Qualité de vie au travail : 5 conseils pour résister à la tentation du greatwashing
09 mai 2023
6min
Marque employeur alléchante, certifications de bien-être au travail dithyrambiques… Les entreprises sortent leurs meilleurs atouts pour recruter, quitte parfois à entrer en décalage avec la réalité. Nos experts Betsy Parayil-Pezard et Christophe Nguyen reviennent sur l’importance d’éviter l’écueil du greatwashing pour rester (vraiment) attractif à long terme.
Greatwashing, la solution de facilité en matière de QVT
Dénoncé dès 2019 dans La Tribune, sous les plumes de Jean-Christophe Vuattoux et Tarik Chakor, le greatwashing désigne le « découplage progressif entre réalités internes et affichage externe de la santé au travail par l’entreprise ». Un écho à la fameuse pratique du greenwashing - qui consiste à vanter les actions éco-responsables d’une entreprise malgré sa réalité polluante-, ainsi qu’à la certification Great Place to Work dont les classements mettent parfois en avant des entreprises aux pratiques décriées. « On entend beaucoup parler de ce phénomène, par analogie au greenwashing qui suggère lui aussi une forme de mensonge de l’entreprise quant au bien-fondé de sa parole et de ses engagements. Le happywashing ou greatwashing affiche à travers la marque employeur une belle image d’entreprise qui se soucie du bien-être de ses collaborateurs, quand l’expérience en interne est à l’inverse », ajoute à ce propos Christophe Nguyen, psychologue du travail et expert en risques psychosociaux.
Faire briller l’entreprise aux yeux des clients et des futurs collaborateurs quand l’intérieur n’est pas bien reluisant, voilà un chant qui peut paraître séduisant. Mais à bien des égards, il vaut mieux ne pas y céder. Car à force d’abuser de la poudre aux yeux, on s’attire la méfiance des candidats, tout en jouant un jeu dangereux avec les talents déjà intégrés à l’entreprise. « Avec les réseaux sociaux, les candidats se montrent plus méfiants vis-à-vis des entreprises, de peur qu’elles ne tiennent pas leur promesse. Les labels et certifications n’inspirent plus forcément confiance, poursuit le fondateur du cabinet Empreinte Humaine. Et en interne, le greatwashing a également un impact psychologique en créant une défiance qui met à mal la parole du top management. Parfois, la tension provoquée par ce décalage amène des conflits et des turnovers importants. »
À l’origine de ce décalage, le sujet épineux de la qualité de vie au travail, qui n’a pas toujours été traité avec les meilleures perspectives. « La question du bien-être au travail a été galvaudée avec beaucoup d’euphémismes, notamment par rapport aux problématiques liées aux stress et aux risques psychosociaux. En France et dans d’autres pays, on a eu tendance à beaucoup positiver sans traiter les sujets de fond qui sont complexes. On s’est trompé de route sur la manière de préserver la santé des salariés avec des approches un peu caricaturales », confie encore Christophe Nguyen.
Pour Betsy Parayil-Pezard, CEO de Connection Leadership et experte en transformation des entreprises, le greatwashing est aussi lié à un contexte culturel « Avec la responsabilité légale des entreprises, prendre soin de la santé physique et mentale des salariés, celles-ci cherchent à traiter au mieux cette obligation, mais c’est un projet complexe de créer un environnement de travail sain et bienveillant sans tomber dans l’écueil du concept de bonheur au travail. Ce dernier est issu d’autres cultures et peine à se faire une place en France où il a beaucoup été remis en question. »
Alors, comment (ré)agir contre le greatwashing ?
Finalement, et si l’erreur du greatwashing se nichait dans sa confusion entre environnement de travail sain et sentiment de bonheur ? En poussant le curseur de l’harmonieux vers celui de la joie, certaines entreprises sont sans doute allées un peu vite en besogne, faisant du plus l’ennemi du bien. Découvrez nos 5 conseils pour y remédier.
Conseil n°1 : Restez réaliste et aligné avec la vision des salariés
Comment valoriser son entreprise sans trop en faire ? Pour construire une marque employeur pertinente, l’essentiel est de sonner juste sans promettre monts et merveilles. « Dans la guerre de talents actuelle, une bonne réputation d’entreprise est importante pour être attractif, mais il ne faut pas avoir de messages infondés. Il est nécessaire de travailler activement à faire résonner les messages et les valeurs de l’entreprise avec le quotidien des collaborateurs », recommande Betsy Parayil-Pezard. Cet alignement s’obtient évidemment par beaucoup d’écoute vis-à -vis des collaborateurs. Du point de vue de Christophe Nguyen, « il est nécessaire de comprendre leurs besoins et leurs attentes. Le piège, c’est l’approche clientéliste où le candidat est vu comme un client à satisfaire, qui entretient un effet d’enfant gâté et gomme la dimension organisationnelle ».
Construire une vitrine authentique passe donc par la prise en compte de la perspective des collaborateurs : c’est grâce à eux que se construit la réflexion autour de l’entreprise et l’image communiquée. Quant à l’attractivité des offres d’emploi auprès des futurs candidats, il faut miser là encore sur leur adéquation par rapport au quotidien du poste. « Il est essentiel d’être pragmatique par rapport à la réalité du travail qu’on vend et ne pas l’enjoliver. Le greatwashing prend le risque d’un mauvais ciblage des candidats, mais un recrutement qui rend compte authentiquement du poste ne cherche pas à attirer le maximum de candidatures, seulement les plus qualifiées », explique encore le psychologue du travail. Rester factuel et précis sur l’intitulé du poste et ses missions permet de mieux cibler les talents qu’on souhaite recruter.
Conseil n°2 : Approfondissez la réflexion autour d’une stratégie long terme
Là où le greatwashing promeut des solutions instantanées, mais peu efficaces pour favoriser un environnement de travail sain et pérenne, la qualité de vie au travail se construit sur le long terme. Rien ne sert de se précipiter, au contraire : il faut s’armer de patience pour mieux répondre aux besoins profonds des collaborateurs. Betsy Parayil-Pezard préconise de prendre le temps, à contre-courant de l’accélération constante vécue dans le monde du travail. « Il faut s’intéresser à la zone de croissance et d’amélioration possible. En plus de l’écoute des collaborateurs, il faut aussi les inviter à réfléchir autour de la qualité de vie au travail pour cerner la racine des éventuels problèmes. Il est aussi nécessaire de les laisser approfondir leurs connaissances, avec des formations liées aux compétences de transformation de l’organisation. Et enfin, valoriser la création d’une culture d’entreprise qui est ancrée sur le long terme, et non uniquement sur les gains à court terme, permettra de créer de la résilience », considère-t-elle. Mieux vaut donc construire une qualité de vie au travail significative, plutôt que d’adopter des solutions décidées à la va-vite.
Conseil n°3 : Évaluez le problème et les solutions avec vos collaborateurs
Pour agir durablement et positivement sur la qualité de vie au travail, il est nécessaire d’impliquer les collaborateurs pour cibler les actions à mettre en place. « Leur participation est nécessaire pour construire efficacement des interventions avec un impact. On ne doit pas décider à leur place de leur besoin. Souvent ceux en première ligne ont de très bonnes idées sur ce qui sera le plus efficace », remarque Christophe Nguyen. Une fois la décision prise et l’action menée à bien, il est important de ne pas en rester là et mesurer l’impact sur le bien-être des collaborateurs. « Il faut continuer à se poser des questions : quels sont les indicateurs qui nous permettent de dire que l’action a marché ? On doit recueillir les impressions des destinataires, sans confondre satisfaction et réalisation de la qualité de vie au travail », poursuit-il. Les actions avec un impact momentané ou léger comme un apéro mensuel procurent une satisfaction de courte durée, tandis qu’une politique de droit à la déconnexion améliore concrètement et durablement la qualité de vie au travail. Le second est beaucoup plus important pour le fonctionnement de l’entreprise. « Évaluer l’impact des actions permet de comprendre ce qui est réellement prioritaire pour l’entreprise », conclut-il.
Conseil n°4 : Veillez au bon fonctionnement des outils et des process
Plutôt que de multiplier les week-ends en équipe et les corbeilles de fruits, il est judicieux de se pencher sur les basiques, à savoir les outils et process au cœur de l’organisation de l’entreprise. « Ce qui est mal vécu, c’est l’impossibilité de mener à bien ses projets ou ses objectifs à cause de process trop complexes ou d’outils technologiques qui ne fonctionnent pas comme prévu, et ne rendent pas le travail plus efficient », avance Betsy. Et oui, le vidéoprojecteur mal raccordé qui rallonge les réunions de dix minutes ou l’imprimante à court d’encre empoisonnent plus qu’on ne veut le voir la vie des salariés. « L’entreprise doit s’assurer que les outils de travail fonctionnent, avec des processus fluides, des objectifs clairs et un système d’amélioration en place quand les problèmes émergent, ce qui est tout à fait normal et inévitable. Tout ceci génère une satisfaction dans le travail et réduit les risques psychosociaux. Il s’agit de la base de la QVT, avant d’élaborer des systèmes de compensation », ajoute-t-elle. Pas besoin de chercher loin : les aspects les plus matériels du travail doivent être traités pour assurer sa qualité de vie.
Conseil n°5 : Nourrissez-vous de vos erreurs
Difficile de viser juste du premier coup. Plutôt que de vouloir à tout prix une réputation impeccable, les entreprises peuvent assumer leurs points faibles, sans que cela impacte forcément leur image de manière négative. « Il est intéressant, pour créer un environnement de qualité, de montrer de façon authentique une part de vulnérabilité en racontant l’histoire de la prise de confiance et l’amélioration. Cela est beaucoup plus intéressant que l’affichage d’une posture “tout va bien tout le temps”. Quand nous racontons des histoires de personnes qui se penchent sur des problèmes et qui sont créatives pour les résoudre, cela représente mieux la réalité vécue. Un très bon antidote au greatwashing, c’est d’assouplir notre regard sur l’échec, en y voyant un tremplin pour évoluer et se transformer », suggère Betsy. Faire preuve de transparence et d’authenticité au point d’ouvrir le dialogue sur ses failles : c’est sans doute cela l’environnement sain tant souhaité.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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