De retour de chômage partiel, ils n'ont plus le même rapport au travail
30 juin 2020
6min
Rédactrice - correctrice indépendante
Depuis le début de la crise du Covid-19, 10 millions de salariés ont bénéficié du dispositif de chômage partiel. Le 1er juin, qui a sonné la fin de sa prise en charge complète par le gouvernement, a donné l’impulsion d’un début de retour à la normale. Mais la reprise est à deux vitesses : d’un côté, ceux qui sont contraints de prolonger leur chômage partiel pour encore quelques mois, de l’autre, ceux qui ont retrouvé leur routine d’avant la crise, parfois même depuis le 11 mai.
Dans quel état d’esprit cette dernière catégorie d’employés a-t-elle repris le travail après ces semaines de ralentissement voire d’arrêt total de leur activité ? Comment se porte leur vie perso, plongée de nouveau dans la routine métro/boulot/dodo ? Sont-ils devenus plus lents, plus paresseux ou au contraire, plus efficaces et volontaires ? Trois salariés nous ont confié leur vision de ce « retour à la réalité » après des mois en chômage partiel. Témoignages.
Une parenthèse bénéfique, pour un retour réussi
Clémentine travaille dans une librairie indépendante et a brutalement arrêté de travailler le 17 mars, à l’annonce du confinement : « J’ai été au chômage partiel à 100% pendant l’intégralité du confinement. Deux mois loin de mon lieu de travail, dans l’impossibilité de continuer mon activité professionnelle puisque je travaille au contact de centaines de clients chaque jour. Ça a été une véritable rupture. Mais étonnamment, j’ai trouvé assez facilement de quoi m’occuper pendant cette parenthèse, et je me suis imposée un vrai rythme. » Si la capacité d’adaptation de la jeune femme lui a permis de ne pas trop subir cette situation inédite, c’est aussi ce qui lui a donné la force de retrouver sa vie d’avant très rapidement à la fin du confinement. « Forcément, j’appréhendais énormément mon retour sur le terrain, je ne me sentais pas capable de reprendre là où ça s’était arrêté. Je m’attendais au pire. Mais finalement… je me suis adaptée direct ! Je pense que, pendant le chomage partiel, j’ai pris confiance en moi en réalisant le nombre de cordes que j’avais à mon arc en dehors du boulot. Cette coupure a replacé mon activité professionnelle dans une autre perspective, comme une passion parmi mes nombreuses autres. Ça m’a permis de reprendre mon rythme boulot-dodo sans vagues, comme ça, naturellement. Je suis revenue gonflée à bloc, en fait. »
Pour Vincent, chef de projet sur des chantiers navals, l’arrêt progressif des travaux dont il avait la responsabilité l’a forcé à passer à mi-temps jusqu’à début mai. Même s’il a apprécié ce temps de pause en famille, il était impatient de reprendre son activité « Le premier jour de la reprise c’était un peu comme une rentrée des classes ! Retourner sur les chantiers, retrouver ses collègues et ses collaborateurs… » Mais l’euphorie du retour s’est vite calmée et le retour au rythme d’avant chômage partiel a été difficile. « Avec les supérieurs et les clients, il y a beaucoup de tension. Le marché est en train de s’écrouler et l’activité pour notre entreprise va se réduire considérablement dans les prochains mois. De nombreux projets vont être annulés et il va falloir trouver des solutions pour maintenir un niveau d’activité viable pour l’entreprise. L’ampleur de la tâche est telle que je suis sûr que d’ici quelques mois les bienfaits sur mon moral de cette pause familiale et bucolique auront disparu » s’inquiète Vincent.
« L’ampleur de la tâche est telle que je suis sûr que d’ici quelques mois les bienfaits sur mon moral de cette pause familiale et bucolique auront disparu » Vincent, chef de projet
Les erreurs du passé reviennent au galop
Le retour à la normale peut avoir un côté rassurant, car il nous donne la possibilité de revenir à ce que l’on connaît. Mais il a aussi permis de s’apercevoir de l’inefficacité de certaines pratiques largement répandues avant le confinement. C’est ce que nous dit Maxime, responsable commercial dans une société de transport touristique et scolaire, qui travaillait trois jours par semaine en chômage partiel et pour qui la reprise a aussi été immédiate après l’annonce du déconfinement. « L’ambiance est restée identique à celle d’avant chômage partiel, et on a retrouvé petit à petit nos (mauvaises) habitudes. Il faut se réadapter à la communication qui avait été considérablement modifiée depuis trois mois. Les échanges allaient à l’essentiel, faute de temps, et désormais il faut refaire avec les humeurs de chacun, être un peu plus présent… » regrette-t-il.
Maxime constate qu’il a gagné en autonomie au boulot pendant deux mois, et qu’il est devenu moins dépendant de sa hiérarchie puisque ses horaires ne coïncidaient pas forcément avec ceux de ses managers. Mais c’est déjà du passé… « Malheureusement, depuis la reprise je prends moins de décisions sans avoir l’aval de mon responsable, déplore-t-il. On se croise tous les jours au bureau, j’ai tendance à demander la validation sur les dossiers alors qu’au chômage partiel je prenais plus de décisions pour ne pas solliciter trop mes responsables. Il faudrait que je remettre cette résolution en application, c’était positif pour tout le monde je trouve ! »
« Malheureusement, depuis la reprise je prends moins de décisions sans avoir l’aval de mon responsable » Maxime, responsable commercial
La nostalgie d’un meilleur équilibre vie pro-vie perso
Pour beaucoup, le chômage partiel a fait naître une manière inédite de découper sa journée : le temps consacré aux missions professionnelles étant réduit, les activités extraprofessionnelles ou les tâches quotidiennes se sont fait une place de choix dans le programme quotidien de certains salariés. « J’ai vécu ma meilleure vie [pendant le chômage partiel], nous confie Maxime. J’ai réussi à prendre du temps pour moi, à profiter des journées pour faire ce que je ne prends jamais le temps de faire quand je bossais à temps plein : du sport, du bricolage, du ménage. Le tout en continuant à travailler à petite vitesse, sans pression. J’ai vraiment adoré pouvoir moins travailler, et le faire de la maison. Je me suis senti beaucoup plus détendu, moins stressé, et plus efficace. Depuis mon retour, je replonge dans la spirale infernale des douze dossiers ouverts en même temps qui ne sont jamais terminés. Je m’étais habitué au travail bien fait pendant le chômage partiel. »
« Je replonge dans la spirale infernale des douze dossiers ouverts en même temps qui ne sont jamais terminés. » Maxime
Ode à la “lenteur”
Et si on s’était habitué à lever le pied ? Ce qui est sûr, c’est que le chômage partiel a déconstruit nos rythmes effrénés et bouleversé notre rapport au temps, comme le souligne Clémentine « Depuis la reprise, j’ai l’impression que je suis plus lente, mais dans le bon sens du terme ! Je prends le temps de bien faire les choses sans me précipiter et je travaille beaucoup mieux comme ça ! J’espère que la course quotidienne ne va pas finir par reprendre le dessus trop vite, et me faire oublier ces changements… »
La libraire n’est pas la seule à avoir revue sa gestion du temps au quotidien « En divisant par deux mes horaires au chômage partiel, j’ai pris du recul par rapport à mon travail et notamment en m’obligeant à remettre dans son contexte une “urgence”, observe Maxime. En fait, pour moi, rien n’est plus vraiment “urgent”. » Vincent, quant à lui, veut profiter de cette expérience pour travailler dorénavant plusieurs jours par semaine en home office, “pour lever le pied” : « J’ai pas mal dédramatisé la question des horaires de bureau que je m’imposais à moi-même avant le confinement. J’avais 45 minutes de trajet le matin pour me rendre sur mon lieu de travail et je n’arrivais jamais après 8 heures. Aujourd’hui, si un matin je veux arriver à 9h30 parce que j’ai besoin (ou envie) de me reposer, je me l’autoriserais beaucoup plus qu’avant, en m’assurant bien sûr que ça n’impacte pas le travail de mon équipe. J’ai compris que je ne pouvais plus faire 50 heures de travail dans la semaine, tout cela a perdu de son sens. Je vais faire des horaires plus décents, améliorer mon équilibre au boulot, et je suis sûr que ça aura des effets positifs sur ma manière de manager et la qualité de mes moments perso. »
« J’ai pris du recul par rapport à mon travail et notamment en m’obligeant à remettre dans son contexte une “urgence”. En fait pour moi, rien n’est plus vraiment “urgent” » Maxime
Deux mois de pause forcée ont permis à nos interviewés de prendre du recul sur leur travail. Aujourd’hui, sans vouloir nécessairement changer totalement de vie, certains voudraient mettre en place un rythme plus lent, garder une petite distance avec le travail pour redonner la priorité aux activités extra professionnelles, et adopter des horaires plus cohérents avec ces nouveaux changements. Mais tous semblent appréhender le moment où la routine reprendra ses droits, craignant peut-être l’aliénation d’avant chômage partiel. Une chose est sûre, pour les salariés que nous avons interrogés, le chômage partiel restera un bon souvenir. « Cet avant-goût de la retraite était vraiment bien », comme le dit si bien Vincent.
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