Pourquoi la taille du service RH compte dans le sentiment d'appartenance ?

07 nov. 2018

11min

Pourquoi la taille du service RH compte dans le sentiment d'appartenance ?
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Qui sont les enfants du millénaire ?

« Enfants du millénaire » : qui n’a pas entendu prononcer cette expression de plus en plus utilisée, et tout particulièrement aux États-Unis (Millenials) ? Il s’agit de la cohorte démographique des 18-34 ans dont l’appellation est devenue un phénomène de mode ces dernières années. Mais que voulons-nous exactement exprimer lorsque nous disons qu’une personne est un « enfant du millénaire » ? Même si les définitions sont très variables, les enfants du millénaire présentent souvent deux traits de caractères bien particuliers, et qui se renforcent l’un l’autre : une maîtrise des nouvelles technologies accompagnée d’une opinion politique libérale. Une autre caractéristique commune aux enfants du millénaire est leur statut de principaux témoins de la crise financière mondiale de 2008, un évènement historique qui a défini leurs attentes vis-à-vis de l’avenir et leur ardeur de défier le statu quo. Qu’obtenons-nous lorsque nous versons tous ces ingrédients dans un mixeur ? Une génération d’idéalistes maîtrisant les nouvelles technologies pour qui faire le bien dans le monde en aidant autrui et en protégeant l’environnement est aussi important que d’atteindre individuellement ses objectifs professionnels.

Les enfants du millénaire ruent dans les brancards

Ils représenteront 75% de la population active d’ici 2030, un chiffre impressionnant quel que soit notre point de vue. Bien de commentateurs spéculent désormais sur la façon dont ces jeunes employés se rebelleront contre la structure rigide des entreprises traditionnelles. Les start-up semblent être le type d’entreprises qui attireront le plus ces jeunes esprits brillants, mais que dire des entreprises plus traditionnelles ? Sont-elles suffisamment préparées pour intégrer ces bien-pensants libéraux à la pointe de la technologie lorsqu’ils viendront inonder le marché du travail ?

Les nombreuses publications sur ce sujet mettent surtout l’accent sur l’aspect technologique du débat. Le principal argument avancé est que les entreprises doivent mettre à jour leur infrastructure technologique afin de mieux répondre aux besoins des enfants du millénaire, car leurs modes de vie sont profondément entremêlés - et déterminés par - les nouvelles technologies et qui ne peuvent ni ne pourront tolérer le maintien des anciens systèmes. Il est aussi à l’ordre du jour d’adapter la culture d’entreprise pour qu’elle soit davantage en harmonie avec la façon d’être et de penser des travailleurs du millénaire. Il s’agit là d’une tendance qui gagne rapidement du terrain au moment où nous assistons à la disparition des hiérarchies traditionnelles et des anciennes chaînes de commandement de type militaire. Dans une certaine mesure, les entreprises se sont déjà mises à l’ordre du jour : les start-up poussent comme des champignons. Chaque année, des centaines de millions voient le jour et la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) fait l’objet d’un véritable matraquage publicitaire.

« La moitié des effectifs des entreprises actuelles ont déclaré être prêts à accepter de se voir appliquer une réduction de leur salaire de 15% pour travailler pour une entreprise qui s’évertue à changer le monde positivement. »

Ce dont on parle moins souvent, toutefois, c’est de l’opinion des services des RH : quels sont les défis auxquels ils sont confrontés, et comment devraient-ils revoir leurs processus de recrutement pour mieux satisfaire les besoins d’une main d’œuvre en pleine évolution ? Les professionnels des ressources humaines sont-ils une espèce en voie d’extinction, ou peuvent-ils évoluer pour survivre ?

Les temps changent

La priorité quotidienne de tout service des RH avant-gardiste devrait être de rendre leur entreprise attrayante aux yeux des enfants du millénaire. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire. L’embauche des enfants du millénaire est un domaine relativement nouveau. Sur ce territoire encore inexploré, il est fondamental de comprendre comment procéder pour attirer les enfants du millénaire. Pour ce faire, les entreprises doivent trouver des idées novatrices. Les services des RH doivent abandonner les méthodes traditionnelles d’incitations financières et adopter une toute nouvelle gamme d’incitations en tout genre. Ce n’est pas que les enfants du millénaire soit trop idéalistes pour ne pas avoir l’ambition de gagner aussi de l’argent ; ceci est plutôt une définition « cliché » des enfants du millénaire qui a été mise au défi par un rapport publié cette année qui suggère que les derniers évènements tels que les élections aux États-Unis, le vote du Brexit et les attaques terroristes de plus en plus fréquentes ont considérablement sapé le moral de cette génération. Cela veut dire simplement que les incitations financières ne sont plus le seul facteur motivant la plupart des travailleurs de cette génération.

Alors quelles sont les autres incitations que les professionnels des RH devraient mettre en œuvre ? Pour les débutants, il s’agit des « valeurs ». Selon un sondage mené par Deloitte, 47% des enfants du millénaire affirment que « la raison d’être des entreprises est d’améliorer la société et de protéger l’environnement ». La moitié des effectifs des entreprises actuelles ont déclaré être prêts à accepter de se voir appliquer une réduction de leur salaire de 15 % pour avoir le privilège de travailler pour une entreprise qui s’évertue à changer le monde positivement. Bien sûr, ces chiffres doivent être pris avec des gants, tout particulièrement parce que le besoin de sécurité de l’emploi et de stabilité financière a augmenté suite à la récession de 2008. Ils restent néanmoins les indicateurs d’une tendance qui est susceptible d’aller crescendo lorsque les travailleurs les plus âgés partiront à la retraite et que de plus en plus de travailleurs de cette génération seront intégrés dans les entreprises.

Entre autres facteurs appréciés, le désir de pouvoir accéder à des horaires flexibles, à une culture du travail créative, à une « énergie positive » et à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour certains enfants du millénaire, le choix de l’entreprise peut être guidé par des raisons esthétiques, par exemple le design du bureau et même par le style vestimentaire des collègues. Les services des RH doivent prendre ces facteurs en considération lorsqu’ils élaborent leurs stratégies de recrutement.

Ils veulent appartenir à ce que Reid Hoffman, co-fondateur de LinkedIn, appelle une « tribu ». Ce n’est pas seulement une entreprise, mais une communauté d’âmes sœurs. En se montrant à l’écoute de ce besoin et en utilisant les indicateurs pour segmenter plus efficacement leur effectifs, les services des RH peuvent faire que leur entreprise se démarque des autres pour attirer ces jeunes esprits brillants.

Remarquez que jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ces aspects n’étaient pas pris en compte par les services des RH ni par les employés dans le cadre des processus de recrutement. En fait, pour les enfants du millénaire, certains des facteurs les plus importants sont généralement associés aux sous-cultures, mais c’est là précisément l’enjeu : ce que cette génération semble vouloir, par-dessus tout, c’est de pouvoir s’identifier avec leur entreprise tout en ayant la liberté d’exprimer leurs propres idées et de développer leur personnalité. Ils veulent appartenir à ce que Reid Hoffman, co-fondateur de LinkedIn, appelle une « tribu ». Ce n’est pas seulement une entreprise, mais une communauté d’âmes sœurs. En se montrant à l’écoute de ce besoin et en utilisant les indicateurs pour segmenter plus efficacement leur effectifs, les services des RH peuvent faire que leur entreprise se démarque des autres pour attirer ces jeunes esprits brillants.

En même temps, les recruteurs doivent se garder de « vendre du rêve ». Chez les enfants du millénaire, il y a un gouffre entre perception et réalité. Il est par conséquent aussi important de vendre des attentes réalistes pour éviter de les décevoir que de communiquer les valeurs de l’entreprise. Si les entreprises veulent continuer à attirer les enfants du millénaire, elles doivent comparer ce que « vendent » leurs recruteurs avec la réalité vécue par leurs employés. À cette fin, il est essentiel de concevoir et de mettre en œuvre un système de collecte des opinions des employés dont les résultats font l’objet de révisions régulières.

Créer progressivement le sentiment d’appartenance à une tribu

En fait, ce n’est là que la moitié de la tâche du service des RH, car les enfants du millénaire ont la réputation de « butiner de fleur en fleur ». Ils partiront s’ils ne sont pas convaincus de recevoir toute sorte d’avantages personnels ou d’opportunités de développement personnel. La question est donc de savoir comment les satisfaire pour les retenir à moyen et long terme. C’est là que la « tribu » entre en scène. Les professionnels des RH peuvent jouer un rôle fondamental dans la création du sentiment d’appartenance à une communauté et ils doivent veiller à ce que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle soit respecté. Pour y parvenir, ils doivent prêter attention à amoindrir le croissant chevauchement entre vie privée et vie professionnelle des travailleurs modernes. À cette fin, les entreprises peuvent apprendre de l’environnement des bureaux des start-ups qui offrent à leurs employés des services de crèche, un centre de fitness, des distributeurs de boissons et un centre des loisirs : pensez au cliché de la table de ping-pong. En fait, ces développements - s’ils sont quelque peu superficiels - sont un pas en avant dans la bonne direction. En essence, la création du « sentiment d’appartenance à une tribu » inclut le travail en étroite collaboration avec les cadres. Après tout, le chef de demain sera tout aussi coach que décisionnaire. Les services des RH peuvent jouer un rôle fondamental dans la stimulation des cadres à adopter comme stratégie un rôle de parrain.

Pour ce qui est des politiques concrètes de RH, pour satisfaire les enfants du millénaire et créer un « sentiment d’appartenance à une tribu », il faut procéder différemment. Parfois, cela signifie simplement d’en faire moins, par exemple de remplacer le traditionnel bilan de performance de chaque employé, ce qui est très certainement la politique des RH la plus crainte et détestée - par un système de suivi ancré dans un dialogue constructif. Pendant des décennies, le bilan de performance a été un des principes de base des entreprises. Selon un récent sondage, seulement 1% des entreprises nord-américaines, sachant que la plupart d’entre elles sont des start-up ont éliminé le bilan de performance. C’est la raison pour laquelle l’élimination de ce bilan est encore considéré comme un changement radical ; les services des RH s’inquiètent que l’élimination du bilan de performance ne fragilise la base juridique sur laquelle s’appuient les licenciements pour cause de sous-performance des employés.

Et pourtant c’est exactement ce qu’a fait Tom DiDonato - directeur des RH de Lear Corporation - en remplaçant les bilans de performance par des entretiens trimestriels pendant lesquels les employés avaient l’occasion de se retrouver en tête à tête avec leur supérieur pour discuter de leur performance. Pour reprendre les mots de DiDonato :

« Nous pensons que les bilans de performance traditionnels ne motivaient pas les personnes. Pour encourager une haute performance, rien de mieux qu’une rétroaction honnête réellement entendue tant par les employés que par leurs supérieurs ».

Ces entretiens d’évaluation de la performance constituent une excellente opportunité pour discuter des difficultés qu’ils rencontrent et des compétences qu’ils doivent développer pour être plus efficaces d’un point de vue professionnel. La philosophie de DiDonato est tout à fait en harmonie avec le mantra des enfants du millénaire, d’ailleurs les publications qui vont dans le même sens sont de plus en plus nombreuses.

Une autre méthode à laquelle peuvent recourir les professionnels des ressources humaines consiste à tirer profit de la simplicité, c’est à dire en éliminant toute bureaucratie inutile pour mieux gérer les employés. Cela dit, cela n’est pas forcément une nouvelle idée : pendant bien longtemps, les RH rimaient avec bureaucratie inutile. Ce qui leur a valu une assez mauvaise réputation, dont l’apogée à été atteinte suite à la publication de l’article « Why we hate HR » (littéralement, Pourquoi nous détestons les RH), en 2005, devenu viral. Actuellement, une dizaine d’année plus tard, les services des RH ont radicalement réduit la bureaucratie. Ils ne sont plus aujourd’hui considérés comme des obstacles à la créativité. En fait, les services des RH se sont adaptés si rapidement que certains commencent à se demander si le concept même de la gestion des ressources humaines est vraiment nécessaire. Prenez, par exemple, le manifeste de Patty McCord, un écrit de 124 pages, que l’on qualifie souvent comme le « document le plus important à avoir jamais été élaboré dans la Silicon Valley », qui n’est rien d’autre qu’un plaidoyer pour une politique favorable à des services des RH rapides et à faibles effectifs, ayant comme objectifs l’identification et le développement des éléments constitutifs de la culture d’entreprise « tribale » qui leur permettent d’atteindre leur plein potentiel. Ironiquement, certains spéculent sur le fait que le système « révolutionnaire » mis en œuvre par McCord est finalement ce qui lui a coûté son poste. Il est donc possible que pour aller dans le sens d’une plus grande flexibilité pour les employés, moins de réglementations et moins de bureaucratie, il soit nécessaire de supprimer les services de RH.

La fin des services des RH ? Pas du tout.

Si la règle d’or semble aller de pair avec l’opinion selon laquelle il faut « tirer profit de la simplicité », alors le secret du succès serait-il de supprimer progressivement les services des RH ? Ce n’est pas du tout le point de vue de Robert Siegel, investisseur en capital-risque et conférencier spécialisé en comportement organisationnel auprès de la Stanford Graduate School of Business, qui s’oppose avec ardeur à cette idée. Dans son article intitulé « The best company culture is not where everyone gets a hug » (littéralement, La meilleure culture d’entreprise n’est pas celle qui récompense tout le monde), Siegel offre un contrepoids au modèle de start-up, de plus en plus en vogue, en critiquant l’idée selon laquelle les services des RH ont fait leur temps :

« (…) Les meilleures entreprises considèrent les professionnels des RH comme des cadres qui ont leur place à la table des négociations ».

Dans son interview vidéo donnée pour le Stanford GSB, Siegel résume parfaitement l’essence du débat RH contre Tribu en démontrant que ces deux concepts ne sont pas antagonistes. Il affirme que dans une entreprise en bonne santé, le service des RH apporte l’eau qui hydrate la « tribu » et lui permet de grandir. L’idée de base de Siegel, c’est que si une « tribu » puissante - qui réunit une langue commune, des objectifs et des relations communs - est essentielle pour le développement et la réussite de l’entreprise, elle a aussi une facette hideuse. Une entreprise peut vite devenir trop tribale, ce qui la pousserait à l’isolation, voire à la dérive sur une guerre tribale. C’est pourquoi vous devez avoir un bon service des RH pour imposer la discipline nécessaire tout en évitant la bureaucratie chaque fois que cela sera possible. Le service des RH jouera alors le rôle de « Chef du personnel », ce qui est la fonction la plus importante dans l’entreprise, puisqu’il gère son actif le plus précieux : son personnel.

Dans une ère où le dictat imposé par les enfants du millénaire et la culture des start-up nous propulse dans des structures rompant toutes les structures d’entreprises traditionnelles, Siegel affirme qu’une réforme radicale n’est pas toujours justifiée. Il ne s’agit pas de réinventer la roue : il faut plutôt que le développement de la tribu de votre entreprise soit guidé par les professionnels des RH qui sont des experts en meilleures pratiques et en coaching.

La taille des entreprises est une autre raison justifiant le maintien d’un service des RH solide. Ce n’est pas une coïncidence si ces exemples radicaux sont des aberrations : la plupart des grandes entreprises hésitent à suivre les tendances marquées par McCord et DiDonato. C’est parce qu’une réforme radicale est une idée séduisante qu’elle est plus difficile à mettre en œuvre lorsque votre entreprise devient de plus en plus grande. Alors que les processus deviennent de plus en plus complexes, il y a moins de chances d’essayer plusieurs politiques de RH. Sans mentionner que les conséquences d’une telle restructuration sont proportionnellement importantes à la taille des entreprises.

En bref, les entreprises sont confrontées à un avenir dans lequel les enfants du millénaire continueront à « rompre les structures traditionnelles des entreprises » en quête d’une « tribu ». Ce qui oblige donc les services des RH à adapter leurs processus de recrutement ainsi que leurs politiques du personnel. Même si nous surestimons actuellement la mesure dans laquelle la génération Y « ruera dans les brancards » à l’avenir, les services des RH traditionnels, tout particulièrement dans les plus grandes entreprises qui ne peuvent pas facilement mettre en œuvre le « modèle » des start-up, devront se réinventer eux-mêmes. La question que l’on se pose maintenant : à quelle vitesse ? Robert Siegel imagine la « tribu » comme une force positive, mais seulement si elle est guidée par des experts en RH.

Quoi qu’en disent les amateurs des nouvelles technologies ou les utopistes, il est fort peu probable que les services de RH soient véritablement en voie d’extinction. Mais les professionnels des RH doivent assumer la responsabilité de se voir donner une place privilégiée qui n’a pour autre finalité que de créer un sentiment d’appartenance à une tribu. Ce n’est qu’à ce moment-là que les entreprises pourront attirer et retenir les plus grands talents de demain, tout en forgeant une main d’œuvre plus heureuse, en meilleure santé et plus créative.

Le jeu en vaut bien la chandelle, non ?

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