir en parler. Sous couvert de rires, CDLT, ou des gens comme NdFlex (Neurchi de flexibilisation de marché du travail, ndlr.) mettent en lumière des choses, et donnent des clés pour les améliorer. Je suis hyper optimiste ! Il y a une crise, mais on est déjà dans la transformation. Depuis le Covid, c’est dingue comme ça s’est accéléré : les gens changent leur rapport au taf, changent de job, se reconvertissent ! Et je pense que la génération à venir sait ce qu’elle peut attendre ou non du taf, elle a un rapport plus distancié.
Dans ce cas, tu penses qu’il va falloir attendre encore combien de temps avant qu’on arrête de signer nos mails par « Cdlt » ?
(Rires) Je ne sais pas, parce qu’en même temps je n’ai pas envie de devoir me rebrander ! Mais soyez en sûr : « Cordialement », ça veut dire que ça vient du cœur normalement, or ça ne vient jamais du cœur hein… (Rires)
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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