Les politiques, des managers comme les autres ? Entretien avec Jean Massiet

29 mars 2022 - mis à jour le 01 mars 2022

7min

Les politiques, des managers comme les autres ? Entretien avec Jean Massiet
auteur.e
Ariane Picoche

Journaliste et responsable de la rubrique Decision Makers @ Welcome to the Jungle

contributeur.e

Quels points communs entre Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg ? On a posé la question à Jean Massiet, chroniqueur et vulgarisateur politique.

Politique et entreprise ont des airs de famille. Conviction, sincérité, communication, horizontalité… Reflets de leur temps, les modes et les codes de ces secteurs se font écho. Pour autant, les hommes et les femmes d’État sont-ils des managers comme les autres ? Les dirigeants peuvent-ils s’inspirer du leadership d’Emmanuel Macron et consorts ? Afin de comprendre leurs pratiques et d’en tirer des leçons pour l’entreprise (ou pas), nous avons rencontré Jean Massiet, ancien collaborateur d’élu devenu chroniqueur et « live streamer » à succès sur la plateforme de diffusion Twitch. Spécialisé dans la vulgarisation de la politique, il est le créateur de la chaîne « Accropolis » et du talk show Backseat. Il connaît les dessous du pouvoir comme sa poche et appose un regard sans filtre sur ses bons et ses mauvais côtés.

C’est quoi un bon leader en politique ?

La définition du leadership fait elle-même débat. En démocratie parlementaire et représentative, on questionne le sens des mots et leur importance. À titre personnel, je dirais que c’est la capacité d’entrain, comme le DJ qui anime un dancefloor. C’est réussir à faire faire aux autres diverses tâches et missions qui vont dans le sens de ton projet.

Un responsable politique est-il comparable à un chef d’entreprise ?

J’ai une vision très restrictive de l’entreprise, je la vois comme un acteur économique qui vend des produits et des services. Selon moi, les politiques ne sont pas des chefs d’entreprise, mais certains sont des entrepreneurs de politique publique, notamment au niveau local. Les maires élus en 2020 travaillent depuis des mois sur des projets d’investissement et des chantiers : ils ont rendez-vous avec des architectes, des banquiers, des financeurs, exactement comme des entrepreneurs. Ça peut aussi y ressembler au niveau ministériel. Les ministres visent la transformation de l’action publique. Ils sont dans une logique de capitaines qui viennent bouger une grosse administration immobile.

En embarquant des équipes autour d’un projet et en agissant comme des chefs d’orchestre, les candidats à la présidentielle n’ont-ils pas cette fibre entrepreneuriale ?

Oui et non, parce que la structure autour de toi est aussi importante que toi. Le cliché de l’entrepreneur qui a réussi tout seul est déjà faux dans le business. Il l’est encore plus en politique. Souvent, il y a une organisation derrière le candidat, des gens qui l’ont choisi, des militants… Bien sûr, ça dépend des partis. Ce que tu dis colle davantage avec les nouveaux profils de politiciens, comme Emmanuel Macron ou Éric Zemmour, et dans une moindre mesure, avec Jean-Luc Mélenchon. Leur modus operandi : « Je n’ai pas de parti, mais j’ai une personnalité forte et médiatique, donc je crée un truc et tout le monde me rejoint ».

Aujourd’hui, le personal branding a entamé son règne – en politique et dans le monde du travail. Certains individus envahissent l’espace – médiatique – et les changements ne vont pas toujours à la même allure que leurs promesses car, comme tu l’as dit, les politiques et les managers sont la face émergée d’un système. Ce que l’on a tendance à oublier…

Je suis d’accord. D’autant que certains sont en partie responsables de ce phénomène. Ils promettent des évolutions radicales en deux mois ! Peut-être qu’ils se sentent capables de tout changer à eux seuls et très vite. Mais ce n’est pas vrai. Ça prendra forcément plus de temps, ce sera un effort collectif et ce sera difficile. Comme un projet d’entreprise, un projet politique se construit sur le long terme.

Emmanuel Macron est-il un startupeur de la politique ?

Il n’a de startupeur que l’emballage : la jeunesse et le discours de disruption. Parfois, par touches, il va réformer la haute fonction publique et mettre à plat les choses. Mais dans la pratique du pouvoir, il est d’un classicisme inouï. Il n’y a rien de révolutionnaire dans ses méthodes. Emmanuel Macron se prend pour un mec en jean / baskets, mais dirige comme un mec en costume / cravate. Idem, certains entrepreneurs ont des grands discours de disruption, mais dans leurs pratiques managériales, ils sont juste de beaux parleurs, de grands patrons en toc sortis d’HEC dans les années 80.

Toi qui as l’habitude de décrypter les stratégies et les personnalités des politiques, comment définirais-tu son leadership ?

Emmanuel Macron est un leader autoritaire et sûr de lui. C’est un Henry Ford, un Nikola Tesla. Ces dirigeants sont convaincus d’avoir raison. Ils managent comme s’ils avaient tout compris et que les autres étaient dans l’erreur. Voilà pourquoi Macron fait très peu de dialogue social. Il se fout des corps intermédiaires qui, selon lui, ont tort. Pareil pour le Parlement qu’il considère comme un conseil d’administration qui doit juste avaliser des décisions et ne pas poser trop de questions… Si tu es d’accord avec lui, tu le vois comme un génie. Dans le cas contraire, c’est un dictateur.

Que penses-tu de ses actions de communication, en particulier sa tentative de toucher un public plus jeune, d’utiliser des canaux différents comparé à ses prédécesseurs ?

Il n’a aucune compétence en communication. Ce n’est pas son truc et ce n’est pas grave. Du coup, il fait confiance à des professionnels issus de grandes agences comme Havas. Ça se voit, ça se sent, c’est bien conçu, ça fait de belles opérations. Sauf que le plan de com’ a été ultra préparé en réunion sur un PowerPoint. Et c’est très insincère, pas spontané du tout, vraiment cliché. En communication numérique, le seul moment où Macron a fait un truc bien, c’est quand il a chopé le Covid, qu’il a pris son téléphone et fait des selfies en parlant de sa réalité. Mine de rien, ça fendait un peu l’armure. Il était seul chez lui, avec son col roulé et son nez bouché, à paresser… Ce n’était pas incroyable, mais c’était honnête.

En France, miser sur la sincérité et la transparence est dans l’air du temps. Au boulot, ces notions ont d’ailleurs intégré le champ de la marque employeur. C’est parti pour durer ?

La démocratie est en train de muter vers un nouveau modèle, qui infuse toutes les strates de la société. Pour faire simple, avant, c’était la démocratie représentative à la papa, où il fallait être beau, propre, bien présenter et avoir vingt sur vingt tout le temps. C’était l’époque où les médias étaient verticaux. Il suffisait de s’exprimer pour dire aux gens à quel point tu avais tout compris et tu gagnais. Depuis les Printemps arabes, la démocratie se dirige de plus en plus, en Europe du moins, vers des modèles d’implication et de participation citoyenne qui appellent à l’horizontalité de la pratique – principe que l’on retrouve dans l’entreprise. Ça demande de se mettre autour d’une table, de débattre, de délibérer. En tout cas, les citoyens comme les salariés ont envie d’exercer le pouvoir, que l’on respecte leurs volontés. En termes de communication, ça implique effectivement de la sincérité, de l’honnêteté et de la transparence. Inutile de se la péter et de se mettre sur une estrade avec un costume / cravate. Mieux vaut être fidèle à soi-même et parler franchement pour toucher tout le monde.

En politique ou en entreprise, l’empathie est-elle compatible avec le leadership ?

Bien sûr ! Je suis contre le cynisme ambiant. Je suis convaincu de la sincérité et de la bonne volonté des politiques, je les prends au sérieux. On entend souvent dire qu’ils ne sont que des êtres de pouvoir et d’intrigue. Je n’y crois pas. Le drame de ce milieu, c’est qu’il est interdit d’exprimer ses failles. Tu n’as pas le droit d’avoir des doutes, tu dois avoir des certitudes ; tu n’as pas le droit de poser des questions, tu dois avoir des réponses. En réalité, il y a plein de sénateurs, de députés, de maires, etc., qui sont des personnes authentiques qui aiment les gens, ont envie de bien faire, s’interrogent, hésitent, galèrent et persistent… On en attend parfois trop d’eux, comme des managers, qui ne sont pourtant pas surhumains.

Dans le business, certaines femmes qui assument de grandes responsabilités sont perçues comme très autoritaires : on dit qu’elles miment et exacerbent des comportements masculins. Qu’en penses-tu ? Retrouve-t-on ce discours en politique ?

Ça correspond à une certaine génération de politiciennes, même si aujourd’hui, la plupart se sont battues en assumant d’imposer une autre manière de faire. En politique, le regard que l’on porte sur les femmes est masculiniste. On a tellement pris l’habitude d’associer cet univers aux hommes pendant des siècles voire des millénaires, que l’on va taxer d’autoritaire une femme qui ne fait rien d’autre que d’avoir du courage. C’est l’archétype d’Anne Hidalgo. Certains la disent stricte. Ils n’ont pas connu Bertrand Delanoë ! Ou alors je ne sais pas comment ils parlaient de lui, parce qu’Anne Hidalgo est beaucoup plus douce. En fait, un homme qui pique des colères, « c’est formidable, c’est normal même : c’est du leadership ». Et une femme, « oh là là, elle n’a pas toute sa tête, elle est hystérique et autoritaire, elle en fait trop ». Moi, je veux que les femmes aient les défauts des hommes. Je n’attends pas qu’elles soient meilleures, en politique ou ailleurs. Pour l’instant, elles sont à 200 % de leurs capacités quand on tolère que leurs homologues masculins restent à 60 %. D’ailleurs, tu as remarqué qu’il n’y a aucune femme qui détourne des fonds publics ou planque de l’argent en Suisse ? Elles sont irréprochables, elles n’ont pas le choix : c’est la condition pour faire carrière.

Quelles pratiques politiques pourraient inspirer les dirigeants ?

La conviction. Elle permet de bouger des montagnes. Quand ils croient à ce qu’ils font, les politiques sont capables de changer les choses. Ceux qui font semblant n’arrivent à rien ; ce sont au mieux des gestionnaires. Donc je dirais aux entrepreneurs : « Soyez le premier client de vos produits ». Tu ne peux pas affirmer : « Ma boîte va changer le monde et mon produit change les gens », si tu ne l’utilises pas déjà au quotidien. La clé c’est la cohérence. Les entrepreneurs qui font semblant d’avoir des RSE ou des labels de ce genre, alors qu’ils se répartissent les bénéfices en dividendes chaque année tout en tenant un simili discours de gauche, ça finit par se retourner contre eux. Je mets ça sur le même plan que les politiques qui valorisent leur engagement social et qui derrière font de l’optimisation fiscale. Ce qui vous dégoûte chez les politiques vous dégoûte chez les dirigeants.


Article écrit par Ariane Picoche, édité par Héloïse De Montety, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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