Quels sont les rituels quotidiens des génies créatifs pour être productifs ?
12 avr. 2019
6min
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Fondateur, auteur, rédacteur @Word Shaper
Que l’on admire Mozart pour ses opéras, Jean-Paul Sartre pour sa philosophie, Fellini pour ses films ou Agatha Christie pour ses intrigues, on se demande parfois comment ces artistes ont pu créer de tels chefs d’œuvre alors que nous, on est en difficulté pour simplement se lever le lundi matin.
Comment ces génies organisent-ils leur journée pour maximiser leur productivité et leur créativité ? Faut-il être dans un cadre confortable ou contraint ? Faut-il investir tout son temps dans un projet ou avancer petit à petit, tout en ayant d’autres activités ? Faut-il s’imposer une routine ou au contraire en changer le plus souvent possible ? Mason Currey a rassemblé les rituels quotidiens de près de 250 artistes, compositeurs et créateurs dans l’ouvrage Daily Rituals, how artists work pour tenter de répondre à ces questions, et trouver les tendances communes des uns et des autres pour s’en inspirer au quotidien.
Le temps de travail
En terme de temps de travail, il y a deux écoles : ceux qui s’acharnent pendant de longues heures, tout en sachant qu’ils ne pourront conserver que la substantifique moëlle de ce travail ; et puis il y a ceux qui consacrent qu’une petite partie de leur journée à la création pure, et nourrissent leur esprit autrement.
Pour le cinéaste Ingmar Bergman, faire un film, c’est travailler dur près de huit heures par jour pour n’obtenir que quelques minutes de réelle création… si l’on est chanceux ! Dans son cours en ligne pour le site américain Masterclass, David Lynch explique la même chose. Selon lui, la créativité, c’est réussir à se mettre au travail tout en sachant que 90% du résultat sera de mauvaise qualité, mais sera une étape nécessaire pour parvenir à tirer le fil d’une idée géniale ensuite.
Il est intéressant de constater qu’il n’y a pas de recette miracle et que la clé du succès est véritablement de trouver la routine qui nous correspond le mieux. Honoré de Balzac et Victor Hugo sont des auteurs français de renommée équivalente. Or, le premier divisait sa journée en deux périodes d’écriture de plus de six heures, séparées par une sieste, ce qui correspond à près de treize heures d’écriture par jour alors qu’Hugo concentrait son temps de travail sur deux heures de 18h à 20h. De la même façon, Beethoven composait pendant près de huit heures chaque matin, tandis que Mozart, pris par d’autres activités dans la journée, ne composait que deux heures à son lever et deux heures avant le coucher.
La routine sommeil
Il existe beaucoup de clichés contradictoires concernant les artistes et leurs habitudes de sommeil. Il y a la théorie du monde qui appartient à ceux qui se lèvent tôt d’une part et puis, il y a l’image de la création nourrie par la débauche et la vie nocturne de l’autre.
À la lecture de l’ouvrage de Manson Currey, on se rend compte que si les horaires de coucher et de lever varient d’un artiste à l’autre, ils s’en tiennent pour beaucoup à la même quantité de sommeil. En effet, la plupart dort entre six et huit heures d’affilée par nuit. Cela n’empêche pas qu’il y ait des artistes qui soient plus matinaux, c’est notamment le cas de ceux qui avaient ou ont une activité professionnelle autre en journée. Anthony Trollope, l’un des romanciers britanniques les plus célèbres et les plus prolifiques, a travaillé toute sa vie à La Poste. Néanmoins, il consacrait trois heures à l’écriture chaque matin et s’obligeait à écrire au moins 3 000 mots. Ce mode de vie bimodal permet au moment de l’écriture d’être dans un mode de travail deep work, c’est-à-dire pleinement concentré et efficace.
Gustave Flaubert travaillait intensément de 21h30 à 3h du matin, tandis qu’Honoré de Balzac dormait de 18h à 1h du matin, pour travailler ensuite jusqu’à 16h ! Scientifiquement, il est avéré que notre efficacité dépend de notre rythme circadien, c’est-à-dire à notre rythme biologique au cours d’une journée. Connaître son propre rythme permet de déterminer les moments de haute efficacité et les coups de barre. En général, nous sommes le plus efficace 4 heures après le réveil et les heures après les repas sont essentiellement consacrées à la digestion.
Balade, exercice physique et rupture
Nietzsche a écrit en son temps que « les seules pensées valables viennent en marchant ». En effet, on constate la présence de moments de marche dans le quotidien d’une grande partie des artistes. On en connaît les bénéfices, puisque sortir marcher, s’aérer, permet de prendre du recul sur ses propres pensées et il a été prouvé à de nombreuses reprises que marcher augmentait la productivité et la créativité. Des chercheurs de l’Université de Standford ont récemment prouvé que la marche permettait d’oxygéner le cerveau et que les étudiants étaient plus créatifs ensuite. Charles Dickens marchait de manière vigoureuse dans Londres pendant près de trois heures chaque jour, John Milton arpentait de long en large son jardin pendant près de quatre heures, et Charles Darwin entrecoupait sa journée de travail de trois périodes de marche, à son lever, avant le déjeuner et avant le dîner.
En entreprise, la tendance du co-walking a récemment vu le jour pour profiter de ces mêmes bénéfices tout en s’entretenant sur un sujet avec un collègue ou un supérieur. Toujours d’après des chercheurs américains, les effets positifs sont visibles après seulement quelques minutes d’effort et se prolongent même lorsqu’on est de nouveau assis à son bureau.
Aussi, on constate à la lecture de l’ouvrage que la plupart des génies avaient une vie sociale assez limitée, considérant que c’était une perte d’énergie inutile. Pablo Picasso et sa femme ne voyaient leurs amis que le dimanche par exemple, Marcel Proust s’était quant à lui entièrement retiré du monde pour se consacrer à son œuvre. Là encore, il convient à chacun de déterminer l’équilibre entre création et vie sociale qui leur correspond le mieux.
L’espace de travail
On parle beaucoup de routine, mais parfois, le créateur a besoin d’éviter les habitudes à tout prix pour rester stimulé et productif. Plusieurs artistes soulignent la nécessité de créer des ruptures dans leur manière de travailler et encouragent le changement permanent. C’est le cas de Woody Allen par exemple. Il raconte qu’il doit constamment changer de pièce pour écrire ou aller au bout d’une idée, chaque changement lui amenant une forme de fraîcheur. Il explique aussi prendre de longues douches plusieurs fois par jour, notamment lorsqu’il n’arrive pas à débloquer une situation.
Certains ont besoin de se définir un espace de travail bien particulier, tandis que d’autres font tout pour éviter d’avoir la sensation de travailler. C’est le cas d’Agatha Christie qui raconte dans son autobiographie qu’une machine à écrire et une table quelconque lui suffisaient, que ce soit le rebord en marbre de sa salle de bain ou la table à manger. Pas toujours simple néanmoins de travailler dans le calme : Graham Greene tenait secrète la localisation de son bureau pour qu’on le laisse tranquille.
Les routines les plus insolites
- Honoré de Balzac buvait 60 cafés par jour.
- Le Corbusier commençait ses journées par 45 minutes de gym suédoise avant de servir le petit déjeuner à sa femme. Il consacrait ses matinées à la contemplation artistique : peinture, dessin, écriture et n’allait au bureau que quelques heures dans l’après-midi.
- Jane Austen cachait son activité d’écriture à toutes les personnes en dehors de son cercle familial. Elle écrivait sur des tout petits bouts de papier facilement dissimulable si un visiteur entrait dans la pièce.
- Patricia Highsmith n’était productive que lorsqu’elle écrivait dans son lit, entourée de cendriers, de mégots de cigarettes, d’allumettes, de donuts et d’un sucrier. Elle avait aussi l’habitude de boire un shot d’alcool avant de démarrer une session d’écriture.
- Igor Stravinsky ne pouvait seulement composer s’il était assuré que personne ne pouvait l’entendre jouer.
- Edith Sitwell passait toutes ses journées dans son lit pour écrire. La légende raconte qu’entre 5 et 6 heures du matin, elle s’allongeait dans un cercueil ouvert afin de trouver l’inspiration pour ses fictions et poésies morbides.
À la lecture de l’ouvrage de Mason Currey, on comprend qu’il existe presque autant de routines que d’artistes et qu’il revient à chacun de trouver celle qui lui correspond le mieux pour profiter pleinement de son potentiel créatif. Amphétamines, café, alcool, de nombreux génies étaient adeptes de ces stimulants et leur hygiène de vie n’était pas toujours irréprochable. Mais ce qui ressort de ce comparatif est finalement l’idée que le plus important est justement d’expérimenter pour se connaître, s’écouter et accueillir les bonnes idées au bon moment. Keith Richards a composé et enregistré le refrain de Satisfaction au milieu de la nuit suite à une fulgurance dans son sommeil. Les idées sont parfois fugaces et le plus important est de s’entraîner à les retenir et les archiver. C’est sans doute pour cela que Beethoven ne sortait jamais sans son carnet de notes…
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Photo d’illustration by WTTJ
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