“Mon métier aura du sens” : un guide écolo pour trouver sa place
23 mars 2023
6min
Les métiers de demain existent déjà : ils sont dans l'économie sociale et solidaire (ESS), et dans l’écologie. Julien Vidal, fondateur de la démarche « Ça commence par moi » et du podcast Les 2030 Glorieuses, en a répertorié plusieurs centaines, et a rencontré ceux qui les exercent déjà. Dans son récent ouvrage « Mon métier aura du sens » (Ed. Vuibert), il donne les clefs pour y accéder et faire les « bons » choix.
Après avoir fondé le projet écologique « Ça commence par moi », vous vous penchez avec votre dernier ouvrage sur les métiers de demain qui feront sens, tout en questionnant l’économie présente et future. Pourquoi aborder aujourd’hui ces deux volets ?
Juste avant les dernières élections présidentielles, j’étais plein d’espoir. Les Marches pour le climat, l’appétence des citoyens pour l’écologie qui semblait se traduire dans les livres, dans les médias, etc. J’avais l’innocence de croire que le politique allait se saisir de cette grande fenêtre médiatique. Or, seuls 3 à 4% des débats présidentiels ont porté sur cette question. Après la colère et la frustration, j’ai décidé d’activer un autre levier : celui du monde de l’économie et des entreprises, apte à davantage de réactivité, et au cœur de l’action.
En 2020, vous avez lancé le podcast 2030 Glorieuses pour donner la parole « aux personnes qui incarnent les nouvelles abondances du monde » selon vos propres termes (entretiens édités par Actes Sud en 2022 sous le titre « 2030 Glorieuses : utopies vivantes », ndlr). Pourquoi cette expression détournant la période des Trente Glorieuses ?
Elle représente le futur que je me suis ouvert. Depuis mes 20 ans - j’en ai 37 - j’entends dire que les crises se succèdent. Cette peur du présent ne fait qu’engendrer un immobilisme et empêche de s’intéresser à l’avenir. Ce qui me paraît important, c’est de sortir du cliché des écolos empêcheurs de tourner en rond. Finalement, la société décroissante est celle dans laquelle on vit déjà, et elle est intolérable : décroissance de sens, d’humanité, de rire, d’amour, de savoir-faire, décroissance dans nos services, tous éliminés par l’économie néo-libérale. Je préfère regarder droit dans les yeux un avenir glorieux. Le modèle de la décroissance dit qu’il faut travailler moins pour produire moins, mais là encore on se retrouve prisonnier du modèle de l’homo economicus. N’y a-t-il pas plutôt une place à redonner à ce que nous sommes profondément ?
Le débat actuel sur les retraites est par exemple important, mais au lieu de parler de « temps de travail », peut-être devrait-on viser des métiers utiles à nous-mêmes, aux autres, qui ont du sens et créent du lien. Pour déployer des modes de vie résilients et créer de nouvelles abondances, les leviers de la désirabilité sont très puissants. Donc j’ai commencé à rencontrer ceux qui ont décidé de travailler mieux et vivre mieux, en visant d’autres croissances. Plus j’identifiais de nouvelles formations et de nouveaux métiers, plus j’en découvrais d’autres. Aujourd’hui il y en a plusieurs centaines, voire des milliers à mettre en avant.
Selon vous, l’étude de l’Institut pour le futur de 2017 largement relayée par les médias, selon laquelle « 85% des métiers de demain n’existent pas encore », est un suicide collectif. Pourquoi ?
Déjà, il faut savoir que c’est un think tank financé par Dell qui en est à l’origine. Ces chiffres véhiculent un imaginaire techno-futuriste qui va faire du mal aux travailleurs et au vivant. On nous vend la « smart » city, remplie d’objets connectés, avec de nouveaux métiers comme un personal shopper en ligne… C’est aberrant. Notre futur, ce n’est pas l’intelligence artificielle, mais la low tech et le vivant ! Il suffit de chausser les lunettes des 2030 Glorieuses pour voir que les métiers qui vont nous faire du bien existent déjà. L’ Ademe se montre optimiste et prédit 340 000 emplois vertueux en 2035 et jusqu’à 900 000 à l’horizon 2050.
Des métiers créés dans tous les secteurs, pour tous les niveaux, du CAP à Bac + 8, avec comme exemples : diagnostiqueur de déchets, agent de tri, technicien de maintenance des parcs industriels, les métiers de la chaudronnerie et de la soudure, ingénieur agronome, ingénieur méthanier, etc.
Dans « Mon métier aura du sens », vous citez plusieurs études qui iraient dans le sens d’une « Grande démission ». Ainsi, en France 445 000 personnes ont démissionné fin 2021, et 48 millions aux Etats-Unis. Vous pensez vraiment qu’il y a une vraie lame de fond et volonté des travailleurs à changer de vie professionnelle ?
Oui, je pense qu’il y a une grande anxiété des travailleurs, notamment des jeunes. Comme plusieurs rapports l’ont indiqué, neuf jeunes sur dix veulent mettre leur activité professionnelle au service de valeurs profondes. C’est plutôt bon signe. Mais évidemment nous allons entrer dans une période de flottement, car on quitte un système de croyance pour un autre. Si le niveau de mutation est encore minime, aux vues de tous les indicateurs il y a urgence à développer les filières de transformation de l’agriculture, de la rénovation technique et énergétique, du lien et de la culture, ou encore de l’éducation notamment. Malheureusement, aucun travail de planification et d’accompagnement de l’Etat n’est déclenché sur la formation ou l’accompagnement psychologique dans le cadre de reconversions par exemple. C’est encore du cas par cas.
Mais la transition écologique ne va pas qu’être créatrice d’emplois, elle va aussi en détruire. Comment analysez-vous cette situation ?
Il faut faire attention au « job-washing », c’est-à-dire à l’utilisation de procédés marketing qui trompent les citoyens en mettant seulement une partie du message en avant, car la situation est bien plus complexe et nuancée. Avec la chute de production pétrolière, on ne peut plus mettre en avant l’aéronautique ou la voiture, ça n’a plus de sens. Des plans de réorientation de grands bassins d’emploi sont nécessaires. Je pense à Toulouse, où toute l’économie tourne autour de l’avion, où l’évolution et la reconversion pourrait se faire vers l’innovation low tech et une filière ingénierie repensée. L’écologie, ce n’est ni le retour au silex ni au morceau de bois pour s’éclairer ! Récemment, ma rencontre avec Odile Rosset, directrice de Carton Plein à Paris, qui fait de la cyclo-logistique, m’a par exemple poussé à me pencher sur la filière vélo : un rapport parlementaire indique que le développement de la filière pourrait créer 100 000 emplois d’ici 2050. Je pense aussi à Corentin de Chatelperron, ingénieur aventurier qui a créé le Low-tech Lab à Concarneau pour innover dans une société durable, plus créative, et qui redonne de l’autonomie à l’utilisateur.
Vous préférez le terme de « métier » à celui de « travail ». Pourquoi ?
Les mots ont un pouvoir, celui d’ouvrir les portes de nos esprits. Le travail est associé à une activité productive dans laquelle nous sommes des objets ou des ressources capables de générer de la croissance. Nous sommes catégorisés dans des mini-cases, pour devenir des responsables de mini boîtes avec des mini-missions, totalement éloignées d’une vision d’ensemble. Un métier est une activité professionnelle mais aussi sociale, associée à des connaissances, des techniques.
Vous citez la sociologue Dominique Méda, qui préconise « la reconversion écologique pour réhumaniser le travail ». Comment se traduit-elle ?
Par les métiers du lien et les modèles d’économie circulaire qui sont créateurs d’emplois. Ils concernent déjà 600 000 personnes en France. C’est 10% du PIB. Par exemple, on sait que pour 10 000 tonnes de déchets, on crée un seul emploi si on les enfouit ; mais on en crée 550 si on les recycle et réutilise ! Les modèles coopératifs ou d’économie sociale et solidaire ne sont pas nouveaux. Les SCOP ont connu un boom dans les années 70, elles ont fait preuve de résilience pendant toutes les crises. Dans cette économie, l’argent n’est plus une finalité, mais un moyen.
Pour chaque personne interviewée dans votre livre, vous indiquez sa formation, son parcours, son salaire, et si le métier exercé est source de bonheur. Le bonheur est-il essentiel chez toutes celles et ceux que vous rencontrés ?
Oui, c’est un fil conducteur pour eux. Ce ne sont pas des métiers qui « ronronnent » : ils se donnent à fond et n’ont pas le temps de s’ennuyer ! Ils s’y sentent pleinement vivants et ne les renieraient pour rien au monde. Ils me disent tous avoir dépassé les blocages des salaires, des questions de leur entourage. Ils sont gagnants quoiqu’il arrive.
N’est-ce pas une réflexion qui n’est possible que pour une petite partie privilégiée de la population ?
Une majorité continue à surconsommer, mais y aurait-il autant d’éco-anxiété et de ras-le-bol, si cette remise en question n’effleurait pas l’esprit des gens ? Donner à voir ces parcours, c’est créer de l’enthousiasme car tous les âges, toutes les compétences, sur tous les territoires sont concernés. Il ne faut pas croire qu’elle est réservée à une élite quelconque.
Depuis cinq ans et le discours de Clément Choisne à Centrale Nantes, certains diplômés des Grandes écoles se retournent contre le système que leurs parents ont connu. Cette prise de conscience est-elle encourageante ?
Oui, mais encore une fois on se rend compte que le changement repose sur les épaules des citoyens. Tant qu’on n’aura pas d’ouverture de nouvelles filières, les jeunes continueront à s’angoisser sur Parcoursup. Heureusement, des écoles d’un nouveau genre comme Être, Ecologica, ou l’Institut Transitions remplissent leurs promotions. Les grandes écoles s’y mettent aussi. Un appel d’air se crée. Arthur Gosset, réalisateur du documentaire Ruptures, rencontré pour le livre, rappelle que pour les jeunes diplômés, « la réussite, c’est de contribuer autant que possible au bien commun ». L’orientation est une étape clef, un vrai levier pour que des centaines de milliers de jeunes ne s’enferment plus dans des voies qui nous portent déjà préjudice. Cela donne envie de se former le plus vite possible et être employable rapidement.
La plupart des salaires évoqués sont relativement bas. Un permaculteur, maître composteur ou biologiste marin ont même souvent des statuts associatifs. Pensez-vous qu’ils motiveront les jeunes étudiants ou candidats à la reconversion ?
On vit une période de schizophrénie, c’est sûr. Mais la question centrale c’est : que veut-on faire de nos vies ? Viser un confort imposé par des décennies de consumérisme débridé qui nous a fait croire que notre bonheur dépendait de la possession ? L’alternative n’est-elle pas plutôt de se demander avec quel salaire on peut vivre, sans rogner sur ses convictions ?
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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