Faire face à la critique : la nouvelle compétence indispensable du manager ?
02 mai 2024
5min
En 2024, la fonction managériale englobe bien plus que la simple gestion d'une équipe. Elle implique désormais une grande responsabilité et des attentes élevées, cristallisant parfois des critiques acerbes. La capacité à gérer ces pressions et à y faire face constitue-t-elle une nouvelle compétence indispensable à un poste de plus en plus complexe ?
Indéniablement, le rôle de manager occupe une place centrale au sein des organisations. Cependant, la position de leadership n’est pas exempte de défis. Les managers se retrouvent souvent sous le feu des critiques, soumis à des pressions multiples et parfois contradictoires. Selon Luc Bretones, expert en nouvelles gouvernances, ces dernières années témoignent d’une montée en puissance des prérogatives du manager : « Ses domaines d’intervention se sont diversifiés et complexifiés, englobant la supervision de divers aspects tels que le fonctionnement de l’équipe, la qualité de vie au travail, les initiatives environnementales, l’innovation et la gestion des problèmes RH. De plus, il est également redevable envers sa hiérarchie. Quelles que soient les circonstances, la responsabilité lui incombe ! » Cette charge de travail intense se traduit par un taux élevé de burn-out et d’absentéisme : près de 53 % des managers ont été contraints de prendre un congé maladie en 2023.
Cette réalité est confirmée par Alexis Eve, coach de manager et psychologue du travail : « Quel que soit leur niveau hiérarchique, les managers sont considérés comme les gardiens du succès de leur équipe, chargés d’améliorer durablement les performances. Leur rôle est double : ils doivent à la fois cultiver des relations interpersonnelles harmonieuses et garantir des résultats tangibles. De surcroît, leur position les expose davantage : chaque parole et action est scrutée avec attention. Le moindre faux pas est rapidement amplifié. » Leur capacité à accueillir ces retours de multiples natures devient alors une aptitude inhérente à leur position. À l’aune de sa propre expérience, Jérémy Trenteseaux, mid-market director chez CoachHub corrobore : « Je suis devenu manager d’équipe après avoir été contributeur individuel. Au départ, j’ai ressenti pas mal de critiques de la part de mes anciens pairs. C’est normal puisque l’on “passe de l’autre côté”, sous-entendu, “tu défends la direction maintenant”. C’est très classique, mais on ressent une grande solitude et pas mal d’incompréhension. » Comment muscler sa capacité à gérer les critiques ? Quels rituels mettre en place pour canaliser ces reproches, afin d’en faire des outils d’amélioration managériale ?
Gérer la critique : la nouvelle compétence phare du manager ?
Si l’on revient à son étymologie, le mot critique dérive du grec, « discerner », autrement dit l’art de percevoir la valeur des personnes ou des choses. Il s’agit de poser les limites d’une pensée ou d’une action, afin d’en montrer les contradictions pour la faire progresser. Alors pourquoi est-ce si difficile d’accueillir les critiques ? « Il existe une distinction sémantique fondamentale : la critique est souvent faite pour extérioriser un point qui agace, c’est assez égoïste de la part de l’émetteur. Le feedback, au contraire, est constructif puisqu’il tend à faire progresser l’autre… quand il est bien mené », souligne Alexis Eve. L’autre dimension à prendre en compte est la nature même de la relation manager-managé : « Le management n’est pas le prolongement de la vie relationnelle privée. Puisque la notion de hiérarchie entre en ligne de compte, les interactions ne peuvent pas être de même nature. De plus, il existe une forme d’asymétrie interpersonnelle tacite : on demande toujours plus au manager dans la création et le maintien d’une dynamique de travail harmonieuse. »
Face à ce constat, il est important de maîtriser quelques techniques pour adopter la bonne posture. « Je les nomme les chorégraphies managériales qui ont vocation à maintenir une distance émotionnelle et à dépassionner les échanges. Par exemple, pour recadrer un collaborateur, on va devoir utiliser la Communication Non Violente (CNV) ou pour canaliser les critiques, on va s’appuyer sur le Radical Candor. Cela permet de muscler la capacité individuelle à recevoir des critiques », poursuit Alexis Eve. Faisant écho à cette posture, Luc Bretones revient sur sa propre expérience de manager : « Lorsque je gérais une équipe de 350 personnes dans un service après-vente en téléphonie, les critiques envers moi et mes équipes étaient monnaie courante. Ma vision était la suivante : là où il y a de la critique, il y a de l’amour. Les personnes veulent simplement être écoutées. » Le but, pour un manager, est de s’en tenir à une approche, voire une philosophie, quasi stoïcienne : ne pas prendre personnellement les critiques qui ne dépendent pas de soi, en essayant d’y voir des opportunités de progression. Une noble quête en théorie. Mais comment y parvenir dans les interactions professionnelles quotidiennes ?
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Critiques : 3 pistes pour en faire des catalyseurs de performance managériale
Piste n°1 : la matrice d’Eisenhower
La matrice d’Eisenhower, selon Luc Bretones, est un outil essentiel pour aider les managers à filtrer les critiques de manière efficace : « Ça leur permet de faire le tri et de mettre à distance ce qui n’est ni important ni urgent, ou au contraire, prioriser l’urgent. » Cette méthode, développée par le président américain Dwight D. Eisenhower lui-même, est un système de gestion du temps et des priorités qui permet de classer les tâches et les problèmes en fonction de leur urgence et de leur importance.
Ainsi, pour accueillir et gérer les critiques de manière efficace, un manager peut évaluer rapidement la pertinence et l’urgence de chaque critique :
- Celles qui sont importantes et urgentes : nécessitent une attention immédiate et doivent être traitées en priorité.
- Celles qui sont importantes mais pas urgentes : peuvent être planifiées pour être abordées à un moment plus opportun.
- Celles qui ne sont ni importantes ni urgentes : peuvent être mises de côté ou déléguées.
« Les managers détiennent ainsi une clé de lecture pour rationaliser leur processus de prise de décision et s’assurer de consacrer leurs efforts aux aspects les plus importants de leur travail », poursuit notre expert.
Piste n°2 : les cercles d’influence de Steven Covey
« L’autre difficulté pour un manager est de faire un tri pour identifier si les critiques relèvent de son fait, de l’organisation ou encore d’une conjoncture socio-économique. Pour cela, il peut utiliser le Cercle de Covey qui permet d’agir sur les sujets sur lesquels il a la main », explique Luc Bretones. Ce modèle, popularisé par l’auteur américain Stephen Covey dans les années 1980, s’appuie sur deux cercles concentriques : le cercle d’influence et le cercle de préoccupation.
Dans le contexte de la gestion des critiques :
- Le cercle d’influence représente ce sur quoi le manager a un contrôle direct : cela comprend sa propre réaction aux critiques, ses actions pour résoudre les problèmes soulevés, et sa capacité à apporter des changements concrets. En se concentrant sur ce qu’ils peuvent influencer, les managers peuvent adopter une approche proactive pour aborder les critiques et mettre en œuvre des solutions.
- Le cercle de préoccupation englobe les aspects sur lesquels la personne n’a pas de contrôle direct : tels que les opinions des autres ou les circonstances externes. « Les managers doivent se concentrer sur leur cercle d’influence plutôt que de s’épuiser à se préoccuper de sujets sur lesquels ils ne peuvent pas agir directement », poursuit-il.
Cette approche systémique permet de rester concentrés, efficaces et résilients face aux critiques et aux défis rencontrés dans leur rôle de manager.
Piste n°3 : la culture du feedback
D’un point de vue plus organisationnel et culturel, la mise en place du feedback reste un catalyseur essentiel pour transposer les critiques en retours constructifs. « Recevoir du feedback peut souvent être une expérience difficile, mais c’est une étape cruciale pour tout manager souhaitant progresser et s’améliorer. Pour développer cette capacité, pas de secret, il faut “manger des kilomètres de feedback” », souligne Alexis Eve. Lors des points de suivi individuel, le manager peut consacrer un temps d’échange avec son collaborateur pour l’interroger sur ses actions managériales : que doit-il poursuivre ? Que doit-il faire différemment pour être un meilleur leader ? « Cela ouvre la porte à des suggestions d’amélioration et déplace d’emblée la critique vers un échange plus constructif et productif. »
Il est également important de sensibiliser les équipes à la méthodologie du feedback et de les encourager à exprimer ouvertement leurs opinions de manière constructive. « Pour instaurer une culture du feedback durable, il est utile de commencer par ces points en one-to-one, puis par des petits groupes avant de l’étendre à l’ensemble de l’équipe via des rétrospectives collectives par exemple. Cela permet de créer un environnement plus sécurisé, où les membres se sentent à l’aise », conclut notre expert.
Outre cette trilogie d’outils individuels et collectifs, les deux experts du Lab ont souligné un point nodal : le soutien relationnel tiers auprès du manager. Qu’il s’agisse de coaching, de codéveloppement, de mentoring ou encore de l’écoute d’un tiers, l’objectif est de favoriser la distanciation émotionnelle pour maintenir cet accueil nécessaire de la critique, comme nous y exhorte Confucius : « Lorsque nous refusons la critique, nous refusons le conseil. »
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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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