« Dormir moins pour réussir plus » : les boss pioncent-ils aussi peu qu’on le croit ?
18 mars 2024
5min
De Gabriel Attal à Tim Cook, les récits glorifiant les nuits écourtées des grands dirigeants pullulent. D’où provient cette étrange construction sociale qui valorise le « dormir moins pour réussir plus », pourtant décrié par les experts de la santé ?
Dans l’inconscient collectif, l’entrepreneur dort peu. Mais est-ce (vraiment) constitutif de sa biologie ? Ne serait-ce pas plutôt la pression du métier qui, insidieusement, le pousse à faire l’impasse sur l’étreinte nécessaire avec Morphée ? Existe-t-il réellement un lien tangible entre le manque de sommeil et la réussite entrepreneuriale ?
Sommeil : démêlons le vrai des croyances !
Selon María Angélica Barrero Guinand, psychologue d’orientation cognitivo-comportementale au sein de I feel, il existe beaucoup de fabulations sur le sommeil qu’il est urgent de déconstruire : « Différentes études convergent vers une moyenne : si cela évolue en fonction de l’âge, nous aurions besoin d’entre 7 et 9 heures de sommeil par nuit pour avoir une bonne santé mentale et un système immunitaire opérant ». L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) corrobore : les individus dorment en moyenne 7 à 8 heures, mais cette durée peut varier, pour certains, de 4 à 6 heures et, pour d’autres, de 9 à 10 heures, voire davantage. À ce titre, l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) (INSV) alerte sur le fait que les dirigeants – globalement les catégories socioprofessionnelles supérieures, dont les professions intellectuelles supérieures – sont particulièrement en dette chronique de sommeil. Cependant, personne ne peut aller à l’encontre de sa biologie indéfiniment. Autrement dit : « piloter » son sommeil, comme une stratégie de vente, serait impossible voire néfaste selon Chelsie Rohrscheib, neuroscientifique, dans The Conversation : « Contrairement à la croyance populaire, les personnes pour lesquelles dormir moins de six heures par nuit est suffisant sont extrêmement rares. Ceux qui affirment être dans ce cas sont presque toujours en situation de manque chronique de sommeil ».
Il s’agirait donc d’une construction sociale, glorifiée par la culture entrepreneuriale, en contradiction avec le bon sens, d’après Anaïs Roux, Head of Care chez Teale : « Ces injonctions défendent certaines habitudes dans le but de légitimer des façons d’agir qui sont d’ailleurs très cycliques ». À titre d’exemple, des variantes ont vu le jour avec le fameux « Miracle Morning ». Cette discipline matinale a été inventée par Hal Elrod, auteur du best-seller éponyme vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. Il y propose une méthodologie structurée sur l’acronyme SAVERS pour Silence, Affirmations, Visualisation, Exercice, Lecture et Scribing (écriture). L’idée est de se lever plus tôt, dès 4 h du matin pour les plus motivés, afin de pratiquer ces six activités visant à améliorer son bien-être et surtout, sa productivité. Le patron d’Apple, Tim Cook, pratique cette routine. Il éteint la lumière à 21 h 30 et se réveille à 4 h et demie. Tout comme Jeff Bezos (patron d’Amazon) qui est debout à 5 h !
Moduler son sommeil : un pacte dangereux et (surtout) contre-productif
En décidant de moins dormir pour travailler plus, les dirigeants pensent gagner du temps dans leur activité. Or, ces comportements à court terme créent des conditions préjudiciables pour eux et leur entourage, pouvant les mener à leurs propres échecs. « On l’oublie, mais chacun a besoin d’un rythme pour équilibrer son fonctionnement psychique et physique. Sinon cela peut mener à des accidents plus ou moins graves », alerte María Angélica Barrero Guinand. Anaïs Roux confirme : « Un petit nombre d’entre nous peut fonctionner avec moins de 6 heures de sommeil… Mais il faut être vigilant vis-à-vis de nos fonctionnements sur la durée. Si l’on remarque des variations de l’humeur, un besoin accru de caféine ou des capacités cognitives amoindries ou aléatoires, ce sont autant de signaux qui doivent nous alerter sur un problème lié au sommeil ».
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Dormir peu : des conséquences individuelles et collectives à connaître
Humeur, santé et accidents : quels impacts individuels ?
Les nuits de moins de 6 heures augmentent le risque de diabète de type II de 28 %, selon une étude américaine citée par la Fondation pour la recherche médicale. De même, les risques de maladies cardiovasculaires, d’infections, les troubles de l’humeur ou encore la dépression ont été mis en lien avec le manque de sommeil chronique. La liste n’est pas exhaustive puisqu’il peut aussi entraîner l’affaiblissement du système immunitaire, accélérer le vieillissement et favoriser les troubles psychiques (anxiété et accidents du travail) ainsi que cognitifs (déficit d’attention, trouble de l’humeur…) d’après Anaïs Roux. « La somnolence et les accidents augmentent également avec la diminution de la vigilance. De même, les émotions sont mises à mal : on devient plus irascible et irritable. Il faut aussi avoir conscience que la mémoire est moins performante, ce qui signifie que les prises de décision peuvent être moins pertinentes, tout comme la créativité », ajoute María Angélica Barrero Guinan.
Attention aux conséquences sur les équipes !
Quelque 238 dirigeants de PME ont été observés durant trois mois. La durée de leur temps de sommeil en semaine, pendant le week-end, ou en vacances a été étudiée. L’étude confirme ce qui a été démontré précédemment : 54 % d’entre eux sont dans un état de somnolence avéré voire sévère. L’impact sur leur quotidien ? Une baisse de la vigilance entrepreneuriale, un management approximatif parfois ponctué de sautes d’humeur, et des prises de décisions erronées. Ainsi, l’effet papillon sur les équipes et l’entreprise n’est pas neutre. Ces comportements ajoutent du stress, potentiellement une ambiance tendue et une culture interne toxique. Tout ceci, au final, mène à un échec collectif. « La clé, comme pour beaucoup de sujets au sein des équipes, est d’accepter les diversités de fonctionnement : le sommeil en fait partie », insiste Anaïs Roux.
Routine sommeil : 7 conseils pour sanctuariser le repos du dirigeant
Une étude britannique a analysé le sommeil de 21 leaders politiques et chefs d’entreprises. Contrairement à la légende, ils ou elles dorment généralement autant que les autres. Seuls certains individus atypiques peuvent opérer « normalement » en dormant moins de six heures. C’était le cas du Premier ministre britannique Winston Churchill qui ne dormait que cinq heures. Idem pour Margaret Thatcher qui ne s’accordait que 4 heures de sommeil. Quant à Barack Obama, il se contente de six heures de repos. Ces exceptions mises de côté, les psychologues sont unanimes et préconisent la mise en place de rituels pour favoriser une durée de sommeil optimale. Voici un faisceau de recommandations à doser en fonction du rythme naturel de chacun et chacune, selon Anaïs Roux et María Angélica Barrero Guinan.
Conseil n°1 – Environnement et hygiène de vie
- Aménager une chambre calme et sombre, loin des bruits extérieurs.
- Contrôler la température pour qu’elle soit plutôt fraîche la nuit.
Conseil n°2 – Horaires réguliers
- Établir des horaires fixes pour se coucher et se lever, même le week-end !
- Éviter de compenser le manque de sommeil le week-end, car cela perturbe le rythme circadien.
Conseil n°3 – Rituel de coucher
- Marquer le moment du coucher en diminuant la luminosité.
- Éviter les activités stimulantes comme regarder la télévision ou écouter de la musique dans la chambre.
Conseil n°4 – Gare au forcing
- Limiter le temps passé éveillé au lit car la chambre est principalement dédiée au sommeil et le cerveau doit le comprendre ainsi.
- Éloigner les appareils électroniques, notamment les téléphones, pour réduire l’exposition à la lumière bleue et les stimulations du monde extérieur.
Conseil n°5 – Habitudes avant le coucher
- Éviter les boissons stimulantes comme le thé, le café et l’alcool.
- Privilégier la lecture d’un livre relaxant pour favoriser l’endormissement.
- Créer une atmosphère propice à la relaxation avec des lumières douces.
Conseil n°6 – Activité physique
- Faire du sport pendant la journée, mais éviter de s’entraîner dans l’heure précédant le coucher
Conseil n°7 – Rythme naturel
- Observer son besoin naturel de sommeil en prenant une journée sans contraintes pour déterminer son propre quota d’heure de sommeil.
Article écrit par Laure Girardot, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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